Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Activité des sénateurs

Loi de programmation militaire : 413 milliards qui manqueront à notre souveraineté

Par / 27 juin 2023

Avec cette Question Préalable, le groupe CRCE souhaite poser à notre Haute Assemblée une question simple : est-il vraiment sérieux de débattre dans ces conditions d’une Loi de programmation militaire d’un montant exceptionnel de 413 milliards d’euros ?

Son ampleur, le tournant stratégique qu’elle opère, son poids énorme face à tous les autres budgets de la Nation, pour le climat, la réindustrialisation, le logement, la santé, l’éducation… Tout appelait à ce qu’elle fasse l’objet d’un large débat avec la Nation. Le terme initial de l’actuelle LPM en 2025 le permettait.

Monsieur le Ministre, le 22 mai à l’Assemblée nationale, vous avez vous-même déclaré que cette LPM est « un défi aussi important que celui qu’ont dû relever les gaullistes dans les années 1960 ». C’est vrai, mais avec une différence de taille : le général de Gaulle installait alors le choix de construire l’indépendance de notre défense. Vous faites aujourd’hui celui de l’otanisation et de la guerre.

Le débat démocratique sur vos choix n’en était donc que plus impérieux, mais vous en avez décidé autrement. Le Président a confisqué l’évaluation stratégique, préalable nécessaire à toute LPM. Il l’a réduite à l’écriture en cercle restreint d’une « revue nationale stratégique ».

Jusqu’ici sous la Cinquième République, les grands tournants de la stratégie militaire française ont tous été pris suite à la publication de Livres Blancs.

Je ne vous apprendrai pas que les communistes, constants et cohérents, attachés à une défense nationale indépendante, ont souvent fait valoir des désaccords essentiels avec les orientations de ces Livres Blancs. Mais ces documents avaient au moins le mérite de permettre un débat stratégique d’ampleur, animé par une Commission dédiée, associant pendant une année entière la représentation parlementaire, les grandes administrations de l’État et les hiérarchies militaires.

Là, plus rien. Une consultation confinant à la parodie, avec un questionnaire remis aux commissions parlementaires douze jours avant le discours de Mont-de-Marsan ! Voilà la tare originelle de cette LPM. Elle porte la marque d’un grave défaut de conception démocratique.

Pour cette question préalable, je m’en tiendrai à trois critiques majeures.

Je tenterai de vous convaincre, chers collègues, de la nécessité de reprendre le débat sur d’autres bases. Car une autre politique de défense est possible pour notre pays.

D’abord, cette LPM nous éloigne des objectifs de défense de la Nation au profit du choix de la guerre – et en l’occurrence de la guerre projetée hors de nos frontières.

« Avoir une guerre d’avance » : c’est votre nouveau mantra. Derrière le panache apparent de cette formule, se cache un profond défaitisme, un choix dangereux pour la sécurité collective. On nous dit que la paix n’est plus une option, qu’il faut prendre place dans la grande dérive militariste mondiale.

C’est oublier toutes les leçons du XXème siècle. La militarisation et le surarmement, singulièrement en Europe, ont toujours préparé la guerre, et bien pire encore, jamais la paix !

C’est oublier toutes les leçons des trente dernières années. Après la chute du Mur, le monde n’a pas été en paix. L’Occident a usé de sa puissance pour multiplier les guerres : guerre du Golfe, ex-Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Libye, Sahel… Pour quels résultats ? Le chaos, l’insécurité, la déstabilisation durable des États et la militarisation des sociétés… Jamais la paix durable !

C’est oublier que la guerre affame les peuples et nourrit les fauteurs de guerre. Dans ce chaos prolifèrent les monstres et les entrepreneurs de violence : terroristes, milices et sociétés paramilitaires privées, trafics de drogue et d’armes, traites d’êtres humains, nationalismes guerriers et impérialismes régionaux, extrêmes-droites et radicalismes religieux… Le surarmement nourrit la guerre, il ne la désarme jamais.

Les arsenaux nucléaires prolifèrent à nouveau. Le réarmement naval est à un niveau inédit depuis 1945. Les budgets militaires explosent, en Europe comme au Moyen-Orient et en Asie.

Face à la Chine, les États-Unis veulent entraîner tous leurs alliés dans un dangereux continuum compétition économique/guerre militaire. Quant à la Russie, elle s’enfonce dans une guerre en Ukraine aux coûts humains, économiques et militaires astronomiques, aux conséquences imprévisibles pour l’Europe et pour elle-même, comme vient de le révéler l’incroyable épisode de la rébellion Wagner.

Quand allons-nous enfin nous réveiller ? Quand allons-nous cesser cette insupportable banalisation de la guerre ? Pour notre part, nous appelons toutes les consciences libres à s’insurger contre cette folie. D’autres chemins sont possibles.

Vous allez me dire que nous sommes naïfs, que la menace est partout, que la guerre en Ukraine dit qui est l’ennemi et qu’il faut bien riposter, se réarmer dans tous les domaines ?

Oui, le monde a effectivement changé et les menaces sont nombreuses, mais vous vous trompez sur le diagnostic de ces bouleversements et les moyens de conjurer ces menaces. Vous vous trompez d’époque. La guerre de Poutine en Ukraine n’est pas le symptôme du retour des blocs d’hier. C’est un signe de plus de la dé-civilisation du monde qu’entraîne la militarisation des relations internationales et l’affrontement de plus en plus violent des logiques de puissance.

Le chaos mondial est le résultat paradoxal d’un monde plus interdépendant, mais pourtant toujours plus inégal. Pour relever les grands défis mondiaux, tout appelle le partage et les plus riches le refusent. La loi du plus fort, la puissance militaire, ne régleront plus les problèmes, bien au contraire.

Faut-il suivre alors les États-Unis, ou tout autre d’ailleurs, dans l’escalade militaire ? Faut-il les suivre quand ils cherchent à déstabiliser toute puissance émergente pour maintenir coûte que coûte leur leadership planétaire ? Est-ce la voie que la France doit suivre ?

Je ne le crois pas, et c’est la deuxième conviction que je veux partager avec vous. La stratégie d’alignement derrière les États-Unis et le bloc occidental que poursuit de facto cette LPM est dangereuse pour notre pays, pour l’Europe, pour la paix mondiale.

Les paradoxes apparents de la LPM – soulignés d’ailleurs dans les débats de la Commission des Affaires étrangères du Sénat –, n’en sont pas. Dissuasion nucléaire, porte-avions, espace, fonds marins : dans tous les domaines, cette LPM court après la sophistication militaire. Au risque d’y perdre notre boussole et la mesure de nos moyens réels. Et tout cela au titre d’une « haute intensité », en vérité uniquement entendue comme la capacité de projection de nos armées dans des opérations militaires de l’OTAN hors de nos frontières. L’intégralité du vocabulaire du concept stratégique de l’OTAN, révisé à Madrid, est d’ailleurs recyclé dans la LPM.

L’otanisation complète de l’Europe est en cours. Elle met à bas toute velléité d’autonomie stratégique européenne. Elle finance en premier lieu les industries américaines de l’armement.

Le bloc atlantiste n’offre pourtant qu’une cohérence de façade et est incapable d’enrayer les velléités bellicistes et expansionnistes de certains de ses membres. La Turquie d’Erdogan, à l’opportunisme géopolitique décomplexé, en est l’exemple le plus criant. Et que dire de nos alliés des monarchies du Golfe ? Que dire en Europe même de la Hongrie, de la Pologne, de l’Italie… et du poids grandissant dans ces pays d’extrêmes-droites racistes et militaristes ?

Pour notre part, nous vous proposons de remettre la LPM en chantier, car ses objectifs se trompent sur le monde à construire.

Vous sautez comme des cabris : « La guerre, la guerre, la guerre ! » Mais vous ne voyez pas le nouveau monde qui s’avance. Quand accepterez-vous d’entendre qu’une majorité de peuples du monde ne veut plus avoir à s’affilier à telle ou telle superpuissance ? Les peuples aspirent à maîtriser leurs destins, à disposer de souverainetés pleines et entières, à décider librement de leurs alliances et coopérations. Vous restez accrochés à vos schémas. Hors de l’OTAN, vous ne voyez que la « main de Moscou » ou « celle de Pékin », quand tant de pays en réalité cherchent de nouveaux partenariats, plus équilibrés.

Comment pouvez-vous ignorer que les insécurités sanitaire, alimentaire, énergétique, climatique, que l’absence de partage réel de la gouvernance politique de la mondialisation, sont au cœur de tous les conflits, et par conséquent à la racine de toutes les guerres ?

Entendez le constat lucide du secrétaire général de l’ONU : « Si nous ne nourrissons pas les gens, nous nourrissons les conflits » !

Vous persistez ad nauseam avec des mécanismes qui ont échoué à construire la paix. Vingt ans de « guerre au terrorisme » s’achèvent par le départ des troupes américaines d’Afghanistan. En proie à la famine, le pays est devenu un narco-État sous domination des talibans. Dix ans de Barkhane au Sahel n’ont ni éteint le djihadisme, ni permis le développement de la région.

Il est temps de changer de paradigme. L’agenda pour la paix et la sécurité collective, c’est la construction d’une sécurité humaine globale, répondant aux besoins vitaux des populations, leur permettant de cohabiter en paix, dans la durée et autour de perspectives de développement !

La France dispose encore d’une voix écoutée dans le monde. Utilisons la pour relancer tous les processus de désarmement multilatéraux, conventionnels comme nucléaires ! Utilisons la pour clamer le droit à la paix, ce mot que certains voudraient aujourd’hui tabou !

Jamais nous ne nous rallierons à cette affirmation absurde selon laquelle est désormais dépassé le temps des « dividendes de la paix ». Non seulement la paix n’a pas de prix, mais elle est et restera le seul horizon raisonnable pour l’Humanité.

C’est pourquoi, constants et cohérents, nous serons tout au long des débats animés par une double conviction : garantir à notre pays une défense souveraine et solide, agir pour que grandissent partout des coalitions de la paix.

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