Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Une stratégie militaire dans l’impasse

Opération Barkhane -

Par / 9 février 2021

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je veux d’abord saluer la tenue de ce débat et remercier le président de notre commission d’en avoir pris l’initiative. Il n’est plus acceptable de placer le Parlement devant le fait accompli alors que, dans quelques jours à N’Djamena, le Président de la République devrait annoncer une fois de plus d’importantes décisions.

Madame la ministre, vous avez déclaré devant notre commission : « Dire que la France est engluée dans une guerre sans fin est faux. » De notre côté, nous pensons que rien ne serait plus faux que de ne pas interroger sans concession les résultats de l’opération Barkhane.

Vous ne trouverez pas plus farouches opposants aux terroristes islamistes que les communistes. Les démocrates que nous soutenons à travers le monde sont partout pourchassés et tués par ces groupes. Nos combats émancipateurs sont menacés par leurs visées obscurantistes. Mais les huit années de guerre au Mali ont-ils éteint ou propagé le feu du terrorisme islamiste et de tous les entrepreneurs de violence ? Le Mali vit-il davantage en paix qu’il y a huit ans ? Poser ces questions, c’est malheureusement y répondre. De plus en plus de Maliens, les populations civiles des pays du Sahel, ainsi que des militaires, des diplomates, des universitaires français posent ces questions avec nous.

Pour un coût exorbitant – près de 1 milliard d’euros par an depuis huit ans – et plus de 5 000 soldats engagés, nous infligeons – c’est vrai – des pertes aux groupes djihadistes, mais nous ne faisons pas reculer la violence ni baisser les pertes humaines. Au contraire, elles ne font que s’accroître : 55 militaires français ont perdu la vie ; 5 000 Maliens, soldats des armées locales ou civils, ont été tués depuis 2015 ; plus de 4 000 l’ont été dans l’ensemble de la région rien qu’en 2020 ; on comptabilise aussi un demi-million de déplacés dans la sous-région.

La situation humaine, politique et économique du Mali empire. Dans ce contexte de déstabilisation sociale et politique, les islamistes continuent de développer leur sinistre entreprise.

Les leçons des guerres menées au nom de la « guerre contre le terrorisme » ne sont pas tirées. À chaque fois, les pays sont laissés en proie au chaos pour des décennies. La désintégration de la Libye en est un exemple : elle est d’ailleurs directement à l’origine d’une partie des violences armées dans le nord du Mali. Dans quel état laisserons-nous le Mali et les autres pays de la région si nous poursuivons dans cette voie ?

Censés venir pour protéger le Mali, nous jouons aux apprentis sorciers, réveillant les divisions pour trouver des alliés, prétendant choisir entre les bons et les mauvais groupes armés, nourrissant la relance des conflits communautaires, jouant un jeu trouble avec le mouvement national de libération de l’Azawad, suscitant la défiance des Maliens devant le risque d’une partition du pays qu’entérinerait la mainmise de groupes armés islamistes ou non sur le Nord. C’est d’ailleurs pourquoi les accords d’Alger ne peuvent être invoqués comme la solution politique et doivent être profondément révisés. Les islamistes prospèrent sur ces divisions, recrutent en exploitant le désespoir de populations spoliées de toute part.

Nous devons tirer les leçons et tourner la page de Barkhane, car l’impasse est certaine. Il faut créer les conditions d’un départ programmé de nos troupes, afin de lui substituer un nouvel agenda politique, économique et de sécurité pour le Mali et la région.

Cela ne se fera pas en un jour, car le mal est fait. Il ne s’agit évidemment pas d’abandonner le Mali au chaos. Le calendrier du retrait doit être discuté avec le Mali, l’Union africaine et l’ONU ; il doit en outre s’adosser à une nouvelle réponse multilatérale et africaine en matière de sécurité et à un nouvel agenda de coopération.

Notre appui militaire doit être recentré sur le soutien aux armées locales, en retenant la formule d’un comité d’état-major conjoint des forces africaines qui exclue les puissances étrangères.

La France doit soutenir avec vigueur la feuille de route de Lusaka baptisée « Faire taire les armes en Afrique », participer à toute initiative multilatérale visant le désarmement de tous les groupes armés non étatiques, ainsi – c’est très important – que la lutte contre les flux financiers illicites qui subventionnent les trafics, les violences et les guerres en Afrique.

Mais, plus que tout, c’est notre agenda politique qui doit changer. La France et l’Union européenne doivent encourager par tous les moyens, et en priorité sur les territoires les plus délaissés par les pouvoirs publics, de vastes plans d’action pour le développement. Les populations africaines, et singulièrement leur jeunesse, ont les ressources pour le construire et les entretenir.

Les pays africains doivent sortir de la domination et d’un modèle d’économie extravertie, tourné vers les besoins des multinationales et d’élites aisées corrompues, car c’est le mal profond dont nous sommes encore les complices.

La France doit massivement augmenter son aide publique au développement en révisant ses objectifs. Notre pays doit agir sans tarder pour mettre à disposition de ces pays des droits de tirage spéciaux, aujourd’hui non utilisés par les pays riches, afin de redéployer les services publics de l’éducation, de la police, de la justice, de garantir les droits des femmes, d’élaborer une fiscalité générant des ressources endogènes et de garantir une maîtrise locale des ressources et la valorisation de capacités productives propres. Tel est l’intérêt des Africains ; tel est aussi notre intérêt.

Le développement ne doit pas rester le troisième « D », alibi d’une stratégie militaire et diplomatique dans l’impasse. Il doit être l’ambition autour de laquelle tout doit s’organiser.

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