Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil constitutionnel,
Nous avons l’honneur de vous déférer, conformément au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, la loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille, telle qu’elle a été adoptée conformément à l’article 45, alinéa 4 de la Constitution, par l’Assemblée nationale le 10 juillet 2025.
1. Cette loi, qui régit le cas particulier des élections municipales dans trois communes, a été adoptée au terme d’une séquence pour le moins singulière et inédite.
C’est en effet la première fois de notre histoire qu’une loi relative à l’élection de collectivités territoriales a été adoptée alors que le Sénat, assemblée qui assure pourtant « la représentation des collectivités territoriales de la République » en vertu de l’article 24, alinéa 4 de la Constitution, l’a systématiquement et expressément rejetée, au fil des lectures.
À cette première singularité s’en ajoute une seconde puisque cette même loi a été défendue par le Ministre délégué auprès du Premier Ministre, en charge des relations avec le Parlement. Si nous avons le plus grand respect pour Patrick Mignola et la fonction qu’il exerce, il est pour le moins surprenant qu’un tel texte n’ait jamais été défendu, pour le Gouvernement, par le Ministre de l’Intérieur, en charge des sujets électoraux et des collectivités territoriales ou par le Ministre auprès de lui, ni par le Ministre de l’Aménagement du territoire et de la décentralisation, également en charge des collectivités territoriales. Le fait que Bruno Retailleau, François-Noël Buffet et François Rebsamen, respectivement titulaires de chacune de ces fonctions, aient tous trois été sénateurs n’est sans doute pas étranger à cette situation.
Cette double singularité ne saurait être constitutive, en soi, d’une critique constitutionnelle. En effet, le législateur demeure toujours libre de modifier des règles électorales, à la condition toutefois
qu’il le fasse dans le respect de la Constitution, dont vous êtes les gardiens, ce qui suppose alors d’être animé par la poursuite de l’intérêt général et non la satisfaction d’ambitions personnelles.
Or le contexte singulier de l’examen de cette loi rend limpide les intentions diaphanes de ses promoteurs, qui n’ont d’autre objectif que de servir leurs intérêts politiques, sans tenir compte des exigences démocratiques et constitutionnelles.
Leurs intentions sont à peine voilées. D’une part, elles ressortent de l’Exposé même des motifs de la proposition de loi initiale, comme nous le détaillerons ci-après (infra, § 3 et § 14). D’autre part, ils se sont obstinément opposés à solliciter l’expertise du Conseil d’État, en refusant de lui renvoyer leur proposition de loi pour avis, comme le permet désormais l’article 39 de la Constitution. Mal leur en a pris car ils auraient alors sans doute été alertés des nombreuses inconstitutionnalités de leur texte.
Ainsi, il ressort clairement des dispositions de la loi que nous vous déférons que cette réforme est contraire à plusieurs règles et principes garantis par la Constitution, dont vous saurez rappeler les limites qui s’imposent au législateur. Nous nous attacherons donc à démontrer que la réforme du mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille introduite par la présente loi porte atteinte au principe de sincérité du scrutin, de clarté et de loyauté (I), à l’article 72 de la Constitution (II) et au principe d’égalité (III).
I. SUR L’ATTEINTE AU PRINCIPE DE SINCERITE, DE CLARTE ET DE LOYAUTE DU SCRUTIN
2. La loi que nous vous déférons porte atteinte au principe constitutionnel de sincérité et de loyauté du scrutin, en ce qu’elle tend à organiser, le même jour, deux, voire trois scrutins de portée et de nature différentes (A) et en étant applicable dès le prochain renouvellement des conseils municipaux
(B).
A) Sur l’organisation le même jour de plusieurs scrutins de nature différente
3. Le principal objectif de la loi que nous vous déférons est de dédoubler le scrutin municipal à Paris, Lyon et Marseille.
Depuis les lois du 31 décembre 1982 , les élections municipales dans ces trois villes sont organisées par secteurs, lesquels correspondent aux arrondissements, qu’ils soient regroupés ou non.
La règle est simple et parfaitement comprise par les électeurs depuis quarante ans : ces derniers votent pour un conseil d’arrondissement qui élit, à son tour, le Maire d’arrondissement, tandis qu’un tiers de ce conseil fait partie du conseil de la Mairie centrale, lequel élit le Maire de la ville.
Il est donc faux de dire, comme le font les promoteurs de la loi que nous vous déférons, qu’actuellement les membres du conseil de Paris ou des conseils municipaux de Lyon et Marseille seraient élus lors d’une « élection municipale indirecte » ou que les Maires de Paris, Lyon et Marseille seraient élus à un scrutin « doublement indirect ».
Au contraire, les membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille sont directement élus par les citoyens. Simplement, ces derniers désignent, lors de leur vote, deux catégories d’élus : les conseillers de la Mairie centrale et les conseillers d’arrondissement.
Le seul objectif des lois du 31 décembre 1982 était, dans ces trois villes les plus peuplées de France à l’époque, de créer un échelon intermédiaire, plus proche des administrés.
La présentation erronée qui est ainsi faite par les promoteurs de la loi déférée, lesquels, dès l’Exposé des motifs de la proposition de loi, soutenaient que « les électeurs, en ne votant pas pour une liste à l’échelle de leur commune, mais bien de leur secteur/arrondissement, se retrouvent à n’élire qu’indirectement le conseil municipal » (Proposition de loi visant à reformer le mode d’élection des membres du Conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, présentée par Sylvain Maillard, David Amiel, Olivia Grégoire, Jean Laussucq, Assemblée nationale, XVIIe Législature, n° 451, 15 octobre 2024, Exposé des motifs, p. 2), éclaire quant à leur intention de manipuler la réalité, en faussant la perception des électeurs.
4. La loi que nous vous déférons dédouble désormais le scrutin dans ces trois villes : les électeurs voteront pour deux instances, le même jour, lors de deux scrutins distincts.
Ils voteront, d’une part, pour le conseil d’arrondissement et, d’autre part, pour le conseil de la Mairie centrale, c’est-à-dire le conseil de Paris et les conseils municipaux de Lyon et Marseille.
Cependant, ces deux scrutins sont non seulement régis par des règles différentes, mais sont surtout destinés à élire deux catégories d’instances de nature différente, alors même que les règles prévues par la loi déférée sont destinées à entremêler et à associer les deux scrutins.
En effet, sauf à ce que vous nous suiviez sur notre raisonnement développé dans la deuxième partie (infra, §§ 19 et s.), faisant que la loi déférée serait alors contraire à la Constitution pour une autre raison, Paris, Lyon et Marseille sont des collectivités territoriales régies par les articles 72 et suivants de la Constitution, ce que ne sont pas les arrondissements qui les composent.
Vous l’avez expressément relevé dans votre décision relative à l’une des deux lois du 31 décembre 1982 : « la loi soumise à l’examen du Conseil constitutionnel crée, à Paris, Marseille et Lyon, des conseils d’arrondissement élus et des maires d’arrondissement élus dans leur sein par lesdits conseils sans pour autant ériger les arrondissements en collectivités territoriales possédant la personnalité morale et un patrimoine propre » (décision n° 82-149 DC du 28 décembre 1982, Loi relative à l’organisation administrative de Paris, Marseille, Lyon et des établissements publics de coopération intercommunale, consid. 2).
Du fait de la loi litigieuse, ces électeurs voteront désormais, lors de deux scrutins distincts organisés le même jour, pour le conseil d’une collectivité territoriale et pour un organe délibérant qui n’est pas une collectivité territoriale. Ajoutons qu’à Lyon, un troisième scrutin aura lieu, également le même jour, pour une autre collectivité territoriale : la Métropole de Lyon.
Ce dédoublement, voire « détriplement » du scrutin est de nature à semer la confusion dans la perception des électeurs, de telle sorte qu’il porte atteinte au principe de sincérité et de loyauté du scrutin.
5. Le principe de sincérité du scrutin a valeur constitutionnelle et vous l’avez identifié dès vos premières décisions en matière électorale (décision n° 58-75 AN du 6 janvier 1959, A.N., Seine (46ème circ.), consid. 3). Il opérait alors dans le cadre d’un contrôle concret.
Plus tardivement, vous en avez fait une application dans le cadre du contrôle de constitutionnalité abstrait, en 2003 pour la première fois (décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003, Loi relative à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques, consid. 21).
Vous avez également censuré une disposition législative d’une loi qui vous était déférée, au titre d’une violation de ce principe de sincérité du scrutin, en ce qu’elle autorisait, « dans certains cas, l’inscription sur les bulletins de vote du nom de personnes qui ne sont pas candidates à l’élection » : « une telle inscription risquerait de créer la confusion dans l’esprit des électeurs et, ainsi, d’altérer la sincérité du scrutin » (décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003, Loi portant réforme de l’élection des sénateurs, consid. 25).
Désormais, vous retenez que le principe de sincérité du scrutin découle directement de l’article 3 de la Constitution : « Aux termes du troisième alinéa de l’article 3 de la Constitution, “ Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret ”. Il en résulte le principe de sincérité du scrutin » (décision n° 2018-773 DC du 20 décembre 2018, Loi relative à la lutte contre la manipulation de l’information, § 16, confirmée par la décision n° 2020849 QPC du 17 juin 2020, M. Daniel D. et autres [Modification du calendrier des élections municipales], § 16).
6. Le principe de loyauté du scrutin, quant à lui, n’est pas sans lien avec le principe de sincérité.
Vous en avez parfois fait une application combinée, en particulier dans ce qui paraît être la seule décision, à ce jour, qui mentionne ce principe de loyauté à propos d’élections et qui conclut à la censure de la disposition litigieuse.
En effet, à propos de l’inscription sur les bulletins de vote du nom de personnes qui ne sont pas candidates à l’élection, vous en avez déduit qu’« une telle inscription risquerait de créer la confusion dans l’esprit des électeurs et, ainsi, d’altérer la sincérité du scrutin », pour en conclure « qu’il résulte de ce qui précède que l’article 7 de la loi déférée est contraire tant à l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi qu’au principe de loyauté du suffrage » (décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003, précitée, consid. 26).
Il y a ici un lien direct et évident entre ce qui est de nature à créer la confusion dans l’esprit des électeurs, l’altération du principe de sincérité du scrutin et la violation du principe de loyauté du suffrage.
7. Dans d’autres décisions, vous avez associé ce principe de loyauté du scrutin à celui de sa clarté. Dernièrement, ce fut le cas à l’égard de scrutins électoraux.
Ainsi, la réduction de la durée de certains mandats, afin qu’ils arrivent à échéance concomitamment dans la perspective d’une réforme future n’était pas contraire aux « exigences de clarté et de loyauté de l’élection des conseillers régionaux, en 2010, et des conseillers généraux, en 2011 » (décision n° 2010-603 DC du 11 février 2010, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, consid. 14).
De même, l’élection d’une même personne appelée « à siéger au conseil général et au conseil régional ne méconnaît aucunement la double exigence de clarté et de loyauté du scrutin » (décision n° 2010-618 DC du 9 décembre 2010, Loi de réforme des collectivités territoriales, consid. 26).
Auparavant, vous aviez appliqué le principe de loyauté et de clarté du scrutin à des scrutins référendaires ou à des consultations, par exemple à Mayotte (décision n° 2000-428 DC du 4 mai 2000, Loi organisant une consultation de la population de Mayotte, consid. 15) ou lors du référendum portant sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (décisions n° 2005-31 REF du 24 mars 2005, sur des requêtes présentées par Monsieur Stéphane HAUCHEMAILLE et par Monsieur Alain MEYET, consid. 10 et 11 et n° 2005-33 REF du 7 avril 2005, sur une requête présentée par Messieurs Philippe de VILLIERS et Guillaume PELTIER, consid. 5).
8. Enfin, dans une décision plus ancienne relative à une consultation en Nouvelle-Calédonie, vous aviez retenu que « la question posée aux populations intéressées doit satisfaire à la double exigence de loyauté et de clarté de la consultation ; que s’il est loisible aux pouvoirs publics, dans le cadre de leurs compétences, d’indiquer aux populations intéressées les orientations envisagées, la question posée aux votants ne doit pas comporter d’équivoque, notamment en ce qui concerne la portée de ces indications » (décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987, Loi organisant la consultation des populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie et dépendances prévue par l’alinéa premier de l’article 1er de la loi n° 86-844 du 17 juillet 1986 relative à la Nouvelle-Calédonie, consid. 7).
Vous avez alors censuré une partie de la loi dont la rédaction était équivoque, car elle pouvait,
« dans l’esprit des votants faire naître l’idée erronée que les éléments du statut sont d’ores et déjà fixés, alors que la détermination de ce statut relève, en vertu de l’article 74 de la Constitution, d’une loi prise après consultation de l’assemblée territoriale » (même décision, consid. 9).
9. En l’espèce, la loi déférée est de nature à faire naître une confusion dans l’esprit des électeurs.
Ces derniers sont appelés à élire, le même jour, deux, voire trois instances distinctes (à Lyon).
Nous savons que l’organisation de plusieurs scrutins le même jour n’emporte pas, en soi, une contrariété à la Constitution. À la condition, toutefois, que la nature et l’objet de ces différents scrutins soient clairement identifiés, afin que l’électeur sache précisément ce pour quoi il vote.
Or la réforme opérée par la loi déférée conduira à l’élection, d’une part, du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, qui sont les organes délibérants de collectivités territoriales régies par l’article 72 de la Constitution et, d’autre part, du conseil d’arrondissement, qui n’est qu’un démembrement de ces collectivités territoriales, sans être en lui-même une collectivité territoriale.
10. Tant que l’électeur ne votait qu’une fois, la situation était limpide : il désignait des élus siégeant au conseil d’arrondissement, dont un tiers siègeraient également au conseil central. L’objectif était ainsi de désigner le conseil municipal (ou équivalent, à Paris), comme dans toutes les communes de France et de bénéficier d’un échelon intermédiaire, plus proche des administrés, eu égard à la taille de ces trois villes.
Désormais, deux élections sont organisées, le même jour. Par conséquent, l’électeur peut légitimement s’attendre à ce que les deux instances soient de nature équivalente.
Il peut tout aussi légitimement s’attendre à ce que les deux instances soient connectées, puisqu’elles ne sont pas tout à fait différentes.
Cependant, tel n’est pas le cas.
Un scrutin est destiné à élire l’organe délibérant d’une collectivité territoriale, dotée de la personnalité morale, d’un patrimoine propre, de ressources propres et de compétences réelles et effectives.
L’autre scrutin n’est destiné à élire qu’un organe délibérant d’une instance hybride, qui a une existence propre dès lors qu’elle est désignée par une élection propre, mais qui n’a ni personnalité morale, ni patrimoine propre, ni ressources propres, ni véritables compétences réelles et effectives et qui, surtout, n’est pas expressément érigée en collectivité territoriale, au sens de l’article 72 de la Constitution.
La loi déférée introduit ainsi une élection connaissant un haut degré de complexité.
Si vous admettez que certaines élections puissent être régies par un mécanisme complexe, telles les élections régionales qui opèrent selon des secteurs départementaux, c’est à la condition que cette complexité réponde à des objectifs d’intérêt général (décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003, précitée, consid. 17).
Or aucun motif d’intérêt général n’est ici mis en avant, si ce n’est celui qui voudrait mettre un terme à une « élection municipale indirecte » du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et Marseille, dont nous avons déjà démontré le caractère faux et volontairement mensonger (supra, § 3).
11. La confusion dans l’esprit des électeurs est d’autant plus entretenue que la loi déférée prévoit, aux alinéas 4 et 5 de l’article 1er, que le nom et la photo de la personne candidate à la Mairie centrale pourra figurer sur le bulletin de vote pour le conseil d’arrondissement, alors même qu’elle ne serait pas candidate dans cet arrondissement.
Une telle situation était possible jusqu’à présent, prévue par l’article L. 52-3, 1° et 2° du code électoral. Cependant, il s’agissait d’une seule et même élection : l’électeur votait, dans son arrondissement, pour ses représentants au conseil d’arrondissement et au conseil central, ce dernier ayant vocation à être présidé par le candidat à la Mairie centrale.
Désormais, le candidat à la Mairie centrale figurera sur un bulletin relatif à la Mairie d’arrondissement.
Vous avez retenu qu’une telle possibilité était contraire à la Constitution, en ce qu’elle « risquerait de créer la confusion dans l’esprit des électeurs et, ainsi, d’altérer la sincérité du scrutin » (décision n° 2003-475 DC du 24 juillet 2003, précitée, consid. 26, cf. supra, §§ 5 et 6).
Ce mécanisme est également de nature à faire naître dans l’esprit des votants l’idée erronée qu’en élisant le conseil d’arrondissement, ils contribuent à élire le conseil central et le Maire. Or une situation équivoque comparable a déjà emporté votre censure (décision n° 87-226 DC du 2 juin 1987, précitée).
12. Par conséquent, il n’y a que deux alternatives, parmi lesquelles la loi déférée refuse cependant de choisir, ce qui devra emporter une censure de votre part.
Soit les deux élections sont distinctes et, dans ce cas, on ne peut mêler les deux, en particulier en faisant figurer sur les bulletins de l’une des candidats à l’autre.
Soit les deux élections sont associées et, dans ce cas, on ne peut les distinguer, a fortiori en désignant deux conseils de natures distinctes.
Malgré cela, la loi déférée propose de distinguer les deux élections tout en les associant ou de les associer tout en les distinguant.
Les dispositifs retenus sont alors de nature à créer la confusion dans l’esprit des électeurs, qui ne sauront pas exactement pour qui ni pour quoi ils votent. Il en résulte une absence de clarté et de loyauté de ces élections et une altération de la sincérité du scrutin.
En définitive, la loi déférée porte atteinte aux principes constitutionnels de sincérité, de clarté et de loyauté du scrutin. Vous devrez donc la déclarer contraire à la Constitution.
B) Sur l’application de la réforme en mars 2026
13. Selon l’article 6 de la loi déférée, la réforme s’applique « à compter du premier renouvellement général des conseils municipaux qui suit la promulgation de la présente loi », c’est-à-dire en mars 2026.
Si la loi était effectivement promulguée en août 2025, elle aurait alors vocation à régir des élections qui se tiendront à peine sept mois après sa promulgation.
Si vous savez qu’il existe une « tradition républicaine » voulant qu’on ne modifie pas les règles d’une élection moins d’un an avant qu’elle n’ait lieu, tradition désormais codifiée à l’article L. 567-1 A du code électoral, nous savons que cette tradition n’est pas constitutive d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République, qu’il n’a que valeur législative et non constitutionnelle et qu’en tout état de cause, il a déjà connu des exceptions.
Notre propos n’est pas de soutenir l’inverse.
En revanche, nous entendons soutenir que cette application à si brève échéance porte atteinte au principe constitutionnel de sincérité et de loyauté du scrutin et n’a d’autre objectif que de satisfaire les intérêts partisans des promoteurs de la loi.
14. Comme nous l’avons précédemment exposé, les nouvelles modalités électorales sont d’une complexité certaine. Elles doivent donc être assimilées non seulement par les électeurs, mais aussi par les candidats et par les actuels élus de ces collectivités qui souhaiteraient se représenter.
Ajoutons que les règles actuellement en vigueur le sont depuis plus de quarante ans et sont, quant à elles, parfaitement intégrées par les élus et les électeurs, sans qu’elles aient soulevé, jusqu’à présent, des difficultés juridiques ou politiques.
En particulier, un simple examen des résultats électoraux à Paris, Lyon et Marseille et dans chacun de leurs arrondissements lors des sept scrutins qui se sont tenus depuis 1983 suffira à démentir une idée reçue, selon laquelle, à plusieurs reprises, le ou la Maire finalement élu en Mairie centrale aurait été minoritaire en voix, dans l’ensemble des arrondissements.
Cette idée reçue est véhiculée par les promoteurs de la loi déférée et inscrite dans l’exposé des motifs de la proposition de loi : « Ce mode de scrutin spécifique est susceptible de conduire à une anomalie démocratique, en ce qu’un maire peut être élu avec le soutien d’une minorité de voix » (Proposition de loi n° 451, précitée, Exposé des motifs, p. 2).
Or, depuis 1983, soit au cours de sept élections dans trois villes, c’est-à-dire lors de vingt-et-un scrutins différents, cette situation ne s’est vérifiée qu’à deux reprises, exclusivement à Marseille. La première fois, ce fut en 1983, au premier tour : presque dix mille voix séparaient les listes de Gaston Defferre (finalement élu) de celles de Jean-Claude Gaudin. Cependant, rappelons que cet écart était dû au découpage électoral, habilement opéré par le Ministre de l’Intérieur de l’époque et qui a été corrigé depuis. La seconde fois, ce fut en 1995, au second tour, où la différence était d’à peine plus de 500 voix entre les listes de Jean-Claude Gaudin (finalement élu) et celles de Lucien Weygand.
Ces deux cas exceptionnels ne sauraient donc servir d’argument destiné à justifier une modification législative, au nom d’une exigence démocratique.
Dépourvue de toute motivation d’intérêt général, cette réforme introduit donc une complexité, applicable à très brève échéance, alors que les campagnes électorales ont débuté : plusieurs partis politiques ont d’ores et déjà procédé à la désignation de leurs candidats.
15. De surcroît, comme nous l’avons exposé à titre liminaire (supra, § 1), il n’est pas anodin, d’une part, que le Sénat ait systématiquement rejeté le texte et, d’autre part, qu’aucun des Ministres en charges des sujets relatifs aux élections ou aux collectivités territoriales se soit mobilisé pour défendre le texte, au nom du Gouvernement.
Cette situation devrait alerter sur la volonté de certains élus de passer en force et d’imposer une réforme destinée à servir leurs intérêts et ceux de leurs partis, quand bien même ils ne seraient pas tous issus de la même famille politique.
Or procéder à de telles modifications des règles électorales à la veille d’un scrutin s’apparente davantage à des manœuvres insincères qu’à une clarification indûment présentée comme nécessaire.
16. Enfin, en vertu de l’article L. 52-4 du code électoral, la période des comptes de campagne débute le 1er septembre prochain, soit à peine quelques semaines, voire quelques jours après la promulgation de la loi.
La difficulté devient alors pleinement juridique en ce que le dédoublement du scrutin à Paris, Lyon et Marseille engendre des conséquences juridiques sur les comptes de campagne, lesquelles n’ont pas été prévues par la loi. Les candidats putatifs ne disposent d’aucune information ni quant à la date ni quant au contenu des décrets d’application, indispensables à la mise en œuvre de la réforme.
Ainsi, dès lors qu’il est possible d’être candidat à la fois sur une liste en vue de l’élection du conseil de Paris ou du conseil municipal de Lyon ou Marseille et sur une liste en vue de l’élection des conseils d’arrondissements, faudra-t-il ouvrir plusieurs comptes de campagne ou bien seul le compte des candidats au conseil central devra-t-il être ouvert ?
Les textes commanderaient la première solution (un compte par élection). Mais la logique de l’élection (connexité entre les arrondissements et le conseil central) commanderait la seconde.
La loi n’éclaire pas et seuls les décrets pourront le faire, sans que les candidats ne sachent quand ils seront publiés, alors que la période débute dans quelques semaines.
De même, dans l’hypothèse où il y aura bien un compte de campagne par élection, sur quel compte devra être imputée une dépense d’un candidat présent sur les deux listes ? Quel compte devra recevoir un don à un candidat présent sur les deux listes ?
La loi ne le dit pas et, de nouveau, seuls les décrets pourront le faire.
17. Ces décrets ne pourront être pris qu’après la promulgation de la loi, soit, au mieux, en plein mois d’août et, comme nous l’avons dit, à peine quelques semaines, voire quelques jours avant le début de la période d’enregistrement des comptes de campagne, qui débute le 1er septembre prochain.
Dans ce délai resserré, non seulement les décrets devront être édictés, mais la Commission nationale des comptes de campagne et du financement politique (CNCCFP) devra élaborer sa circulaire et, enfin et surtout, les candidats et leurs mandataires devront s’approprier les nouvelles règles.
Le tout en à peine quelques jours.
L’appropriation de ces règles est d’autant plus importante que leur violation pourra avoir un effet direct sur l’élection et sur la validation ou non du compte de campagne.
Par conséquent, tous ces éléments soulignent que rendre cette réforme immédiatement applicable traduit une précipitation davantage qu’une réflexion, une manœuvre davantage qu’une modification et illustre la volonté de tirer directement et personnellement profit des nouvelles règles électorales.
L’application immédiate de la réforme introduite par la loi déférée porte ainsi atteinte au principe constitutionnel de sincérité du scrutin. Pour cette raison, si vous ne nous suivez pas quant à la censure de l’ensemble de la loi, vous devrez a minima déclarer son article 6 contraire à la Constitution.
II. SUR L’ATTEINTE A L’ARTICLE 72 DE LA CONSTITUTION
18. La loi que nous vous déférons porte atteinte à l’article 72 de la Constitution, en ce qu’elle conduit à la création d’une nouvelle catégorie de collectivités territoriales dans des conditions qui ne sont pas prévues par cet article (A), conduisant par ailleurs à une violation du principe de libre administration des collectivités territoriales et à instaurer une tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre, en contradiction avec les troisième et cinquième alinéas de ce même article (B).
A) Sur l’atteinte aux modalités de création des collectivités territoriales
19. Les diverses catégories de collectivités territoriales sont énumérées par le premier alinéa de l’article 72 de la Constitution. Il s’agit des communes, des départements, des régions, des collectivités à statut particulier et des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74.
Ce même alinéa réserve la possibilité de créer toute autre collectivité territoriale par la voie législative. C’est ainsi que fut créée la Métropole de Lyon, par exemple, par loi du 27 janvier 2014 .
En effet, l’article 26 de la loi insérait un nouveau Livre au sein de la Troisième partie du code général des collectivités territoriales, dont l’article L. 3611-1 disposait qu’« Il est créé une collectivité à statut particulier, au sens de l’article 72 de la Constitution, dénommée “ métropole de Lyon ”, en lieu et place de la communauté urbaine de Lyon et, dans les limites territoriales précédemment reconnues à celle-ci, du département du Rhône ».
La création de cette nouvelle collectivité territoriale était expressément prévue par la loi, comme l’exige l’article 72 de la Constitution.
20. La loi que nous vous déférons a pour effet de transformer les arrondissements des villes de Paris, Lyon et Marseille en collectivités territoriales, sans le prévoir expressément.
En effet, à ce jour, aucune loi ne qualifie les arrondissements de ces trois villes de collectivités territoriales. Vous-même, comme nous l’avons rappelé (supra, § 4), avez relevé que les arrondissements ne sont pas des collectivités territoriales (décision n° 82-149 DC du 28 décembre 1982, précitée, consid. 2).
Si tel est le cas, c’est en raison de la connexité qui existe entre les conseils d’arrondissements et les trois conseils centraux, notamment à travers l’élection unique qui permet de désigner l’ensemble des membres siégeant en leur sein.
Il en résulte que les actes qui peuvent être pris par les maires et les conseils d’arrondissement sont pris au nom de la commune dont ils relèvent. C’est la raison pour laquelle les arrondissements n’ont pas la personnalité morale, ne peuvent ester en justice, ne disposent pas de patrimoine propre, etc.
Ils sont dépourvus des caractéristiques d’une collectivité territoriale.
21. Cependant, la première caractéristique d’une collectivité territoriale, prévue par la Constitution elle-même, est d’être composée d’un conseil élu.
C’est pourquoi, d’ailleurs, il n’était pas inutile de préciser, dans votre décision du 28 décembre 1982, que les arrondissements n’en étaient pas une, car, dès lors qu’ils sont dotés d’un conseil élu, le doute était permis.
Ce doute a été immédiatement et justement dissipé, puisque ces conseils n’étaient qu’un niveau intermédiaire entre les administrés et le conseil central, seul organe délibérant d’une collectivité territoriale. Il pouvait en être ainsi dès lors qu’une même élection permettait de désigner les élus des deux conseils.
Désormais, la loi que nous vous déférons dédouble les élections : un scrutin pour désigner le conseil d’arrondissement et un autre scrutin pour désigner le conseil de Paris ou le conseil municipal de Lyon et Marseille.
22. Par conséquent, si ces deux scrutins devaient effectivement être totalement et strictement distingués, alors ils servent à désigner deux instances totalement et strictement distinctes.
Si tel n’est pas le cas, alors le dédoublement de l’élection porte atteinte au principe de sincérité du scrutin, comme nous l’avons démontré en première partie (supra, §§ 3 et s.).
Si tel est bien le cas, alors la loi a pour conséquence de créer une nouvelle structure, un nouvel échelon territorial doté d’un organe délibérant propre, qui n’est pas l’émanation d’un autre organe (comme c’est le cas, par exemple, d’un établissement public de coopération intercommunale, composé d’élus issus des organes délibérants des communes qui le composent et qui n’est pas une collectivité territoriale).
En d’autres termes, dès lors qu’un arrondissement est doté d’un organe délibérant qui lui est propre, c’est-à-dire qui est élu par une élection spécifique, ses actes ne peuvent plus être pris au nom de la commune dans laquelle il s’inscrit, puisque les deux collectivités sont déconnectées.
Ses actes lui sont directement, spécifiquement et exclusivement imputables.
23. Il en résulte que la loi déférée a pour conséquence de créer des nouvelles collectivités territoriales, mais sans les qualifier de collectivités territoriales.
Une telle hypothèse ne serait possible que si ces collectivités territoriales relevaient d’une catégorie prévue par la Constitution.
Or tel n’est pas le cas : l’arrondissement n’est pas mentionné à l’article 72 de la Constitution, ni dans aucune autre disposition constitutionnelle.
Par conséquent, la création de ces collectivités territoriales aurait dû opérer selon les règles prévues par ce même article 72, c’est-à-dire par qualification législative.
L’absence de qualification législative rend donc cette création tacite contraire à la Constitution et, en particulier, à son article 72. C’est donc à nouveau l’ensemble de la loi que vous devrez déclarer contraire à la Constitution.
B) Sur l’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales et à l’interdiction d’une tutelle d’une collectivité territoriale sur une autre
24. Si vous ne nous suivez pas sur notre argumentation précédente et si vous considérez qu’une nouvelle catégorie de collectivités territoriales peut être créée de façon tacite, alors vous devrez constater que cette création engendre une violation de principes constitutionnels.
En effet, vous avez rappelé que, lorsqu’il crée une nouvelle collectivité territoriale sur le fondement de l’article 72 de la Constitution, « le législateur doit se conformer aux règles et principes de valeur constitutionnelle et notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales énoncé au [troisième] alinéa de l’article 72 » (décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, consid. 19).
Par ailleurs, au fil de votre jurisprudence, on a pu identifier une signification générale du principe de libre administration : pour s’administrer librement, les collectivités territoriales doivent être dotées d’un conseil élu et d’attributions effectives (notamment décision n° 85-196 DC du 8 août 1985, Loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, consid. 10).
Il faut ajouter l’exigence désormais consacrée à l’article 72-2 de la Constitution, selon laquelle « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi » et qui est également une composante de la libre administration (notamment décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, consid. 12).
La doctrine converge pour relever que, « énoncées à l’article 72 de la Constitution, les conditions de la libre administration sont au nombre de trois. La première est relative à l’existence de conseils élus. La deuxième a trait à l’existence d’attributions effectives. La troisième […] porte sur l’autonomie financière des collectivités territoriales » . Ainsi, « en résumant la jurisprudence constitutionnelle, on peut rattacher [à la libre administration] la définition d’un seuil minimal de compétences décentralisées et d’un seuil minimal de ressources » .
25. Force est de constater que les arrondissements, s’ils devaient effectivement disposer, du fait de la loi déférée, de conseils élus, sont dépourvus d’attributions effectives et de toute autonomie financière.
Les articles L. 2511-12 à L. 2511-24 du code général des collectivités territoriales fixent les compétences des conseils d’arrondissement. Il ne s’agit que de compétences minimalistes ou consultatives, qui dépendent des compétences de la commune ou de la Ville de Paris.
Il ne saurait s’agir d’attributions effectives, au sens de votre jurisprudence.
Les arrondissements ne disposent pas davantage de la pleine liberté d’organisation, dès lors qu’en vertu de l’article L. 2511-11 du même code, leur conseil peut être réuni à la demande du Maire de la commune ou du Maire de Paris, par exemple.
De surcroît, les arrondissements ne disposent d’aucune autonomie financière, leur budget dépendant intégralement de celui de la Mairie centrale, ainsi que le prévoient les articles L. 2511-36 à L. 2511-45 du même code.
Par conséquent, l’ensemble de ces dispositions portent directement atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, dont peuvent se prévaloir les arrondissements dès lors que, élus par un scrutin spécifique et dotés d’un conseil élu qui leur est propres, ils deviennent des collectivités territoriales.
Enfin, en sus de ne pas garantir la libre administration des arrondissements, ces dispositions instaurent une tutelle de la commune ou de la Ville de Paris sur les arrondissements qui les composent.
26. En définitive, vous pourriez retenir que la loi que nous vous déférons n’a pas pour conséquence de transformer les arrondissements en collectivités territoriales.
Cependant, dans ce cas, le dédoublement de l’élection et la création d’un scrutin propre pour désigner les conseils d’arrondissement, distinct de celui destiné à désigner le conseil de Paris et les conseils municipaux de Lyon et Marseille, contredisent le principe de sincérité, de clarté et de loyauté du scrutin, ainsi que nous l’avons démontré en première partie.
À l’inverse, si vous retenez que ce dédoublement de l’élection ne porte pas atteinte au principe de sincérité, de clarté et de loyauté du scrutin, alors l’élection du conseil d’arrondissement a nécessairement pour objet de créer un organe spécifique, qui ne peut être que celui d’une collectivité territoriale.
La loi déférée aurait alors pour conséquence de créer une nouvelle catégorie de collectivités territoriales, en contrariété avec les exigences prévues par l’article 72 de la Constitution.
Mais si par extraordinaire vous admettiez qu’une telle catégorie peut être créée de façon tacite, alors vous serez contraints de relever que ces nouvelles collectivités territoriales ne bénéficient pas des garanties suffisantes du principe de libre administration et qu’en les créant, le législateur a violé la Constitution.
Dans tous les cas, vous devrez déclarer la loi que nous vous déférons contraire à la Constitution.
III. SUR L’ATTEINTE AU PRINCIPE D’EGALITE
27. La loi que nous vous déférons porte atteinte au principe d’égalité, en ce qu’elle n’étend pas la création d’arrondissements à des villes de taille équivalente (A) et en ce qu’elle déroge aux règles électorales applicables à l’ensemble des communes (B).
A) Sur la création des secteurs dans les villes les plus peuplées de France
28. Le principe d’égalité est préservé par plusieurs dispositions constitutionnelles et, en particulier, par l’article 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789, qui dispose que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ».
Nous savons que, selon votre jurisprudence constante, « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit » (notamment mentionné dans votre décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018, Loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, § 15).
Le principe d’égalité s’applique à l’égard des collectivités territoriales.
Ainsi, vous avez censuré une disposition qui attribuait une compétence au conseil de Paris alors que dans toutes les autres villes de France, y compris à Lyon et Marseille, elle était attribuée au Maire (décision n° 2009-588 DC du 6 août 2009, Loi réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires, consid. 23).
Vous avez également déclaré contraire à la Constitution un traitement différencié entre les communes de métropole et celles situées outre-mer, alors qu’il n’était justifié ni par l’objet de la loi ni par un motif d’intérêt général (décision n° 2021-943 QPC du 21 octobre 2021, Commune du Port [Exclusion des communes d’outre-mer de la faculté de majorer les indemnités de fonction des élus municipaux des communes attributaires de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale], §§ 5 à 8).
29. Ce principe s’applique également en matière d’élections des collectivités territoriales.
Ainsi, c’est au regard du principe d’égalité que vous avez validé, dans la loi regroupant dans le temps les élections aux conseils généraux et aux conseils régionaux, des distinctions entre les élus du point de vue de la durée de leur mandat et entre les électeurs, dont les votes valaient pour des périodes différentes. En effet, ces différences de traitement, limitées et devant se résorber à terme, étaient la conséquence d’une réforme visant à assurer une participation accrue du corps électoral aux élections en cause. Elles trouvaient ainsi une justification dans des considérations d’intérêt général en rapport avec l’objet de la loi déférée (décision n° 90-280 DC du 6 décembre 1990, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, consid. 14 à 17).
De même, les regroupements de consultations électorales municipales et cantonales opérés par la loi rétablissant le renouvellement triennal par moitié des conseils généraux introduisaient des différences de situation car ils s’accompagnaient de modalités d’organisation de nature à éviter toute confusion dans l’esprit des électeurs. Cependant, ces différences n’apparaissaient que comme la conséquence d’une réforme qui répond à la volonté du législateur d’assurer la mise en œuvre des objectifs qu’il s’est fixés et elles ne portaient donc pas atteinte au principe d’égalité (décision n° 93331 DC du 13 janvier 1994, Loi rétablissant le renouvellement triennal par moitié des conseils généraux, consid. 11).
Enfin, vous avez retenu que les règles spécifiques prévues pour mettre en œuvre le principe de parité au sein de l’Assemblée de Corse, qui divergeaient de celles applicables pour les autres assemblées régionales, étaient contraires au principe d’égalité (décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003, précitée, consid. 26).
30. La justification originelle de la division de Paris, Lyon et Marseille en arrondissements était leur taille : il s’agissait, en 1982, des trois plus grandes villes de France.
Il est ainsi apparu opportun au Gouvernement, soutenu par la majorité de l’époque, de créer un niveau intermédiaire, plus proches des administrés.
Les lois du 31 décembre 1982 répondaient alors à un souci de démocratisation et de décentralisation, comme ce fut rappelé à plusieurs reprises dans les travaux préparatoires.
Dans votre décision relative à l’une de ces lois, vous releviez justement que, « si les dispositions critiquées par les auteurs de la saisine dérogent, pour les trois plus grandes villes de France, au droit commun de l’organisation communale, elles ne méconnaissent pas pour autant la Constitution » (décision n° 82-149 DC du 28 décembre 1982, précitée, consid. 6).
31. Si, lors du dernier recensement officiel, Paris, Marseille et Lyon demeuraient les trois premières villes de France en termes de population, la ville de Toulouse, désormais quatrième ville, avait une population très proche de celle de Lyon : 516 735 habitants pour la première et 526 912 habitants pour la seconde, au 1er janvier 2022 .
Surtout, le dynamisme de la ville de Toulouse laisse penser qu’au prochain recensement, elle connaîtra une population supérieure à celle de Lyon.
Désormais, plus aucun motif ne justifie une différence de traitement entre, d’une part, Paris, Marseille et Lyon et, d’autre part, Toulouse, dont la population est désormais extrêmement proche, voire supérieure à la troisième de ces trois villes : ni l’objet de la loi et des dispositions qui instaurent
les arrondissements, qui est de créer un échelon intermédiaire entre les administrés et la commune dans les villes les plus peuplées, ni un motif d’intérêt général, que le législateur n’a nullement mis en avant.
Par conséquent, si le législateur souhaitait réformer l’organisation et le mode d’élection de ces trois grandes villes, il ne pouvait le faire sans tenir compte de l’évolution de la population dans les autres villes de la République, ce qui devait le contraindre à appliquer le même modèle à la ville dont la population est très proche de la troisième ville concernée par la réforme.
À défaut, il porte une atteinte au principe d’égalité manifestement injustifiée.
En définitive, en n’intégrant pas Toulouse dans la réforme introduite par la loi déférée, cette dernière viole le principe d’égalité. Vous devrez donc la déclarer contraire à la Constitution.
B) Sur la prime majoritaire de 25%
32. Le treizième alinéa de l’article 1er de la loi que nous vous déférons introduit une dérogation dans le droit commun des élections municipales.
En effet, selon l’article L. 262 du code électoral, la liste qui a obtenu la majorité absolue des suffrages au premier tour ou qui arrive en tête au second tour obtient, de droit, la moitié du nombre de sièges à pourvoir au sein du conseil municipal.
C’est ce que l’on appelle communément la « prime majoritaire de 50% ».
La loi déférée réduit cette prime majoritaire à 25% pour le conseil de Paris et les conseils municipaux de Lyon et Marseille.
Or aucun motif ne justifie une telle différence de traitement.
D’une part, l’objet de la loi, qui est d’établir une élection directe des organes délibérants des trois plus grandes villes de France, est sans lien avec la prime majoritaire, donc l’introduction d’une prime majoritaire minorée dans ces grandes villes.
D’autre part, aucun motif d’intérêt général ne justifie suffisamment cette minoration de la prime majoritaire. En effet, le seul motif qui pourrait être invoqué serait la population, mais comme nous venons de le démontrer (supra, § 31), ce motif ne serait valable que si la minoration était au moins étendue à la ville de Toulouse.
Tel n’est pas le cas.
33. Enfin, vous avez déjà jugé que le statut de l’ensemble des collectivités territoriales qui relèvent d’une même catégorie de collectivités doit être homogène.
Ainsi, à l’égard des départements et des régions d’outre-mer, qui devaient d’être dotés d’une assemblée unique, vous avez retenu qu’il résultait des dispositions des articles 72 et 73 de la Constitution « que le statut des départements d’outre-mer doit être le même que celui des départements métropolitains sous la seule réserve des mesures d’adaptation que peut rendre nécessaires la situation particulière de ces départements d’outre-mer ; que ces adaptations ne sauraient avoir pour effet de conférer aux départements d’outre-mer une “ organisation particulière ”, prévue par l’article 74 de la Constitution pour les seuls territoires d’outre-mer » (décision n° 82-147 DC du 2 décembre 1982, Loi portant adaptation de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion, consid. 4).
Vous en avez déduit que cette organisation spécifique à l’outre-mer était contraire à la Constitution, car elle dérogeait au droit commun.
34. La situation est identique en l’espèce.
L’impossibilité de déroger au droit commun est d’autant plus probante qu’il ne s’agit pas de collectivités situées en outre-mer, où des adaptations sont possibles.
Au contraire, il s’agit de deux communes (Lyon et Marseille) et d’une collectivité particulière (la Ville de Paris), dont le statut est totalement aligné sur celui des communes, en particulier en matière électorale.
En définitive, la minoration de la prime majoritaire introduite par la loi déférée contrevient aux règles générales d’organisation des communes, introduisant une différence de traitement qui n’est pas justifiée. Elle porte ainsi atteinte au principe d’égalité.
Vous devrez donc la déclarer contraire à la Constitution.
Pour tous ces motifs et ceux que vous relèveriez d’office, les requérants vous invitent à censurer les dispositions contestées de la loi visant à réformer le mode d’élection des membres du conseil de Paris et des conseils municipaux de Lyon et de Marseille.
Nous vous prions, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil constitutionnel, d’agréer l’expression de notre haute considération.