Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Un immense espoir déçu

Bilan de la loi de 2005 sur le handicap -

Par / 12 mars 2015

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’occasion des dix ans de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le groupe CRC a proposé l’organisation d’un débat, afin de dresser le bilan de ce texte.

Je me félicite de la tenue de ce débat, car il me semble que le sujet du handicap est trop souvent négligé.

Ce débat est important parce qu’il renvoie aux valeurs de notre République, à notre capacité à incarner ces valeurs par des actes, ce qui implique de garantir la liberté de circuler, d’être maître de sa vie. Cela implique aussi l’égalité réelle de tous les citoyens en matière d’accès aux soins, d’éducation, de formation, de travail, notamment, et ce malgré les déficiences physiques ou psychiques. Cela implique, enfin, d’être fraternel et solidaire, de créer un vivre ensemble dans lequel toutes et tous, malades, bien portants, personnes âgées, jeunes, personnes en situation de handicap, toutes et tous donc, disais-je, cohabitent en se préoccupant des besoins de l’autre, et en intégrant le fait que ce qui est bon pour l’autre peut aussi l’être pour soi-même.

Mes chers collègues, vous noterez que j’ai employé les termes « personnes en situation de handicap ». Cette expression n’a pas été choisie au hasard. En effet, elle englobe une réalité : au-delà de la déficience physique ou mentale, c’est l’environnement qui créée la situation de handicap. J’en veux pour preuve tout simplement une mère ou un père avec une poussette bloqués en bas d’un escalier à cause d’un ascenseur en panne. En l’espèce, c’est bien l’environnement qui crée la situation de blocage, de handicap.

L’une des carences de la loi de 2005 est justement de ne pas avoir adopté cette définition, pourtant retenue par la convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées qui précise que le handicap n’est pas seulement dû à l’altération de différentes fonctions, mais qu’il résulte de l’interaction entre incapacités et barrières diverses.

Ces barrières sont celles que nous construisons quand nous ne prenons pas en compte le handicap dans nos réflexions, par exemple en termes d’aménagement du territoire. Ces barrières sont également celles sur lesquelles, nous, femmes et hommes politiques, pouvons et devons agir.

Or, pour l’instant et malgré des progrès non négligeables, des millions de nos concitoyens voient leurs droits bafoués. À cet égard, je citerai quelques chiffres, car, derrière les discours, il y a la réalité : 6 millions de personnes, c’est-à-dire la moitié de l’agglomération parisienne, sont concernées par une limitation physique, dont 594 000 sont en fauteuil roulant. Ce sont 594 000 personnes dont les déplacements sont chaque jour entravés par des trottoirs cabossés, des portes trop étroites, des transports inaccessibles. Au moins une fois dans leur vie, ces personnes sont restées en bas de l’escalier à cause d’un ascenseur en panne ou inexistant. Et je ne parle même pas de l’ascenseur social…

À ces concitoyens s’ajoutent 5,4 millions de personnes en situation de handicap auditif, dont la communication est altérée, parce que n’avons pas les réflexes adéquats, tel le recours à l’écrit, ou parce que les supports audiovisuels restent encore trop peu traduits dans la langue des signes. Sans oublier les 1,7 million de personnes en situation de handicap visuel. Une meilleure accessibilité, combinée à l’engagement de chacun d’entre nous, leur permettrait d’être autonomes dans leurs déplacements. Essayons d’imaginer, par exemple, l’immense difficulté à laquelle est confronté un malvoyant dans la gare de Lyon un jour de grand départ !

S’ajoutent encore 2,4 millions de personnes handicapées mentales, avec lesquelles, de nouveau, nous ne savons pas ou trop peu interagir.

Enfin, au-delà des handicaps liés à l’altération de certaines fonctions, la situation de handicap concerne aussi, comme je l’ai dit précédemment, les 2 millions de personnes qui chaque année se déplacent avec une poussette, les 805 000 femmes enceintes pour lesquelles la station debout peut être difficile, ou encore les personnes âgées – ne l’oublions pas, 9 % de la population ont plus de soixante-quinze ans. L’ensemble de ces personnes ne doivent pas être oubliées, ni mises au second plan en termes de politiques publiques.

La loi de 2005 constituait un réel espoir, après trente ans de néant. Comme l’indiquait Michelle Demessine lors de la discussion du projet de loi, le sentiment général était, pourtant, à la déception. Il était question de concrétiser le vivre ensemble, mais, au final, le texte adopté, même s’il comportait certaines avancées, prévoyait des moyens financiers et humains insuffisants.

Cela a conduit à la situation que nous connaissons aujourd’hui : l’accessibilité n’est que partielle sur notre territoire, les aides humaines et techniques font défaut, les places en institutions spécialisées sont en nombre insuffisant, ce qui oblige des milliers d’adultes handicapés à rejoindre la Belgique.

Pour faire le point de manière plus précise, j’aimerais établir le bilan de cette loi sur chacun des grands thèmes qu’elle abordait, en m’attardant sur certains sujets mis en lumière par l’actualité.

La loi du 11 février 2005 prévoyait de créer des maisons départementales des personnes handicapées, les MDPH. Dirigées par les conseils généraux, elles centralisent l’information à destination des personnes handicapées, ainsi que l’octroi de ressources. Elles sont ainsi responsables du versement de l’allocation aux adultes handicapés, l’AAH, de la prestation de compensation du handicap, la PCH, créée par la loi de 2005, ou encore de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, l’AEEH. Les MDPH gèrent également le fonds de compensation, utilisé pour fournir des prestations extralégales, souvent pour financer des restes à charge.

Dès 2005, nous pointions du doigt un risque de conflit d’intérêts, le conseil général étant à la fois juge et partie : juge parce qu’il participe à l’évaluation des besoins de demandeurs de prestations, partie parce qu’il finance lesdites prestations. Nos craintes ont été confirmées, notamment par l’Association des paralysés de France, qui dénonce l’ingérence de certains conseils généraux.

Au-delà de cette question, les MDPH sont aujourd’hui saturées : le nombre des bénéficiaires potentiels des services de ces établissements a considérablement augmenté, du fait notamment des progrès médicaux ou de l’allongement de la durée de vie. Ainsi, en Moselle, 36 % des personnes ayant un droit ouvert auprès de la MDPH sont âgées de plus de 60 ans.

L’augmentation du nombre de dossiers à traiter pèse sur les délais, qui peuvent aller jusqu’à six mois, y compris dans les situations d’urgence, pour l’obtention d’aides humaines ou techniques, souvent vitales. Elle pèse également sur les conditions d’accueil dans les MDPH : il devient de plus en plus administratif et déshumanisé, alors que les MDPH se voulaient des lieux d’écoute et d’échange. En outre, les décisions concernant l’octroi de la PCH sont prises à la chaîne par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, souvent sans même rencontrer les intéressés. Madame la secrétaire d’État, j’aimerais savoir ce que vous comptez faire pour apporter aux MDPH des assurances quant à leur maintien et à l’amélioration de leur fonctionnement.

La loi de 2005 a donc créé la PCH, c’est-à-dire un droit à compensation, qui est lié non pas au revenu de la personne handicapée, mais à ses besoins et à son projet de vie. Son montant est calculé à partir d’une grille forfaitaire. Ainsi, une personne handicapée ayant droit à six heures d’aide humaine par jour au maximum se voit attribuer un montant de prestation correspondant au paiement de ces heures. Or, les prestataires peuvent pratiquer des tarifs différents de ce que prévoit le barème de la MDPH : la personne handicapée ne pourra alors bénéficier du nombre d’heures d’aide humaine dont elle a besoin, à moins qu’elle ne finance le solde sur ses ressources propres. Les associations constatent ainsi l’existence d’un reste à charge élevé, auquel s’ajoutent d’ailleurs l’achat de médicaments peu ou pas remboursés et le paiement de franchises et de participations forfaitaires.

Sur le plan des ressources, la loi de 2005 permettait notamment le cumul de l’AAH avec un revenu d’activité, tandis que les associations défendaient l’idée de la mise en place d’un revenu d’existence équivalent au SMIC. Nous en sommes loin aujourd’hui : sur les 8,6 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 987 euros par mois, 2 millions sont en situation de handicap ou d’invalidité. Le montant moyen de l’AAH, principale source de revenu pour les personnes en situation de handicap ne pouvant pas travailler, s’élevait à 693 euros en 2014.

La loi du 11 février 2005 traitait également de la scolarisation des enfants en situation de handicap et de l’accès à l’enseignement professionnel et supérieur. Elle privilégiait une scolarisation en milieu ordinaire, mais prévoyait aussi le développement de structures spécialisées.

En termes quantitatifs, le bilan est positif : le nombre d’élèves scolarisés en classes ordinaires a augmenté d’un tiers, et le nombre d’étudiants en situation de handicap a doublé.

Pour autant, beaucoup reste à faire en termes de qualité d’accueil et d’accompagnement des enfants en situation de handicap. Ainsi, la loi prévoyait la transformation des auxiliaires de vie scolaire, les AVS, en accompagnants d’élèves en situation de handicap, ou AESH. Il s’agissait d’en finir avec la précarité des contrats d’AVS et de garantir une meilleure qualification des accompagnants. Or, sur ce point, faute de moyens financiers, les contrats d’AVS peinent à se transformer en contrats d’AESH.

De plus, le Défenseur des droits et l’Association des paralysés de France pointent un défaut d’accompagnement dans les activités périscolaires et extrascolaires, accentué par la réforme des rythmes scolaires. Il oblige trop souvent les parents d’enfants en situation de handicap à renoncer à leur activité professionnelle.

La dernière réforme des rythmes scolaires a renforcé et sanctuarisé le temps périscolaire. Nous ne pouvons que nous féliciter de la prise de conscience par le Gouvernement du besoin d’émancipation culturelle et intellectuelle de nos enfants. Cependant, force est de constater qu’aujourd’hui l’accueil des enfants souffrant de handicap est fortement compromis, voire impossible, par manque de formation des animateurs et, surtout, manque de personnel spécialisé au sein des structures d’accueil. Pourtant, des recommandations – non suivies pour l’heure d’effet – ont été formulées par le Défenseur des droits afin de pallier ces manquements de l’État.

En outre, des dispositions du code de l’éducation, sanctuarisant par exemple le temps périscolaire et le droit à l’éducation pour tous, sonnent bien creux au regard de la réalité à laquelle sont confrontés de nombreux enfants souffrant de handicap, leurs familles, mais aussi les personnels enseignants, bien souvent insuffisamment formés. Je tenais à souligner cette difficulté nouvelle liée au temps périscolaire, apparue depuis la promulgation de la loi de 2005.

Par ailleurs, et j’insiste sur ce point, de trop nombreux bâtiments d’enseignement restent inaccessibles aux personnes en situation de handicap, notamment ceux des établissements d’enseignement supérieur.

Je souhaite également profiter de ce débat pour attirer l’attention sur un point précis, qui montre bien les efforts qu’il nous reste encore à faire.

Savez-vous, madame la secrétaire d’État, qu’un élève dispensé de cours de langues au titre d’un handicap de la parole sera tout de même soumis à l’examen dans la discipline concernée ?

L’article 1er du décret du 11 décembre 2014 stipule en effet de manière étonnante que « les dispenses d’enseignement ne créent pas le droit à bénéficier d’une dispense des épreuves d’examens et concours correspondantes ». Allez y comprendre quelque chose ! C’est là un exemple significatif du parcours du combattant que représente la scolarité pour un jeune en situation de handicap.

En termes d’emploi des personnes handicapées, le constat est similaire : la loi de 2005 renforce les sanctions pour les entreprises n’embauchant pas de personnes en situation de handicap, mais ne prévoit rien en matière de qualité de l’emploi, de formation, de non-discrimination, d’adaptation des postes, etc. C’est ainsi que, selon le Défenseur des droits, l’emploi est le premier domaine dans lequel s’exercent les discriminations liées au handicap. Quant au taux de chômage des personnes en situation de handicap, il est deux fois plus élevé que celui de l’ensemble de la population.

Il est urgent d’agir pour mettre fin à toutes ces discriminations et permettre aux milliers d’élèves en situation de handicap qui vont sortir de nos écoles et universités d’obtenir un emploi.

Ce sujet me préoccupe d’autant plus que le projet de loi dit « Macron » permettra aux entreprises de s’exonérer, au moins partiellement, de cette obligation d’emploi de personnes handicapées, en proposant des stages de « découverte d’un métier » non rémunérés ou en ayant recours à des travailleurs indépendants handicapés, non-salariés.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d’État C’est une demande des associations !

M. Dominique Watrin. Annie David reviendra sur ce point dans la suite du débat.

L’accessibilité est le dernier point sur lequel je souhaite insister, car il trouve un écho dans l’actualité récente.

Déjà en 2005, nous dénoncions un calendrier trop large, pour des personnes qui attendaient depuis trente ans d’être enfin reconnues par la République comme des citoyens et des citoyennes à part entière, ayant le même accès aux droits que les autres. Cette volonté de pouvoir accéder aux bâtiments administratifs, aux écoles, aux établissements de soins, aux lieux de divertissements ou de pratique sportive et culturelle est tout à fait légitime. Il s’agit d’un droit fondamental.

Pourtant, du fait de la pression des lobbies, d’une austérité budgétaire sans précédent pour les collectivités locales et, surtout, faute de volonté politique, le calendrier fixé en 2005 n’a pas été respecté. Si des progrès ont été faits, l’accessibilité n’est pas une réalité en France au 1er janvier 2015. De surcroît, au lieu d’accélérer le processus, d’accentuer la pression, l’ordonnance du 26 septembre accorde des délais supplémentaires pour la mise en accessibilité, et surtout prévoit un nombre si élevé de dérogations qu’elle entérine de fait un retour en arrière.

J’ai parlé de volonté politique : il s’agit, à mon sens, principalement de cela, de notre capacité à rendre prioritaire la mise en accessibilité, malgré les contraintes budgétaires, à faire en sorte que la question du handicap soit prise en compte par l’ensemble des acteurs, guidés par une logique de solidarité, mais aussi par le fait que la mise en accessibilité profite à toutes et tous, et contribue à un meilleur vivre-ensemble.

Ainsi, au lieu de nous contenter de répondre, souvent a minima, aux exigences de la loi en matière d’accessibilité, nous pourrions imaginer le territoire de demain, revoir notre manière de vivre ensemble, innover sur le plan technologique et urbanistique.

L’égalité de traitement des personnes en situation de handicap sur l’ensemble du territoire devrait être garantie par la loi de 2005. Nous en sommes loin. De fortes inégalités existent, liées à la diversité des priorités et des moyens locaux. Les délais de réponse varient par exemple considérablement selon les départements, de même que l’évaluation des besoins, la prise en compte des projets de vie, les niveaux de financement des heures d’aide à domicile, ainsi que l’interprétation des règles. Est-il acceptable que les fonds départementaux de compensation varient autant à situation équivalente ?

Cette inégalité de traitement signe un échec patent. Il faut absolument agir pour établir l’égalité de traitement sur le territoire français.

Pour cela, une volonté politique et une prise en compte globale de la question du handicap et de l’autonomie sont nécessaires.

Madame la secrétaire d’État, je le dis d’emblée, la question du handicap est au cœur de notre société. L’ampleur de la crise économique et sociale constitue un obstacle supplémentaire à l’intégration des personnes en situation de handicap, à l’école, au travail, dans tous les lieux et moments de la vie.

Il faut donc manifester encore plus de courage pour affronter les difficultés, pour accompagner ceux qui font face à des défis que la solidarité et l’esprit de justice sociale peuvent permettre de relever. Je suis persuadé que ce débat, ouvert sur l’initiative du groupe CRC, nous y aidera.

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