Monsieur le Président,
Monsieur le Garde des Sceaux,
Mes chers collègues,
Le projet de loi portant réforme des successions et des libéralités fut présenté par le gouvernement comme une nécessaire adaptation du droit des successions aux évolutions de notre société, telles que la recomposition des familles ou encore l’allongement de l’espérance de vie.
Néanmoins, malgré l’ambition affichée de simplifier, d’accélérer et de sécuriser le règlement des successions, l’examen de ce texte laisse quelque peu perplexe
Notre perplexité tient au fait qu’en réalité, si l’on replace ce texte dans le contexte des multiples mesures fiscales prises par le gouvernement depuis 2003 afin de faciliter la transmission du patrimoine, force est de constater que les nouvelles dispositions sont du même esprit
Je le concède le droit des successions a besoin d’un dépoussiérage, d’une mise en conformité avec la réalité sociale, en adéquation avec les nouvelles conditions de vie, voire même une autre conception du patrimoine et de l’héritage. Ce texte n’apporte qu’une timide réponse.
Ainsi, l’aménagement des délais en cas d’acceptation à concurrence de l’actif net et de prescription extinctive de l’option successorale n’est pas contestable, sauf peut-être le choix opéré de rendre « acceptant pur et simple » l’héritier taisant sommer d’opter plutôt que de le réputer renonçant d’office, ce qui ne constitue pas forcément une garantie de règlement amiable des successions.
Il en est de même, concernant l’acceptation pure et simple, lorsqu’il s’agit de permettre à l’héritier d’accomplir des actes de conservation ou d’administration de la succession sans risquer d’être considéré comme acceptant tacite pur et simple, ou encore lorsqu’il est question de faire évoluer les règles de l’indivision vers la règle des deux tiers en lieu et place de l’unanimité.
Nos principales critiques ne porteront donc pas, vous l’aurez compris, sur les aménagements relevant strictement du droit à la succession, mais plus particulièrement sur le fait que ce projet de loi fasse l’impasse sur un point central en matière de successions et de libéralités, à savoir la fiscalité.
Le fait que ce texte ne contienne aucune mesure fiscale relève certainement moins du hasard que d’un choix politique délibéré. En effet, si le gouvernement avait clairement affiché ses choix en matière de fiscalité, cela aurait mis en exergue les inégalités de patrimoine existant dans notre pays. Il n’est guère étonnant donc que le gouvernement préfère régler les questions fiscales relatives aux successions et libéralités via les lois de finances successives.
L’imagination du gouvernement est d’ailleurs bien fertile lorsqu’il s’agit de favoriser la transmission du patrimoine. C’est donc à coups de défiscalisations et d’exonérations diverses que le gouvernement permet à ceux qui disposent d’un patrimoine de le transmettre.
Pourtant, ces ménages sont relativement peu nombreux. En effet, plusieurs indicateurs démontrent que peu de ménages peuvent, en réalité, bénéficier de ces largesses fiscales. Selon l’INSEE, on peut par exemple constater que 10 % des ménages détiennent 45 % du patrimoine total et 59 % du patrimoine financier.
D’autres chiffres méritent une attention particulière. Ainsi, les données qui émanent des déclarations de successions sont significatives : si le patrimoine moyen transmis avoisine les 100 000 euros, le patrimoine médian n’est que de 55 000 euros. Je soulignerai également que les mesures prises en 2004 en faveur des successions ne concernent, en fait, que peu de personnes, seules 25 % des successions étant taxables.
Concernant les donations, de la même manière, seules les familles disposant d’un patrimoine transmissible assez important peuvent bénéficier des mesures existantes, que ces mesures soient temporaires ou durables.
C’est le cas par exemple de la mesure dite « Sarkozy », du temps où l’actuel ministre de l’intérieur était ministre des finances, qui permettait jusqu’au 31 décembre 2005 de donner jusqu’à 30 000 euros libres de droits à chaque enfant ou petit enfant.
D’autres mesures lui ont succédé à partir du 1er janvier 2006 comme, par exemple, le relèvement les limites d’âge pour pouvoir bénéficier d’une réduction des droits en cas de donation anticipée, passant de 65 à 70 ans pour bénéficier d’un abattement de 50 %, et de 75 à 80 ans pour profiter d’une réduction de 30 %.
Il n’est pas difficile d’imaginer que ces mesures ont évidemment un impact sur la transmission gratuite du patrimoine mais également sur l’ISF, puisqu’elles peuvent aboutir à de substantielles économies pour les personnes assujetties à cet impôt.
Nous le voyons bien, les mesures successives prises en matière d’imposition des donations et des successions s’adressent à une catégorie de personnes ciblées, qui s’estiment trop limitées par l’abattement général de 50 000 euros.
Ainsi, les ménages plus modestes se tournent inévitablement vers les dispositifs leur permettant de diminuer leurs impôts ou les droits de successions, tels que les produits d’épargne ou encore les contrats d’assurance-vie, notamment afin de protéger le conjoint en cas de décès.
En effet, les droits du conjoint survivant ont encore aujourd’hui du mal à être reconnus, et ce malgré la loi de décembre 2001.
La situation est évidemment pire lorsqu’il s’agit de personnes liées par un Pacs ou encore de concubins.
Dans ces deux derniers cas, si l’un décède, l’autre se retrouve sans aucun droit sur les biens acquis en commun avec son partenaire. Cette situation, vécue très péniblement par les personnes concernées, traduit bien la frilosité du gouvernement à reconnaître d’autres structures familiales que la famille dite « légitime », centrée autour du mariage.
Même si nous ne sommes plus dans la situation rencontrée au moment de l’adoption du Pacs, force est de constater que la majorité politique reste catégoriquement opposée à l’extension des droits des pacsés, notamment des droits en matière de successions, au risque de se trouver en complet décalage avec la réalité des faits.
Près de 410 000 personnes ont signé un Pacs à ce jour. 60 000 pacs ont été signés en 2005. C’est un tiers de plus qu’en 2004, presque le double des chiffres de 2003 et le triple de ceux de 2001. Le Pacs s’affirme ainsi peu à peu comme une option alternative au mariage, ce qui constitue une raison supplémentaire de l’améliorer en particulier pour tous les couples, le droit au mariage pour les couples homo leur étant encore refusé
Les amendements présentés par le gouvernement et adoptés par l’Assemblée nationale constituent certes une avancée mais ne vont toutefois pas assez loin.
Le gouvernement a tenté de remédier à la question du maintien dans le logement pour les partenaires pacsés, en créant le même droit pour les pacsés et les couples mariés.
Néanmoins, l’actuel droit au maintien dans le logement n’est que d’une année, ce qui est bien insuffisant. C’est pourquoi nous avons déposé un amendement visant à rendre ce droit permanent, le conjoint survivant pouvant ainsi rester -s’il le souhaite- dans le logement jusqu’à son décès. En conséquence, si notre amendement était adopté, ce droit d’étendrait aux pacsés. Et afin de prendre en compte les couples en concubinage, nous proposons d’étendre le droit au maintien dans le logement pour ces derniers.
Je réaffirme que le choix de la forme juridique de l’union ne doit pas avoir de conséquence injuste sur les conditions de vie des personnes en cas de décès de l’un des deux partenaires.
Nous avons eu l’occasion de le dire en 2001 lorsqu’il s’agissait de défendre les droits du conjoint survivant : les liens du cœur doivent primer sur les liens du sang.
Malheureusement, la majorité reste fermement attachée à sa conception verticale de la succession, ce qui bien évidemment ne laisse que peu de place aux personnes non mariées survivant à leur partenaire.
Mais même le conjoint survivant a du mal à trouver sa place dans le droit des successions,
J’en veux pour preuve les dispositions introduites par l’article 21 du projet de loi, notamment celles relatives à l’articles 1094-2 du code civil, qui remettent partiellement en cause les droits du conjoint survivant.
La loi du 3 décembre 2001 prévoyait la possibilité d’avantager son conjoint par libéralités selon les dispositions de l’article 1094-1 du code civil et de les gratifier soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et des trois autres quarts en usufruit, soit encore de la totalité de ses biens en usufruit seulement, sans distinction de l’origine des enfants, issus d’un précédent mariage ou non.
La lecture du nouvel article 1094-2 ne laisse pas planer de doute : « si l’époux laisse un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus du mariage ou des descendants de ces enfants, il peut disposer en faveur de l’autre époux, soit de la propriété de ce dont il pourrait disposer en faveur d’un étranger, soit d’un quart de ses biens en propriété et d’un autre quart en usufruit, soit de la moitié de ses biens en usufruit seulement, soit encore de l’ensemble des biens des enfants communs en usufruit seulement. »
Alors que la loi de 2001 lui permettait de bénéficier de la totalité des biens en usufruit, dorénavant, le conjoint survivant ne pourra avoir au mieux que la moitié des biens en usufruit, sachant que le barème de conversion est dégressif en fonction de l’âge.
Une telle modification de la législation protégeant les droits du conjoint survivant, soi-disant motivée par la volonté de prendre en compte la situation des familles recomposées, semble plutôt être motivée par des raisons d’ordre moral, à en juger par les propos du rapporteur de l’Assemblée nationale. Je le cite : « les droits actuellement reconnus au conjoint survivant, permettant notamment de lui transmettre la totalité des biens en usufruit, pouvaient conduire en pratique à priver totalement de la jouissance de leurs droits réservataires les enfants du premier lit lorsque le conjoint est plus jeune que ces derniers. »
Décidément, il est certaines structures familiales que le gouvernement et sa majorité ont bien du mal à accepter !
De manière générale, et en guise de conclusion, je ne peux m’empêcher de souligner que ce projet de loi, sous couvert de vouloir adapter le droit des successions aux nouvelles réalités familiales de notre société, est emprunt d’un grand conservatisme en la matière et reste bien en deçà de ce que nous attendions. Je pense notamment au Pacs et au conjoint survivant.
Quant aux libéralités, si l’on replace le projet de loi dans le contexte des réformes fiscales opérées par le gouvernement depuis 2003, nous ne sommes guère surpris de constater qu’elles seront davantage facilitées. Nul ne doute néanmoins qu’elles profiteront en priorité aux ménages disposant de gros patrimoines.
Ainsi, il nous paraît bien difficile d’approuver cette réforme des successions et des libéralités et notre vote sera conditionné aux sorts réservés à nos amendements.