Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cela se confirme, le Brexit sera le principal sujet de préoccupation de ce prochain Conseil européen, non pas que les autres points ne soient pas importants, mais parce qu’il y va du devenir même de l’Union européenne.
La problématique migratoire risque bien sûr de peser lourd dans le référendum britannique. Du moins, c’est le pari fait par le Premier ministre David Cameron. Selon lui, si le Royaume-Uni venait à sortir de l’Union européenne, la « jungle de Calais » serait transplantée dans le Kent et les termes du traité du Touquet conclu par Londres et Paris en 2003 seraient directement remis en cause.
Même si le Premier ministre britannique, en tenant ces propos, pense prendre le contre-pied des partisans du Brexit, qui assurent qu’une sortie de l’Union européenne permettrait au Royaume-Uni de reprendre le contrôle de ses frontières, il n’est pas pensable de ramener l’Union européenne à cette seule question dans un moment aussi grave.
L’Union européenne doit faire face aujourd’hui à des flots de réfugiés, qui fuient la guerre, la terreur, la misère, l’inhumanité… Est-il digne de l’Europe et de la France de les accueillir dans des conditions inhumaines et même, pour certains, de les renvoyer dans leur « pays », où l’on sait qu’ils risquent leur vie ? Ayons le courage de construire une véritable Europe solidaire ! L’histoire nous a déjà montré où menait le repli sur soi et le rejet de l’autre. (M. David Rachline s’exclame.)
Pour revenir sur la question du Royaume-Uni, le président du Conseil européen a présenté l’aboutissement des premières négociations concernant la proposition de compromis.
À un moment où l’Europe doit faire face à un nombre important de défis, comme la crise des réfugiés, les enjeux climatiques, la hausse du chômage, l’augmentation spectaculaire des inégalités et de la pauvreté, il me semble que le programme de réforme du Premier ministre britannique aurait dû s’intégrer dans un débat beaucoup plus large sur l’avenir même de l’Union européenne. Nous regrettons profondément que cette occasion ait été manquée.
De plus, nous parlons de l’avenir de l’Europe, et la façon de procéder n’est pas acceptable. Il est inconcevable que ces décisions importantes soient prises en dehors du cadre commun prévu par les traités, en les réduisant à une simple négociation intergouvernementale. Nous insistons sur ce point, les décisions fondamentales concernant l’avenir de l’Union doivent être prises par l’intermédiaire de modifications du droit primaire de l’Union, à l’aide de la procédure ordinaire de révision des traités, ou, le cas échéant, par le droit dérivé de l’Union européenne.
Autre fait marquant lors de ces négociations, le Conseil européen met clairement sur la touche, s’agissant de questions aussi fondamentales, le Parlement européen et les parlements nationaux.
Concernant la gouvernance économique, l’approfondissement de l’Union économique et monétaire doit être lié selon nous à la construction d’un modèle social ambitieux, pour une union non seulement économique, mais aussi sociale et solidaire.
En outre, nous insistons sur la nécessité d’un cadre de gouvernance économique qui permette non seulement à tous les États membres de poursuivre la politique économique et sociale répondant à leurs besoins spécifiques, mais aussi de prendre en considération l’intérêt commun de l’Union dans son ensemble.
Sur la question de la souveraineté, la citoyenneté européenne, telle qu’elle est consacrée dans le traité, est l’un des principes fondamentaux de l’Union et les droits prévus sont garantis par l’appartenance commune à l’Union européenne ainsi que par le respect intégral des prérogatives nationales et régionales.
Quant à la proposition de « carton rouge », elle devrait être révisée. Ainsi, une majorité de 55 % des parlements nationaux devrait entraîner le retrait ou la modification de la proposition de la Commission, et non pas simplement l’arrêt de la procédure législative devant le Conseil.
Enfin, sur les questions sociales et de liberté de circulation, le droit à la libre circulation, l’une des quatre libertés fondamentales, nous paraît intangible, alors qu’il est mis à mal dans les propositions du Conseil européen. Notre groupe rejette l’idée du « frein d’urgence » en matière de libre circulation. Une révision de la législation de l’Union européenne nous paraît indispensable pour assurer ce principe.
La limitation de l’accès aux formes de protection sociale doit être selon nous fermement rejetée. Tous les travailleurs en provenance de l’Union européenne ou de pays tiers ont le droit d’avoir accès au même niveau de sécurité sociale que les ressortissants de l’État membre d’accueil.
D’ailleurs, nous pensons que l’Union européenne devrait encourager, dans les États membres, la mise en œuvre de systèmes complets de sécurité sociale, qui constitueraient la base solide d’un premier « pilier social » de l’Union européenne.
Évidemment, on nous dit qu’il n’y a pas suffisamment d’argent pour permettre le développement d’une politique sociale ambitieuse au niveau européen. Pourtant, nous apprenions dernièrement qu’un géant du meuble en kit aurait soustrait à l’impôt « plus d’un milliard d’euros » en six ans, et ce en toute légalité, par le jeu de l’optimisation fiscale.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Éric Bocquet. L’an dernier, les révélations de l’affaire LuxLeaks ont bien montré les raisons pour lesquelles des milliards d’euros manquent aux États de l’Union. Malgré de bonnes intentions – je pense à la directive relative au principe d’un échange automatique d’informations sur les accords fiscaux passés entre États et multinationales ou encore à celle qui vise à taxer les profits dans les pays dans lesquels ils sont réalisés –, la question d’une véritable harmonisation fiscale n’est pas abordée dans sa globalité.
Pourtant, on pourrait ainsi développer de nombreux projets au service des citoyens et investir massivement dans les infrastructures de demain, ainsi que dans l’économie réelle. Nous le voyons bien, ce n’est absolument pas la voie choisie pour le moment au niveau européen, et encore moins par la Banque centrale européenne. Cette dernière continue d’injecter depuis près d’un an sur les marchés financiers 60 milliards d’euros chaque mois. Cet « assouplissement quantitatif » devait permettre une relance de l’économie. Toutefois, force est malheureusement de le constater, cette politique contribue pour l’instant à nourrir la bulle financière. Depuis sa mise en œuvre, elle n’a eu quasiment aucun effet sur l’économie réelle.
La politique monétaire européenne ne risque-t-elle pas d’introduire les ferments d’une nouvelle crise financière majeure ? D’après certains analystes financiers, la bulle spéculative créée par l’institution financière risque très prochainement d’exploser. Cette fois-ci, personne ne pourra dire « je ne savais pas ». Pourquoi la Banque centrale européenne ne prête-t-elle pas aux pays pour relancer l’économie au travers de grands investissements et de programmes de recherche et de développement ambitieux, pour rattraper le retard pris par l’Union européenne dans certains domaines ?
Certes, il s’agirait de mesures non conventionnelles. Mais l’assouplissement quantitatif n’est-il pas également non conforme aux prérogatives originelles de la BCE ? La question d’une intervention directe auprès des États est-elle toujours taboue ? Selon nous, elle mérite plus que jamais d’être posée. (