Projet de loi relatif à l’immigration et à l’intégration

Publié le 19 juin 2006 à 11:27 Mise à jour le 8 avril 2015

Par Robert Bret

Intervention dans le cadre des amendements déposés sur le projet de loi

La lecture du projet de loi dont nous entamons la discussion est édifiante : rien sur le développement, rien pour tenter de réduire la fracture Nord-Sud, qui, chacun le sait, est la source essentielle des migrations internationales.

Le rapport qui nous est présenté confirme ce fait : c’est le silence total sur cette question, pourtant fondamentale.

Monsieur le ministre, nous constatons que deux logiques coexistent : celle des grandes déclarations et celle des faits, celle de la réalité de votre action.
Prenons la « Charte des valeurs » de l’UMP qui figure actuellement sur son site Internet : « Notre rôle est d’oeuvrer à la réduction des déséquilibres par un véritable partenariat au service du développement, dans les collectivités d’outre-mer [...] comme dans les pays les plus pauvres. » On a envie de se pincer !

Or le projet de loi que vous nous présentez prône le pillage des ressources humaines sans accorder un sou de plus aux pays d’origine.

Depuis quatre ans, les gouvernements successifs affichent dans leurs discours une vision timidement solidaire alors que, dans la pratique, ils défendent le libéralisme le plus sauvage, dont pâtissent évidemment en premier lieu les pays pauvres.

Ce projet de loi est aux antipodes d’une conception du monde fondée sur le partage et la solidarité : il consolide encore et toujours l’exploitation des plus faibles par les pays les plus riches.

Monsieur le ministre, comment ne pas citer un extrait de l’interview accordée par M. Jacques Chirac, Président de la République, le 23 mai 2006 - tout récemment, donc - à TV Globo, télévision brésilienne :
« Qu’il s’agisse notamment de l’Afrique ou d’ailleurs, les gens qui partent de chez eux ne partent pas par désir, ils partent par nécessité. » C’est une vérité !
Je poursuis : « Ils partent parce qu’ils ne peuvent pas vivre comme il faut chez eux, eux et leurs familles. C’est cela qui crée ce mouvement et c’est la raison pour laquelle on ne pourra pas s’y opposer si l’on ne change pas les conditions de vie, au départ. » Le Président, mes chers collègues, n’a pas dit : « à l’arrivée », il a bien dit : « au départ » !
« Il n’y a pas d’autre solution à ces problèmes d’immigration que de créer les conditions du développement dans ces pays : développement des infrastructures, de l’éducation, de la santé, de l’agriculture [...]. Or, aujourd’hui, les efforts qui sont faits par la communauté internationale pour le développement [...] sont tout à fait insuffisants. Ils représentent environ un tiers de ce qui serait absolument nécessaire selon les experts de l’ONU. Il faudrait donc tripler au minimum cette aide. [...]
« Il faut créer les conditions nécessaires au développement, c’est une exigence humaine, morale et une exigence politique. Toutes les protections céderont sous la pression extérieure, il n’y a pas d’autre solution. »
Le Président de la République, s’exprimant ainsi au Brésil, pensait certainement à la Guyane et à son environnement géographique, où les tribus amérindiennes, depuis des siècles, ignorant les frontières des États, utilisent les cours d’eau de l’Amazonie pour circuler librement.
Il expose ainsi en quelques mots la vanité du projet de loi présenté par son propre gouvernement en matière de régulation des migrations. Il met en lumière la motivation de ce texte : offrir au patronat une main-d’oeuvre bon marché et corvéable à merci. Nous le savions, M. Chirac n’en est pas à une contradiction près. Il n’est pas prophète non plus dans le Gouvernement.

Monsieur le ministre, ce projet de loi ne tend aucunement à s’attaquer aux causes réelles de l’immigration : la pauvreté des pays d’origine.
Il ne constitue qu’un ensemble de mesures coercitives et hypocrites et vise seulement à encadrer une politique qui marque une rupture, non pas tant par la vision utilisatrice de l’immigration de main-d’oeuvre qu’il traduit que par la possibilité que se donne le Gouvernement de définir chaque année des objectifs quantitatifs indiquant à titre prévisionnel le nombre de visas et de titres de séjour qui seront délivrés aux fins d’emploi, d’études, et pour motifs familiaux. C’est un véritable pillage des cerveaux des pays du Sud !
Mais, monsieur le ministre, il ne faut pas croire qu’il suffit d’ouvrir ses portes pour que viennent les candidats désirés : la France a encore besoin d’attirer plus que de sélectionner.
Mes chers collègues, le Sénat s’honorerait aussi de rappeler que la clef de l’avenir, la clef du bien-être futur de l’humanité, c’est le partage des richesses, c’est l’aide au développement.

L’annulation de la dette économique des pays pauvres à l’égard des pays riches constitue un objectif urgent. Nous considérons cette annulation totale et immédiate comme un préalable à toute politique de développement. Comment, en effet, envisager un décollage économique sans trouver un moyen de sortir du cercle vicieux de l’endettement ?

Que d’hypocrisie sur cette question de l’annulation ! Comment ne pas rappeler qu’en juin 2005, voilà un an tout juste, les ministres des finances du G8 avaient annoncé l’effacement immédiat de la dette des pays pauvres pour un montant de 40 milliards de dollars ? Cette décision concernait dix-huit pays très endettés, et les ministres des finances avaient ajouté que, dans les deux ans à venir, vingt autres pays pourraient bénéficier de la même mesure. Un an après, cette promesse est bien entendu restée lettre morte. Elle est déjà oubliée, monsieur le ministre !

Cela n’empêche pas les dirigeants occidentaux, et le Président de la République, au cours de sa visite en Amérique latine, en a été le meilleur exemple, de promettre la main sur le coeur l’engagement prochain des pays riches.

De telles tartufferies pourraient prêter à sourire si l’on oubliait la terrible réalité qu’elles recouvrent : sur le seul continent africain, plus de 300 millions d’êtres humains vivent avec moins de 1 dollar par jour ; 240 millions souffrent de carences alimentaires ; près de 200 millions, de malnutrition.

Faut-il rappeler, monsieur le ministre, que les émigrés venant des régions pauvres transfèrent vers leur famille restée au pays des sommes dont le total est supérieur à l’aide au développement attribuée par les États comme la France ? L’Office des migrations internationales, l’OMI, évalue ces sommes à plus de 200 milliards de dollars par an. En 2005, l’aide publique a à peine dépassé 100 milliards de dollars, qui plus est inégalement répartis.
Comment, monsieur le ministre, engager un débat sur l’immigration sans évoquer l’essentiel, sans s’attaquer aux causes du désespoir de ces millions d’hommes et de femmes qui quittent tout pour survivre, pour faire vivre leurs enfants ?

L’annulation de la dette serait un premier pas important et marquerait fortement une orientation solidaire et non plus de domination ou d’asservissement.

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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