Maîtrise de l’immigration : explications de vote

Publié le 16 octobre 2003 à 17:44 Mise à jour le 8 avril 2015

par Nicole Borvo et Robert Bret

Nicole Borvo. Les quelques exemples de modération sénatoriale prouvent à l’évidence le besoin d’approfondir la réflexion sur les sujets qui touchent à l’humain, en évitant les effets de manche.

L’économie générale de ce texte n’a pas été modifiée. on persiste à faire de tout étranger un fraudeur en puissance. Votre conception de l’immigration est typiquement libérale : on favorise l’immigration dont le patronat a besoin mais ces immigrés doivent être corvéables et éloignables à merci. Que d’autres pays aient la même conception, c’est une lapalissade, mais nous devons persévérer dans notre tradition d’accueil.

Le rouleau compresseur sécuritaire n’a pas les effets escomptés. On en est réduit à la méthode Coué sur la baisse de la délinquance. Cela ne suffit pas pour répondre aux questions que posent les dossiers sensibles. Que sont les Roms devenus ? Que sont les réfugiés de Sangatte devenus ?

Sur fond de crise, la droite extrême a insufflé la peur et la recherche du bouc émissaire. Lui courir après ne sera pas payant. Le Pen caracole dans les sondages et après l’insécurité publique est passé sur le terrain social avec les mêmes recettes.

Le groupe communiste n’a pas cédé à cet air du temps nauséabond. Ce n’est pas parce que nous sommes très minoritaires que nous avons tort. L’inverse nous est arrivé et nous l’avons payé très cher.

Le problème de l’immigration doit être réglé avec les pays d’où partent les migrants, souvent malgré eux. Il faut améliorer l’immigration des étrangers qui sont dans notre pays et poursuivre ceux qui exploitent la misère des autres. Dès juillet 2002, le ministre de l’Intérieur et le garde des Sceaux ont fait adopter des textes répressifs ; nous attendons toujours les mesures de prévention.

Voilà pourquoi nous sommes opposé à ce projet de loi.

Robert Bret. Monsieur Le Président,
Monsieur Le Ministre,
Mes chers collègues,

A l’issue du débat, quels enseignements pouvons-nous tirer ?

Premier enseignement : avons-nous eu le « grand débat sur l’immigration » que nous avait promis le ministre de l’intérieur ?. Pour qu’il y ait débat, il faut qu’il y ait écoute et échange d’opinions. Or, à aucun moment le ministre de l’intérieur n’a répondu à nos arguments au fond : le journal officiel est là pour en témoigner. Il a préféré donner la prime aux joutes oratoires et la caricature : nous le regrettons sincèrement. Ce n’est pas notre conception du débat parlementaire.

Deuxième enseignement : concernant la directive européenne, le ministre de l’intérieur a fait semblant d’ignorer que ce type de texte a besoin d’une transposition approuvée par le Parlement pour devenir applicable dans l’ordre interne. En effet, ni la directive sur les résidents de longue durée, ni celle relative aux réfugiés n’a encore été transposé à ce jour. Par ailleurs, il semble ignorer le contenu même des projets de directive puisque la dernière version du Conseil de l’Union européenne en date du 23 juillet, dans son article 13 dispose (page 23 si vous souhaitez vous-même vérifier) :
« les Etats membres peuvent délivrer des titres de séjour permanents ou d’une durée de validité illimitée à des conditions plus favorables que celles établies dans la présente directive ». Je confirme ainsi que le nivellement par le bas est un choix politique du gouvernement, pas une contrainte européenne.

Troisième enseignement : en fait de texte fondateur d’une politique novatrice en matière d’immigration fondée sur le respect et l’intégration des étrangers régulièrement installés en France par une lutte sans merci à l’égard des passeurs et des clandestins, qu’a-t-on à l’arrivée ? Rien contre les mafias, rien contre les trafics : on préfère sanctionner les victimes elles-mêmes. Le Gouvernement aurait été inspiré de reprendre certaines dispositions de la proposition de loi sur l’esclavage moderne adoptée à l’Assemblée sous la législature précédente ! En fait, et le rapprochement n’est malheureusement pas si hasardeux, c’est le même raisonnement que pour la prostitution : en s’attaquant aux prostituées, on croit s’attaquer aux proxénètes alors qu’on aboutit au contraire à renforcer et durcir les systèmes mafieux.

Quatrième enseignement : un arbre ne cache jamais la forêt. Les avancées sur la double peine ne pourront jamais faire voir ce texte comme humain et protecteur. Elles ne suffisent pas à cacher la suspiçion systématique à l’égard de l’étranger ni la vision profondément utilitariste qui la sous-tend. L’étranger-kleenex : on passe de la conception d’un étranger, titulaires de droits et partie prenante de la Communauté française à celle d’immigré, aux droits concédés et dont le statut reste précaire et révocable.

Cinquième et dernier enseignement : on ne combat pas l’intolérance en se plaçant sur le même terrain que les extrémistes. Nous en verrons malheureusement les effets dans quelques temps. En attisant les sentiments de rejet et en les dédramatisant, on ne fait que banaliser les comportements xénophobes. De l’autre côté, en fermant un peu plus les frontières, on pousse les gens à la désespérance et aux actes de folie, sans jamais les décourager parce que les raisons qui poussent les gens à venir en France seront toujours les mêmes : misère, persécution, guerre. Les drames humains qui se sont déroulés ces derniers mois le démontre.

Illusoire, inefficace et coûteuse, voilà comment l’on peut résumer ce texte. Une politique d’affichage qui, loin de consacrer l’intégration des étrangers, va sans le sens d’une précarisation de leur situation. Vous comprendrez, dans ces conditions, que nous votions contre ce texte.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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