Monsieur le Premier ministre, à l’heure où je vais prendre la parole, l’exercice est difficile puisque tous les commentateurs se sont entendus pour dire que la gauche « raisonnable » a tourné le dos à la gauche d’opposition claire à E. Macron pour faire le choix d’une forme de soutien sans participation. Finalement donc, à quoi bon discuter aujourd’hui puisque la censure ne serait pas votée demain ?
Monsieur le Premier ministre, comme vous avez vous-même utilisé la métaphore religieuse en vous définissant comme un moine soldat, je vais vous rappeler le péché originel : c’est celui qui fait que vous êtes aujourd’hui Premier ministre, alors même que, suite à des élections législatives anticipées à l’été 2024, vous avez été battu. Certes, aucune majorité absolue n’en est ressortie. Mais il y a une certitude, votre camp a été battu et, à quatre reprises, E. Macron a bafoué le vote des électeurs en nommant un Premier ministre de son camp.
Monsieur le Premier ministre, vous nous avez beaucoup parlé ces derniers temps de rupture, de volonté de compromis, de volonté de coalition, laissant finalement reposer la responsabilité de tout ceci sur les forces de gauche. Or, Monsieur le Premier ministre, vous ne pouvez masquer le fait que le seul responsable du chaos politique et institutionnel actuel, c’est le Président de la République.
Et de vous à moi, les annonces que vous avez faites ne vous permettront pas de durer. Alors bien évidemment, certains en se satisfaisant d’un plat de lentilles, prolongent le jour sans fin de la macronie. Mais quand les lentilles ne sont pas cuites, le plat est indigeste.
Alors, nous sommes face à une réalité, la Constitution n’a jamais prévu que les gouvernants et les représentants du peuple ne respectent pas le suffrage du peuple. Nous en sommes donc là aujourd’hui et vous continuez tant bien que mal à toujours vouloir garder le pouvoir contre l’avis de ceux qui se sont exprimés. Je veux vous le dire en toute sincérité, cela ne marche pas, et cela ne marchera pas. Voyez-vous, monsieur le Premier ministre, nous sommes aujourd’hui réunis dans un moment solennel, celui d’une crise politique que nous pouvons qualifier de sans précédent depuis 1958. Nous ne pouvons que regretter que vous n’ayez pas recours au vote de confiance sur votre politique et votre projet qui ne peut se résumer au discours de politique générale. Dans un discours, en politique, l’essentiel est souvent ce qui n’est pas dit. Vos projets budgétaires sont la copie aggravée de ceux de M. Bayrou.
Sommes-nous d’accord sur le gel de l’indexation des salaires et des pensions de retraite, la diminution de l’APL, des minima sociaux et j’en passe… ? NON.
Sommes-nous d’accord sur la hausse des franchises médicales ? NON.
Sommes-nous d’accord pour baisser de 5 milliards le budget aux collectivités ? NON.
Sommes-nous d’accord pour un nouvel acte de décentralisation qui ne garantit ni la libre administration ni l’autonomie fiscale aux collectivités ? NON.
Pouvons-nous nous satisfaire du non-recours à l’article 49-3 alors qu’il existe des dizaines d’autres « super pouvoirs » aux mains du gouvernement ? Là encore, la réponse est NON.
C’est l’un des points clefs de « l’enfumage » auquel nous assistons. Il faut le dire clairement, l’exécutif garde la main sur la procédure budgétaire, 49-3 ou non. C’est la loi de la Vème République.
Rappelons en quelques-uns : d’abord celui de l’article 40 qui ne permet pas au Parlement d’engager toute dépense sans l’accord du gouvernement. Un second est le vote bloqué par le 44-3. Nous allons continuer par celui qui implique la possibilité d’une deuxième délibération. Nous allons enfin terminer cette liste non exhaustive par celui que vous avez tu, celui des ordonnances budgétaires. Vous dites laisser du temps au débat en sachant très bien que le délai constitutionnel de 70 jours ne suffira pas. Les ordonnances sont un super 49-3 qui vous permettront d’imposer un budget.
Soyez clairs, pouvez-vous nous dire aujourd’hui que vous n’aurez pas recours aux ordonnances budgétaires ? Les Français doivent le savoir, la gauche doit le savoir. Parce que voyez-vous si demain certains vous épargnent une censure et vous croient profondément sincère à ne pas utiliser le 49 -3, ont-ils seulement réfléchi à votre capacité à utiliser les ordonnances et de contraindre le parlement à des compromis boiteux.
Monsieur le Premier ministre, la politique générale dévastatrice menée depuis 2017, les dénis de démocratie successifs poussent nos concitoyens au dégagisme, à sortir tous ceux qu’ils jugent responsables de la situation.
Êtes-vous prêts à assumer cette exigence des citoyens de notre pays ? Sommes-nous prêts à repenser demain notre rapport à la politique et aux institutions pour réellement redonner le pouvoir au peuple qui, lui seul, détient le pouvoir de décider conformément à la Constitution et dont nous sommes simplement ses représentants. Voyez-vous, je fais partie de ceux qui pensent que seul le peuple est souverain et que seule sa décision m’importe.
Monsieur le Premier Ministre, on peut toujours tordre le bras à la démocratie, mais à trop lui tordre, c’est elle-même qui vous broie.
Mesdames et Messieurs les ministres présents aujourd’hui. Qui êtes-vous ? À quoi avez-vous cru ? Avez-vous réellement cru qu’il n’y avait pas de lignes rouges entre nous alors que depuis des mois la droite elle-même affirme ses propres lignes rouges : maintien de la réforme des retraites, pas de justice fiscale, pas d’égalité entre les citoyens. Avez-vous cru ces clivages dépassés ? Là encore, c’est NON. Car je veux vous dire avec franchise, vous ne les dépasserez pas, car servir les intérêts des nantis est dans l’ADN d’E. Macron. La censure de votre gouvernement est donc une exigence pour sanctionner cette politique qui a mis la France et son peuple à genoux. Elle est une exigence pour tous ceux, et je m’adresse tout particulièrement à gauche de cet hémicycle, qui veulent tourner clairement sans ambiguïté la page du macronisme, qui veulent ouvrir sans chausse trappe la voie de la justice fiscale et sociale. Laisser croire que votre gouvernement peut répondre aux aspirations populaires est selon nous une tromperie que nous ne pouvons accepter.
Monsieur le Premier ministre, vous répondrez dans quelques instants que j’ai tort, mais alors pourquoi ne pas avoir engagé votre responsabilité comme l’a fait F. Bayrou le 8 septembre en déclenchant le vote de confiance puisque vous êtes si sûr de vous ? Celles et ceux qui voteront la censure demain ne sont pas des irresponsables, ils sont au contraire des élus responsables au regard des Français qui veulent encore et toujours l’abrogation de la réforme des retraites et certainement pas une retraite par capitalisation, ils sont responsables au regard des Français qui n’en peuvent plus de se serrer la ceinture et qui exigent de la justice fiscale, ils sont responsables au regard des Français et au regard du projet de loi de finances, du projet de loi de financement de la sécurité sociale, que vous avez déposés hier avec un lot de mesures qui vont broyer les travailleurs que vous avez tant cités hier.
Ce qui fait démocratie, c’est en premier lieu, le respect du vote populaire.
Si la crise du régime guette, c’est bien parce que ce pilier fondateur de la République, le suffrage universel, a été bafoué.
La censure d’un tel affront démocratique est inéluctable pour ne pas prolonger cette politique honnie.
Nous y sommes prêts.