Entre, d’une part, la nécessité d’une coopération entre administrations, la réalité d’une concurrence fiscale entre nos deux pays et, d’autre part, la transformation du travail lui-même. Cela, à l’aune de ces nouveaux modes d’organisation numériques.
Derrière cet avenant il y a un loup ! Ce qui se joue : une lente et méthodique érosion de notre capacité à décider des règles. Celles d’un jeu fiscal : au bénéfice d’un État qui, tout en affichant des gages de bonne volonté, demeure néanmoins et là aussi très volontairement l’un des derniers sanctuaires d’optimisation et d’évasion fiscale en Europe.. C’est là toute l’utilité pour la Suisse d’avoir signé les avenants avec la France dans les années 2000 et 2010. Objectif : sortir de la liste noire puis de la liste grise des paradis fiscaux en 2019. Tout cela sans nuire fondamentalement aux intérêts de la place financière helvète et des capitaux qui y sont domiciliés par leurs détenteurs français. Beau tour de passe passe : 1-0 Bâle au centre.
Au demeurant, cet avenant fait l’impasse sur la matrice des stratégies de domiciliation artificielle des profits et de l’imposition effective des flux financiers offshore. Il prétend en revanche instaurer un nouveau partage de la fiscalité sur le télétravail des frontaliers. Or, nous constatons que l’État helvète en ressort triplement gagnant :
D’une part, il bénéficie d’une main-d’œuvre française qualifiée, dont il est structurellement dépendant. Rappelons que près de la moitié des travailleurs frontaliers en Suisse (soit 223 000) sont Français. D’autre part, il capte une part significative de la valeur ajoutée générée par ces salariés. Pourtant, les charges collectives qui leur sont associées reposent largement sur la France. Ces travailleurs sont formés dans notre système éducatif, logés sur notre territoire, et bénéficient de nos infrastructures : routes, transports, crèches, hôpitaux, connexion fibre. Plus encore, selon les données de l’URSSAF, 68 % d’entre eux sont affiliés à la Sécurité sociale française.
Un troisième avantage vient s’ajouter à cette situation déjà déséquilibrée : les salaires liés au télétravail deviennent imposables dans l’État où se situe l’employeur. C’est le transfert d’une base imposable de la Suisse vers la France France vers la Suisse. Et c’est le Parlement suisse lui-même qui le dit :
« Les cantons et les milieux économiques concernés ont accueilli favorablement la conclusion de l’avenant. »
« Cette solution est très favorable à la Suisse et meilleure que celle négociée avec l’Italie. ».
Ils ajoutent une information que l’étude d’impact se refuse étonnamment de traiter, je cite : “sans cet avenant, la baisse des recettes fiscales suisses aurait atteint plusieurs centaines de millions de francs suisses par an”. Autrement dit, ce texte évite un manque à gagner colossal… pour la Suisse. Bercy consent à une fiscalité en Berne et à une convention profondément déséquilibrée.
Mais le problème ne s’arrête pas là. Cette mesure ouvre un effet d’aubaine. Tous les cadres salariés chercheront naturellement à maximiser leur télétravail sous le seuil fixé à 40%. Et ce, avec la complicité tacite des employeurs suisses. Autrement dit, nous laissons le champ libre aux optimisations discrètes, aux arrangements officieux.
Une doctrine fiscale d’une complaisance inquiétante, chers collègues… Nous sommes en droit d’attendre un texte qui rééquilibre la relation fiscale franco-suisse. Or, nous avons une doctrine excessivement conciliante. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : un choix politique auquel nous nous opposons.
A l’inverse, nous remettons sur la table la proposition de résolution déposée en 2018 avec mon collègue Eric Bocquet. Celle-ci proposait la mise en place d’une COP mondiale pour la justice fiscale ; notamment après le scandale des « Swiss Leaks ».