La France ne peut plus rester à l’écart du mouvement européen d’interdiction des sanctions éducatives

Lutte contre toutes les violences éducatives ordinaires

Publié le 6 mars 2019 à 07:51 Mise à jour le 8 mars 2019

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, humiliations, violences et punitions infligées aux enfants ont longtemps constitué un mode d’éducation commun et populaire, une des composantes de l’autorité parentale. Toléré et appliqué tant dans les cercles familiaux que dans les lieux de scolarité, le droit de correction a pour fondement coutumier l’acceptation des violences physiques et psychologiques occasionnelles, dans un but éducatif. Ce droit de correction n’est pas sans rappeler celui, ancien, du pater familias exerçant son autorité et sa puissance sur sa femme et ses enfants.

Les dispositions du code pénal prévoient des sanctions dans les cas de violences faites sur les mineurs, mais ces dernières n’ont pas pour objet premier la sanction des punitions corporelles. Les sanctions éducatives sont également interdites par circulaire dans les établissements scolaires, mais la jurisprudence, constante sur ce sujet, admet le droit de correction, permettant aux parents et professionnels concernés d’« user d’une force mesurée et appropriée à l’attitude et à l’âge de l’enfant ».

Pourtant, divers travaux scientifiques, à l’instar de l’étude du professeur Martin Teicher de l’université de Harvard, ont mis en évidence les impacts négatifs de ces violences éducatives ordinaires, notamment dans le développement du cerveau de l’enfant et dans l’apparition de certaines pathologies comportementales. Pour le docteur Gilles-Marie Vallet, psychiatre, ces sanctions peuvent conduire à l’intériorisation par l’enfant d’une violence tolérée. La banalisation du recours aux châtiments corporels peut favoriser, à terme, le passage, à l’âge adulte, aux violences conjugales et à d’autres formes de violences exercées au sein de notre société. Tolérer ces punitions physiques et violences verbales pourrait également créer un terrain propice aux maltraitances plus graves.

C’est dans ce contexte que quarante-quatre pays, dont vingt-sept États européens, ont pris conscience de l’intérêt d’une éducation bienveillante, en affirmant dans leur législation l’illégalité des châtiments corporels. Cette interdiction fait écho aux conventions internationales relatives au droit des enfants et aux nombreuses recommandations du Conseil de l’Europe et du Comité européen des droits sociaux.

Nous tenons donc à saluer l’initiative de notre collègue Laurence Rossignol, qui, s’appuyant sur les recommandations du Défenseur des droits, proposait dans la première version de ce texte de prohiber le recours aux punitions et châtiments corporels au sein même de la définition de l’autorité parentale prévue par le code civil. Ce texte symbolique, sans ajout de sanctions pénales, s’inscrivait dans les engagements internationaux de la France et permettait de faire consensus avec la quasi-totalité de nos partenaires européens.

La commission des lois a cependant fait le choix de modifier le texte lors de son examen. Il est ainsi proposé d’ajouter à l’article 371-1 du code civil l’alinéa suivant : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. » Dans cette nouvelle rédaction, le châtiment corporel n’est nullement mentionné, alors que l’utilisation de ce terme est pourtant nécessaire pour abolir définitivement les violences éducatives ordinaires. Le renvoi à une notion floue et générale de violence, sans définition de ses contours, sans mettre fin au droit de correction coutumier, est quelque peu regrettable.

Il est toutefois grand temps que notre pays se saisisse de cette grande cause. Mes chers collègues, cela fait déjà trente ans que nous avons ratifié la convention relative aux droits de l’enfant de New York. Sur un tel sujet, nous ne pouvons rester dans le mutisme ou avancer à petits pas. La France ne doit pas rester à l’écart de ce mouvement européen d’interdiction des sanctions éducatives. Il est temps qu’elle promeuve l’éducation bienveillante et non violente.

Des mesures d’accompagnement à la parentalité et la formation des professionnels de la petite enfance sont désormais nécessaires pour encourager une prise de conscience collective.

Bien que la portée de cette proposition de loi soit symbolique, l’intention de ses auteurs est louable. Ce texte permettra en effet d’envoyer un signal fort contre les violences exercées à l’encontre des enfants, sans culpabiliser ou moraliser les parents. Ainsi voterons-nous en sa faveur.

Esther Benbassa

Sénatrice de Paris
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