Affaires culturelles
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Une proposition de loi poids plume
Démocratisation du sport -
Par Jérémy Bacchi / 18 janvier 2022Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans deux ans se dérouleront les jeux Olympique de Paris 2024. Cet événement majeur marquera la vie de tous les amateurs de sport de notre pays, et même au-delà. Cet événement doit être un formidable accélérateur de la pratique sportive en France, aussi bien avant qu’après les jeux. D’ailleurs, je rappelle que l’objectif était de voir trois millions de licenciés supplémentaires d’ici à 2024.
C’est dans ce contexte, renforcé d’ailleurs par un contexte de crise sanitaire mondiale, que ce texte nous est présenté.
Pourtant, le 20 décembre 2017, devant l’Assemblée nationale, la ministre des sports d’alors, Laura Flessel, déclarait souhaiter présenter début 2019 devant le Parlement un projet de loi Sport et société, visant à encourager la pratique pour tous et partout, tout au long de la vie. Malheureusement, nous avons dû attendre jusqu’à ce 18 janvier 2022 pour qu’un texte nous arrive en séance publique. Comme on dit, mieux vaut tard que jamais…
Cependant, malgré des avancées intéressantes, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’un texte a minima ou d’une proposition de loi « poids plume », pour reprendre les termes de la Banque des territoires.
Je commencerai par rappeler les avancées de ce texte.
Premièrement, sans pour autant répondre au manque d’encadrants dans les associations sportives, le texte permet de libérer des espaces pour la pratique libre. Notre groupe ne peut que partager cet objectif, tant on sait à quel point le sport peut s’apparenter à une oxygénation. Combien de fois avons-nous vu des jeunes escalader la grille des écoles pour jouer au foot ou au basket dans la cour le week-end ? Tant de fois que certaines mairies laissent aujourd’hui les portails ouverts ! Les dispositions du texte permettent tout à la fois de sécuriser les pratiquants, mais aussi les écoles et les collectivités territoriales.
Deuxièmement, le texte apporte des améliorations notables, qu’il convient toutefois de poursuivre, sur la question de l’accessibilité du sport aux personnes en situation de handicap.
Troisièmement, le texte permet de faire avancer la question de la parité au sein des instances dirigeantes des fédérations. Outre le CNOSF et le Comité paralympique et sportif français (CPSF) présidés respectivement par Brigitte Henriques et Marie-Amélie Le Fur, seules seize fédérations, dont seulement deux sont des fédérations olympiques, ont une dirigeante. Si la loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a permis quelques avancées, il faut aujourd’hui aller plus loin. Ce texte nous permet de dégager un horizon, dans un calendrier par ailleurs tenable.
J’en viens maintenant aux limites que nous voyons à ce texte. Se pose bien évidemment la question du coût. Selon une étude de 2018, 57 % des Français considéraient que le prix des licences et des équipements était le principal frein à leur pratique.
J’étais d’ailleurs samedi après-midi avec les jeunes de l’Espace Jeunes municipal de Septèmes-les-Vallons, commune située au nord de Marseille, qui me faisaient justement remarquer que, dans un texte visant à la démocratisation du sport, on ne trouvait pas un mot sur le prix des licences, pas un mot sur le coût pour suivre le sport à la télévision, pas un mot non plus sur le coût pour assister à de grands événements sportifs. Ainsi, alors que la majorité des épreuves des jeux Olympiques de 2024 auront lieu en Seine-Saint-Denis, combien de jeunes issus des quartiers populaires de ce département pourront matériellement assister à ces épreuves, s’ils le désirent ?
M. Pierre Ouzoulias. Très bien !
M. Jérémy Bacchi. Nous sommes donc bien loin de la grande loi de démocratisation attendue. Parmi les leviers qui nous semblent sous-exploités se trouve la question de la visibilité. En effet, il faut le rappeler, il existe un lien très clair entre la médiatisation d’une discipline et sa pratique. On peut ainsi citer le triplement des licenciés en canoë-kayak, handball et natation, consécutif à un dispositif de médiatisation favorisé par des générations dorées.
Or on ne peut que s’inquiéter de la disparition progressive du sport diffusé en clair, toutes disciplines cumulées. C’est d’autant plus regrettable que, à nos yeux, la démocratisation de la pratique ne peut que se faire en parallèle d’une démocratisation de la diffusion et de la gouvernance.
Se poursuit par ailleurs une forme d’hypocrisie dans notre conception du sport. Pratique populaire, à tous les sens du terme, on valorise dans la communication l’ambiance des stades et les moments de communion. Ainsi, dans son clip promotionnel, la Ligue de football professionnel (LFP) utilise des images des stades avec une multitude de fumigènes, car elle sait bien que cela est vendeur ; dans le même temps, elle sanctionne les clubs présents dans son clip pour utilisation de fumigènes. C’est schizophrénique ! Madame la ministre, pourquoi avoir déposé un amendement revenant sur la mesure ouvrant la voie à la légalisation des fumigènes ?
Reste enfin la question de la société commerciale, que la LFP est en train de monter en parallèle de nos discussions. On l’a bien compris, son seul intérêt aujourd’hui est d’injecter de la trésorerie en urgence, après l’échec et le scandale de Mediapro.
À son sujet se posent encore de multiples questions. Quelle capitalisation et quelles retombées économiques à long terme ? Quelle clé de répartition entre le monde amateur et le monde professionnel et au sein même des clubs professionnels de ligue 1 ? Quelle base de calcul pour le décider ?
Autant de questions auxquelles nous aurions aimé avoir des réponses avant l’examen de ce texte. Cela revient sinon à donner un chèque en blanc à la ligue ainsi qu’à cette future société commerciale.