Le groupe CRCE n’a cessé de dénoncer la loi sur l’Orientation et la réussite des étudiants (ORE) comme une entreprise de libéralisation de l’enseignement supérieur et Parcoursup un outil de sélection sociale. Au Sénat, nous nous sommes attachés à révéler les mécanismes complexes et subreptices de l’exclusion qu’ils organisaient. Désavouant le discours gouvernemental lénitif sur la transparence du nouvel algorithme, nous nous sommes efforcés de montrer que des opérations de sélection étaient au contraire réalisées au sein des établissements, selon des procédures opaques et discriminatoires, les fameux « algorithmes locaux ».
J’ai saisi la ministre pour en obtenir la communication, puis, n’ayant obtenu aucune réponse, la commission d’accès aux documents administratifs et enfin plusieurs Sénatrices et Sénateurs du groupe CRCE ont écrit directement à quelques universités, toujours sans succès. En dernier ressort, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a été saisi sur ces pratiques que nous considérions discriminatoires. Dans son avis rendu le 18 janvier dernier, il considère qu’il est indispensable que les établissements rendent publics les éléments de classements des dossiers (algorithmes locaux) et que « le recours au critère du lycée d’origine pour départager les candidats en favorisant certains candidats ou en en défavorisant d’autres en fonction du lieu géographique dans lequel l’établissement est situé peut être assimilé à une pratique discriminatoire, s’il aboutit à exclure des candidats sur ce fondement ».
L’analyse du Défenseur des droits et les préconisations qu’il en tire viennent conforter les positions politiques défendues par le groupe CRCE depuis bientôt un an. Il est inadmissible que le Gouvernement ait entravé les demandes qu’il lui a adressées afin d’exercer ses missions d’évaluation des politiques publiques, reconnues par l’article 24 de la Constitution. Ce travail de contrôle n’aurait pu être mené à son terme sans la saisine du Défenseur des droits ! L’obstruction du Gouvernement montre bien à quelle place subalterne il souhaite maintenir le Parlement et combien il veut s’affranchir de son contrôle pour appliquer à la lettre et expéditivement un plan politique conçu durant la campagne. Le Défenseur des droits a demandé à la ministre chargée de l’enseignement supérieur de lui « rendre compte des suites données [à ses] recommandations ». Le groupe CRCE continuera de se battre, au Sénat, pour que les lycéens disposent des mêmes droits d’accès à l’enseignement supérieur. Il défend ainsi le projet républicain d’une université ouverte à toutes et tous et au service de l’émancipation. Il s’opposera avec la plus grande vigueur au projet libéral de création d’un marché de l’éducation qui met en concurrence les institutions et les individus et en réserve un accès préférentiel aux catégories les plus favorisées.
Poursuivant ce plan de démantèlement du service public de l’enseignement supérieur, le Gouvernement vient d’annoncer que les droits d’inscription seront augmentés pour les étudiants extra-communautaires dans des proportions extravagantes : plus de quinze fois leur montant actuel ! Cette mesure a été prise sans aucune concertation et contre l’avis général unanime des universités, des enseignants et des étudiants. Le Gouvernement, dans son refus de dégager des moyens budgétaires supplémentaires pour permettre aux universités de satisfaire la hausse continue du nombre d’étudiants, a choisi de faire supporter aux usagers les besoins financiers nouveaux. Il s’attaque, dans un premier temps, aux étudiants extra-communautaires en avançant l’argument démagogique qu’il est logique de leur demander de participer au financement d’un service parce que leurs parents ne payent pas d’impôts en France. Jusqu’alors, l’université avait aussi pour mission de participer au rayonnement de la pensée française, de défendre par l’enseignement les valeurs humanistes et universalistes de notre République et de contribuer à renforcer la diplomatie et les relations économiques de notre pays dans le monde.
Ce projet, dont certaines dérives néo-colonialistes étaient discutables, est remplacé par une analyse purement mercantiliste qui considère les étudiants extra-communautaires comme des profiteurs ou des pourvoyeurs de ressources ! Malgré la mobilisation de la communauté universitaire, ce plan d’augmentation des droits sera appliqué dès la rentrée de septembre 2019. Il est à craindre qu’il dissuade de nombreux étudiants d’étudier en France et notamment celles et ceux qui viennent d’Afrique. L’année prochaine, la France qui était la cinquième destination mondiale va régresser d’une ou deux places dans ce classement au profit de l’Allemagne ou de la Russie.
De nombreux étudiants qui choisissaient les universités françaises, pour ce qu’elles représentaient encore pour eux, iront ailleurs et il est fort probable que cette mesure destinée aussi à leur procurer de nouvelles ressources accroissent davantage les disparités et la concurrence entre ces établissements. De Parcoursup en droits différenciés, les derniers vestiges du projet d’une université émancipatrice sont engloutis par la vague libérale.