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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Débat sans vote sur la situation en Afghanistan

Par / 1er avril 2008

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, la décision, annoncée la semaine dernière par le Président de la République devant le Parlement britannique, de renforcer de mille hommes le contingent militaire français en Afghanistan,...

M. François Fillon, Premier ministre. Ce n’est pas ce qu’il a dit !

Mme Michelle Demessine. ...a suscité de très nombreuses réactions et une vive émotion dans notre pays.

Un récent sondage indique que 68 % de nos compatriotes désapprouvent une telle décision.

Face à cette situation, Nicolas Sarkozy et votre gouvernement ont été contraints d’accepter, à la demande de l’ensemble des groupes parlementaires, ce débat devant la représentation nationale.

Cette annonce, désinvolte à l’égard du Parlement et du peuple français, est choquante sur la forme et plus encore sur le fond.

En cédant ainsi de façon complaisante aux pressantes sollicitations des États-Unis, elle porte atteinte à la dignité et à l’autonomie de décision de notre pays.

En outre, en dehors du fait qu’elle ait été annoncée à l’étranger, avant même que le Parlement en soit informé, les raisons qui la motivent et les conséquences qu’elle entraînera n’ont pas été clairement exposées par le Président de la République.

Ainsi, une fois de plus, le pays et ses représentants apprennent par la presse qu’une nouvelle phase de notre engagement dans un pays lointain est en cours, sans aucune précision sur le cadre général, les missions et le calendrier de l’opération.

C’est manifestement un revirement de la part de celui qui, candidat à l’élection présidentielle, affirmait : « La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. » Il avait, d’ailleurs, promis de poursuivre la politique de désengagement progressif initiée par son prédécesseur...

Non ! les Françaises et les Français n’admettent plus aujourd’hui que des décisions concernant de façon si symbolique la nation tout entière soient prises sans que leurs représentants aient été au moins informés et consultés. Puisque nos troupes vont, une nouvelle fois, être dangereusement exposées dans un conflit incertain et ambigu, qui risque d’avoir des conséquences sur la sécurité même de notre territoire, il n’était pas acceptable que nous ne débattions pas de l’opportunité de cette intervention.

En acceptant ce débat, monsieur le Premier ministre, messieurs les ministres, c’est bien ce que vous avez été obligés de reconnaître. Mais ayez maintenant le courage d’accepter un vote parlementaire, à l’instar de ce qui se pratique dans les autres grandes démocraties et comme l’avait fait François Mitterrand lors de la première guerre du Golfe, contrairement, d’ailleurs, à ce que vous avez prétendu dimanche. En effet, pourquoi débattre si la décision est irrévocable ?

Chacun sera alors face à ses responsabilités, car, en Afghanistan, c’est bien aussi d’une guerre qu’il s’agit, dans laquelle quatorze de nos soldats ont déjà perdu la vie.

Je m’interroge sur les raisons d’envoyer là-bas des troupes supplémentaires, car je doute que cela permette de répondre aux problèmes posés.

En définitive, pour quelles raisons sommes-nous en Afghanistan ?

Il faut se rappeler que cette opération trouve son origine dans les attentats du 11 septembre 2001 à New York et dans la décision unilatérale de l’administration Bush de lutter contre quelques groupes combattants dans les montagnes afghanes.

Les États-Unis ont d’abord constitué une coalition à géométrie variable pour renverser le régime des talibans à Kaboul. L’Alliance atlantique n’a été sollicitée qu’après, pour prendre le commandement de la Force internationale d’assistance à la sécurité, la FIAS, mise en place avec la bénédiction des Nations unies après la chute des talibans.

C’est dans ce contexte que nous avons rapidement rallié la FIAS, mais sans avoir été associés à la définition des objectifs, qui étaient de lutter contre le terrorisme et de reconstruire un État en faillite.

M. François Fillon, Premier ministre. Vous étiez alors au gouvernement !

Mme Michelle Demessine. Où en sommes-nous, sept ans après ?

Les talibans sont de retour dans l’Est et dans le Sud, les troupes de l’OTAN s’épuisent à les poursuivre dans les montagnes, la culture de l’opium est plus florissante que jamais et l’État afghan est corrompu jusqu’au plus haut niveau.

À l’évidence, la stratégie essentiellement militaire mise en oeuvre est totalement inadaptée, voire contre-productive. Elle contribue à accroître les tensions et mène tout droit à l’enlisement, car elle n’offre aucune perspective de règlement politique et diplomatique de la situation.

Je prétends même que, comme en Irak, cette stratégie, en raison des frustrations et des réactions qu’elle suscite auprès des populations, est le terreau sur lequel prospèrent tous ceux qui jouent la politique du pire et spéculent sur l’impuissance de la communauté internationale.

Cet échec militaire annoncé met aussi en évidence un profond déséquilibre entre le niveau des dépenses militaires et celui de l’aide à la reconstruction et au développement. Les chiffres en témoignent : les États-Unis dépensent 100 millions de dollars par jour pour la guerre, quand le total de l’aide internationale à la reconstruction est, lui, estimé à 7 millions de dollars par jour.

Cet état de fait ne peut que nous inciter à douter de la pertinence de la stratégie des forces de l’OTAN et à nous interroger sur les objectifs qu’elles veulent réellement atteindre dans ce pays.

Le récent rapport d’une agence regroupant la centaine d’ONG qui travaillent sur place révèle aussi l’ampleur des promesses non tenues en matière d’aide internationale, laquelle est gaspillée, inefficace et mal coordonnée. Sur les 25 milliards de dollars promis, seuls 15 milliards de dollars ont été effectivement versés.

Notre pays a lui-même une grande part de responsabilité dans cette situation et n’est pas exempt de reproches.

Nous allons accueillir une nouvelle conférence des donateurs à la mi-juin, mais le montant de notre aide à la reconstruction arrive loin derrière celui de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne, de l’Espagne, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède ou bien encore de la Finlande.

Nous nous apprêtons à renforcer notre dispositif militaire, mais le Président de la République ne semble pas pour autant décidé à augmenter notre aide bilatérale.

Un tel déséquilibre est à comparer avec les 100 millions à 200 millions d’euros supplémentaires nécessaires à cette intervention qui pèseront sur le budget des opérations extérieures, lequel avoisine déjà un milliard d’euros après le lancement de la mission EUFOR au Tchad. À cet égard, monsieur le Premier ministre, on peut légitimement s’inquiéter de la façon dont vous financerez ces surcoûts. Quels crédits militaires en feront les frais ?

Enfin, nous n’avons pris en charge aucune des vingt-six équipes provinciales de reconstruction, les EPR, ces équipes « civilo-militaires » qui atténuent quelque peu les ravages causés par le conflit.

Pour quelles raisons inavouables annoncer maintenant la décision d’envoyer combattre quelque mille soldats français supplémentaires, vraisemblablement dans une province sous commandement américain et dangereusement exposée, alors que la stratégie menée conduit à l’enlisement militaire, que l’ensemble de nos alliés ne sont pas tous d’accord sur la stratégie à suivre et que la France n’a, pour l’instant, obtenu aucune garantie sur une éventuelle modification de cette stratégie ?

Certes, monsieur le Premier ministre, vous avez précisé hier que le Président de la République avait l’intention, demain à Bucarest, de poser trois conditions à l’envoi de nos renforts. Je reste tout de même convaincue que le fait d’annoncer une décision, car c’est bien ce qui s’est passé devant le Parlement anglais,...

M. François Fillon, Premier ministre. C’est faux !

Mme Michelle Demessine. ...avant même d’obtenir des garanties de nos partenaires, n’est pas une façon de procéder digne de notre pays.

Bien que l’OTAN s’embourbe en Afghanistan, le Président de la République accepte donc de suivre sans sourciller une stratégie belliqueuse, inefficace et inadaptée. En cédant ainsi aux demandes répétées du commandement militaire de l’OTAN et aux pressions des États-Unis, il concrétise son alignement atlantiste. Comment, dès lors, ne pas s’indigner devant une telle complaisance dangereuse à l’égard de l’administration finissante du président Bush, alors même que la politique étrangère américaine pourrait changer dans quelques mois ?

M. Paul Girod. C’est vous qui le dites !

Mme Michelle Demessine. Dans ces conditions, renforcer notre dispositif militaire dans ce pays apparaît clairement comme un gage d’allégeance donné aux États-Unis.

C’est aussi, à n’en pas douter, la contrepartie à la réintégration annoncée de notre pays dans les structures de commandement militaire d’une Alliance atlantique encore largement soumise aux États-Unis.

Admettez-le, c’est une position qui rompt brutalement avec la politique d’indépendance de la France. À la veille du sommet de Bucarest, cette position est malheureusement conforme à la volonté des États-Unis de transformer l’OTAN en une « Alliance globale », une alliance du monde occidental opposée aux pays émergents, agissant hors du cadre des Nations unies et se comportant en gendarme du monde, au service de la politique américaine.

Nous présiderons bientôt l’Union européenne, et cette réintégration laisse peu de crédibilité à une Europe de la défense réellement autonome. Tout cela éclaire d’un jour nouveau ce que nous avions dénoncé lors de la ratification du traité de Lisbonne, quand nous vous interpellions, ici même, mes chers collègues, sur le risque de subordination de la politique européenne de défense à l’OTAN.

Il faut en être conscient : en procédant de la sorte, c’est-à-dire en ramenant notre pays à un rang de supplétif des États-Unis, le capital de sympathie que la France a acquis dans le monde depuis une cinquantaine d’année serait rapidement dilapidé.

Monsieur le président, mes chers collègues, l’attitude du Président de la République, avec ses annonces répétées qui anticipent sur la réflexion engagée dans le cadre de la rédaction d’un nouveau livre blanc sur la défense et la sécurité, traduit une crainte du débat démocratique. Il n’est plus acceptable que des changements d’orientation aussi fondamentaux en matière de politique étrangère et de défense puissent s’opérer à la suite d’un simple débat concédé sous la pression des parlementaires, sans qu’il soit arbitré par le vote du Parlement.

Monsieur le Premier ministre, vous ne pouvez être, en paroles, favorable aux propositions de la commission Balladur tendant à revaloriser le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et de défense, et refuser aujourd’hui un vote du Parlement. Accepter ce vote donnerait plus de crédibilité à vos bonnes intentions.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr !

Mme Michelle Demessine. En conclusion, pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, vous comprendrez que nous condamnions fermement le projet de renforcer nos effectifs militaires en Afghanistan.

M. René Garrec. C’est étonnant !

Mme Michelle Demessine. Cette décision, qui irait à l’encontre des objectifs affichés, ne permettra pas de trouver une solution politique et économique à la crise que connaît ce pays. Elle aurait, au contraire, pour effet d’aggraver les tensions dans la région.

Refusons désormais de participer à des interventions extérieures sans un mandat explicite de l’ONU ! De telles opérations portent atteinte aux valeurs de la Charte des Nations unies et au multilatéralisme, qui est aujourd’hui, plus que jamais, une condition impérative pour contribuer à régler les conflits.

En Afghanistan comme ailleurs, ce n’est qu’au niveau de cette unique institution multilatérale, l’Organisation des Nations unies, que peut être mis en oeuvre et garanti par les grandes puissances membres du Conseil de sécurité un véritable processus de reconstruction et de démocratisation de ce pays.

Plutôt que d’annoncer directement l’augmentation de notre contingent, le Président de la République aurait donc été mieux inspiré de proposer d’abord à nos alliés de l’OTAN une réorientation de leur stratégie donnant la priorité à un processus politique de résolution de cette crise.

M. Dominique Braye. C’est fini ?

Mme Michelle Demessine. Il n’y a pas d’autre alternative si nous voulons véritablement aboutir à une solution conforme aux intérêts de nos peuples.

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