Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Activité des sénateurs

Du quoi qu’il en coûte au quoi qu’il advienne

Par / 3 juillet 2023

Malgré un refus argumenté par le Parlement l’année dernière, le Gouvernement décide, à nouveau, de nous soumettre le projet de loi de règlement de l’année 2021.

Le même texte par définition car vous ne pouvez pas modifier le résultat en exécution du budget de notre pays. Faisant fi des 235 votes contre du Sénat et les 68 abstentions exprimées contre l’année dernière. Faisant également fi des 173 voix contre le texte exprimés en lecture définitive engendrant son rejet par l’Assemblée nationale. Bien que la démocratie parlementaire s’y soit montrer défavorable, vous persistez. Il n’est donc pas surprenant que cette proposition ait été rejeté une nouvelle fois à l’Assemblée Nationale en première lecture.

Monsieur le Ministre, comment expliquez-vous le dépôt de votre projet de loi de règlement hors délai, alors même que c’est vous qui aviez décidé d’avancer ce même délai, lors de la révision de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF ? Sur ce point, le projet de loi de règlement pour 2022, seul légitime à nous être soumis, a été déposé dans les temps. Et puisqu’il ne faut pas que le négatif l’emporte toujours sur le positif, j’applaudirais l’effort d’avoir respecté, pour cette fois, notre Constitution.

Ceci dit, nous retrouvons les mêmes caractéristiques qui nous obligent, par constance politique, à réitérer nos qualificatifs : c’est un budget exécuté, appliqué, de façon insincère.

Cette motion de rejet, mes chers collègues, vise à envoyer un signal puissant, nous ne pouvons plus simplement rejeter depuis 4 ans, 5 à l’issue de ce débat les projets de loi de règlements les uns après les autres et faire comme si de rien n’était. Il nous faut un geste fort. Bien que nous fussions opposés à ces projets de loi, nous n’avons jamais déposé de telle motion, même après la crise sanitaire, malgré des dérives budgétaires inédites. Pourtant, alors que la situation sanitaire est revenue à la normale, l’irresponsabilité budgétaire n’a pas cessé pour autant. C’est une question préalable d’anticipation du prochain budget, une question préalable qui exprime un « plus jamais ça » en matière de piétinement de l’autorisation budgétaire, une question préalable d’intérêt général placé sous le sceau de la sincérité et de la transparence. Ce parking politique ne peut plus durer et l’art de l’anti catastase doit cesser.

En effet, les projets de lois de finances pour 2021 et pour 2022 tout comme les projets de loi de finances intervenus en cours d’année agrègent des prévisions manifestement hors de propos avec la réalité en exécution, laissant ouverte la voie de l’insincérité budgétaire doublée d’une insincérité politique. Je le dis et le répète, les finances publiques sont gérées « à la petite semaine » lorsqu’elles réclament une gestion tournée vers l’avenir. Je vais m’attacher à vous le démontrer.

Vous atteignez un déficit public à 151,4 milliards d’euros, 4,7 %, ce niveau est inférieur au 6,5% de l’année précédente soit 19,3 milliards d’euros de moins. Ce montant est quasiment celui déterminé en loi de finances initiale à 8 milliards d’euros près. Des « broutilles » même si c’est le niveau des recettes annuelles que vous prélever sur les seuls travailleuses et travailleurs, par votre contre-réforme des retraites. Et oui, nous n’aurons jamais fini d’en parler.

Le respect apparent de loi de finances initiales cache pourtant une sous-estimation massive des recettes fiscales !

 + 27,5 milliards d’euros par rapport à 2021 ;

 + 35,7 milliards d’euros par rapport au projet de loi de finances initial ;

 + 7,5 milliards d’euros par rapport au dernier collectif budgétaire adopté en décembre, quelques jours avant la fin de l’exercice comptable.

Les rentrées fiscales sont donc extrêmement dynamiques, bien supérieures à ce que vous escomptiez ; Erreur ou tour de passe-passe ? Une forme d’aveuglement face aux profits et autres dividendes ! Voyez par vous-même...

L’exposé des motifs du projet de loi de règlement est extrêmement clair sur les raisons de l’envolée des rentrées fiscales :

 Je cite : « les recettes d’impôt sur le revenu net sont en ressaut de + 6,6 Md€ par rapport à la loi de finances initiale, essentiellement en lien avec le dynamisme de la masse salariale et des dividendes. »

 l’explosion de l’impôt sur les sociétés en augmentation de 45% par rapport à 2019 expliquant que « les recettes d’impôt sur les sociétés net sont supérieures de + 22,1 Md€ par rapport à la prévision initiale, principalement en raison d’une situation des entreprises plus favorable que prévue, notamment en 2021, avec des bénéfices fiscaux meilleurs qu’escomptés ».

Voici la première insincérité politique : la négation de l’augmentation des profits des entreprises pour feindre de ne pas savoir ce qu’est un profit ou un superprofit. C’est un mensonge coupable dont les prévisions budgétaires n’ont été qu’un support. Le Fonds monétaire international a récemment publié des éléments en ce sens qui témoignent que, je cite, « la hausse des bénéfices des entreprises a été le principal moteur de l’inflation en Europe au cours des deux dernières années, les entreprises ayant augmenté leurs prix au-delà de la flambée des coûts de l’énergie importée ».

Je m’adresse à cet instant au Gouvernement et à mes collègues de la droite sénatoriales. Il faut cesser, nous vous le disons depuis le retour de l’inflation sur le sol européen, d’ériger la terrible guerre en Ukraine et la seule folie des marchés de l’énergie fondée sur des règles politiques absurdes, en seuls responsables de l’envolée des prix. Non, nommez les véritables responsabilités, la cupidité de trop d’entreprises qui s’enrichissent sur la guerre, se servent de prétextes relayés ici ou là pour enrayer l’ardente ambition redistributive seule à même de soulager nos finances publiques et de concevoir une politique d’avenir.

Non seulement il a été refusé de mettre les entreprises à contribution mais il nous a fallu les aidés massivement face au prix de l’énergie tout en préservant les marges de celles qui se sont gavées. Le bouclier tarifaire sur l’électricité a représenté une dépense supplémentaire de 18,3 milliards d’euros soit le surplus phénoménal des dépenses budgétaires. La compensation indue aux fournisseurs d’électricité des pertes liées à cette baisse de prix atteste de cette folie dépensière au service du capital. Les aides aux ménages supplémentaires par rapport à 2021 font pâles figurent par rapport à l’arrosage tous azimut d’argent public pour pallier à la folie des marchés, obnubilés par l’accroissement de leur rentabilité.

L’État-providence s’est transformé en 2022 en un État-ambulance des victimes de la marchandisation de la société et un État-complice de la hausse des profits.

Au total, toutes recettes supplémentaires, 43 milliards d’euros, et toutes dépenses supplémentaires, 47,5 milliards d’euros, représentent in fine 59,8% du déficit constaté pour l’année 2022. C’est peu dire que l’argent existe, que des choix politiques alternatifs, à défaut de maitrise budgétaire, auraient pu advenir.

Comme nous vous le disions, nous sommes passés du « quoi qu’il en coûte » au « quoi qu’il advienne » ! Les dépenses publiques ont augmenté de 109,6 milliards d’euros par rapport à l’avant-pandémie, pour quelles utilités sociales ? Pour quels progrès sociaux ? Si ce n’est des rabots ici et là au détriment de l’intérêts des classes moyennes et populaires qui en 2022 on eut le droit à un chèque, « l’aide exceptionnelle de solidarité » pour les plus précaires créant 1,3 millions d’ « oubliés » qui n’ont pu la percevoir. C’est insuffisant et révoltant !

L’insincérité budgétaire et politique se manifeste également par des pratiques d’affichage dont le plan de relance est un des révélateurs. Le plan de relance est supplanté par un plan de communication. La diminution de 7,3 milliards d’euros des crédits est imputable en grande majorité par les aides exceptionnelles à France compétence ou Pôle emploi qui n’avaient rien à voir avec la relance. 3,7 milliards d’euros de cette économie « fictive » a consisté a basculé les aides à l’alternance visant à créer une main d’œuvre gratuite pour les entreprises vers un autre programme budgétaire, tout en faisant coexister les dispositifs d’activités partielles sur plusieurs programmes. Le plan de relance a financé des dépenses qui n’avaient rien à avoir avec la relance, ces faits le confirment.

Mais le plan de relance est aussi le symbole des annonces non suivis d’effets. En 2021, 24,9% et en 2022, 34,1%, des crédits n’ont pas été consommés, je cite la Cour, « en raison de dispositifs au financement plus complexes que prévu ou qui ne trouvent pas leur public » générant 6 Md€ pour chacune de ces deux années des reports de crédits sur les années suivantes. Des dépenses annoncées, qui ne bénéficieront pas aux collectivités territoriales qui ne s’y retrouvent pas dans ce « maquis budgétaire ».

Plus largement, ce sont cette année encore 14,3 milliards d’euros qui ont été reportés, laissant perdurer une « politique de la cagnotte » que nous avons dénoncé à maintes reprises.

Les contre-vérités budgétaires, les manœuvres dilatoires et autres négations de la réalité comptable justifient que notre groupe rejette en bloc, la façon dont le Gouvernement bafoue les droits du Parlement, aggravent la situation des finances publiques et refuse de s’inscrire dans une stratégie de long terme pour les dépenses d’avenir.

Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, cette motion de rejet est un outil que nous mettons à votre disposition pour envoyer un message clair. Le Gouvernement est défaillant dans ses prévisions, sa conception et ses réalisations budgétaires. Cette défaillance s’appuie sur une volonté politique insincère. Votons cette question préalable pour que le prochain projet de loi de finances soit différent. Votons cette question préalable parce que les erreurs d’hier font les déficits de demain, l’endettement d’après demain et l’impossibilité d’investir pour la transition écologique et les services publics maintenant.

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