Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

Lire la suite

Le gouvernement refuse de créer un véritable droit à réparation

Victimes des essais nucléaires français -

Par / 14 octobre 2009

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui vient de loin, mais le temps me manquerait pour rappeler l’ampleur de la mobilisation qui aura finalement abouti, presque cinquante ans après le premier essai nucléaire, à la présentation par le Gouvernement d’un projet de loi a minima sur l’indemnisation des victimes des essais nucléaires dans le Sahara et en Polynésie française.

Nos pensées vont en cet instant aux populations de Polynésie et du Sahara.

Pour que votre gouvernement accepte de considérer les souffrances endurées par les 150 000 travailleurs civils et militaires présents sur les sites d’expérimentation, il aura fallu le regroupement des victimes au sein d’associations telles que l’Association des vétérans des essais nucléaires, l’AVEN, le travail parlementaire, la création en juin 2008 du comité de soutien « Vérité et justice » avec des personnalités telles que Raymond Aubrac, Mgr Gaillot, le professeur Parmentier, Mme la générale Simone de Bollardière, Abraham Béhar, des physiciens et directeurs de recherche au CNRS ; il aura fallu de même le soutien de grandes associations telles que l’Union française des associations d’anciens combattants et de victimes de guerre, l’UFAC, l’Association républicaine des anciens combattants et victimes de guerre, l’ARAC, Handicap International, l’investissement et le soutien du Médiateur de la République pour qu’éclate la vérité ; il aura fallu que la presse, les artistes, les cinéastes s’en emparent.

Vous êtes toutefois resté dans le déni, monsieur le ministre, y compris en présentant votre projet de loi ! En effet, évoquant ces personnels, vous avez déclaré à l’Assemblée nationale que « la plupart d’entre eux n’ont souffert d’aucune exposition ». Or le déni entraîne chez ces vétérans une sorte de sentiment de culpabilité qui vient s’ajouter à leurs souffrances physiques et psychiques. Nous en connaissons des exemples poignants. De telles souffrances ne peuvent être atténuées que par la reconnaissance et la réparation.

Oui, monsieur le ministre, la situation des victimes des essais nucléaires exige un véritable droit à réparation, comme m’en ont convaincu les multiples entretiens que j’ai eus avec les veuves et les orphelins de vétérans. J’ai connu l’AVEN, l’Association des vétérans des essais nucléaires, lors de sa création à Lyon, en 2001. Je tiens d’ailleurs à saluer ici la ténacité de son actuel président, Michel Verger, qui a succédé à Jean-Louis Valatx, malheureusement décédé d’un cancer radio-induit. Je salue aussi Bruno Barillot, qui a participé activement à la commission d’enquête décidée par le président Oscar Témaru, et Me Jean-Paul Teissonnière, leur avocat. Par ailleurs, je souligne le rôle important joué par Moruroa e tatou, seule association représentative de la population polynésienne, par son président, Roland Oldham, et par le pasteur John Doom.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Vous fréquentez des ecclésiastiques ?

M. Guy Fischer. Bien sûr, quand c’est pour la bonne cause, monsieur le président ! (Sourires.)

Je me suis investi à leurs côtés, avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, en particulier Michelle Demessine, Marie-France Beaufils et Michel Billout.

Je tiens à rappeler ici que les premières propositions de loi sur cette question avaient été déposées par mes collègues Marie-Claude Beaudeau, dès 2001, et Hélène Luc, dont je salue la présence dans nos tribunes aujourd’hui…

M. Hervé Morin, ministre. On l’a vue !

M. Guy Fischer. … et dont M. le rapporteur a souligné l’action exemplaire dans son rapport.

Nos deux collègues étaient indéniablement des précurseurs.

Au total, ce sont dix-huit propositions de loi qui ont été déposées sur cette question, émanant de toutes les familles politiques que compte le Parlement. Chose rare, elles ont permis l’élaboration d’une proposition de loi commune. Nous avons travaillé sur cette question au ministère ; nos échanges ont parfois été vifs, monsieur le ministre…

M. Hervé Morin, ministre. N’exagérons pas !

M. Guy Fischer. Il vous est arrivé de me répondre vertement, monsieur le ministre !

M. Hervé Morin, ministre. Vertement ? Vous ne seriez pas un peu Marseillais ? (Sourires.)

M. Guy Fischer. Malheureusement, monsieur le ministre, les intéressés ont réalisé dès sa présentation que votre projet de loi n’était pas à la hauteur. Certes, et c’est son principal mérite, il inverse la charge de la preuve, mais il ne crée pas pour autant un véritable droit à indemnisation, un véritable droit à réparation.

Je ne le nie pas, le texte d’origine a été amélioré par les travaux de l’Assemblé nationale, notamment sur les dates, les périodes et les conditions d’indemnisation, la délimitation des zones concernées, la possibilité donnée aux ayants droit de déposer un dossier, la liste des maladies, ainsi que sur la création d’un comité de suivi dont feraient partie les associations.

Quant aux travaux de la commission des affaires étrangères du Sénat, ils auront essentiellement permis, outre quelques avancées, la suppression du mot « directement » concernant l’exposition aux radiations, ainsi qu’une amélioration modeste tenant à la présomption de causalité entre certaines maladies et les essais nucléaires.

Néanmoins, les questions essentielles ne sont pas suffisamment prises en compte dans le projet de loi.

La présomption d’un lien de causalité n’est pas formellement inscrite, ce qui sera très certainement source de recours et de débats juridiques. Mes collègues Michelle Demessine et Marie-France Beaufils y reviendront lorsqu’elles défendront les amendements que nous avons déposés sur ce point.

Peut-être me démentirez-vous, mais je crains que la présomption de causalité ne se retourne en fait contre ceux qui l’invoqueront.

Vous persistez à refuser la création d’un véritable fonds d’indemnisation autonome doté d’une capacité juridique propre et incluant en son sein les associations de victimes.

Vous avez opposé l’article 40 aux amendements visant à prévoir la réparation des préjudices propres pour les veuves et les ayants droit, ainsi que la création d’un dispositif de retraite anticipée.

En outre, pour ce qui est des compétences de la commission de suivi, vous rejetez tout élargissement aux conséquences épidémiologiques et environnementales des essais. Quel mépris pour les victimes ! À cet égard, le fait que 10 millions d’euros seulement soient inscrits dans le projet de loi de finances pour 2010 laisse présager que le nombre de dossiers d’ores et déjà estimé recevables sera limité. C’est incroyable ! Nous attendons de votre part, monsieur le ministre, des réponses claires et précises sur cette question.

Vous prétendez, monsieur le ministre, que ce projet de loi permettra la réparation intégrale des préjudices et que toutes les victimes seront prises en considération, sans discrimination. Permettez-moi d’en douter !

Que faites-vous des souffrances des populations polynésiennes, auxquelles un article spécifique aurait dû être consacré ?

Comment ces personnes, alors qu’elles n’ont parfois pas d’acte de naissance en leur possession, pourront-elles prouver qu’elles ont séjourné sur la portion de territoire bien précise qui sera déterminée par décret et ainsi prétendre à une indemnisation ? Où sont les moyens destinés à permettre la réalisation d’un bilan de santé de cette population, qui a été en contact avec du matériel contaminé resté sur place ? Même la barrière de corail a été fragilisée par les essais sous-marins ! Dire que les Polynésiens n’ont même pas été reçus par notre commission...

Monsieur le ministre, vous n’avez pas voulu inclure dans le projet de loi un article sur l’environnement. Que comptez-vous faire pour réparer les dommages environnementaux et permettre la réalisation des études scientifiques nécessaires sur la faune et sur la flore ?

Autre exemple : en opposant l’article 40 aux amendements relatifs aux préjudices propres des ayants droit, vous renvoyez les familles au droit commun, c’est-à-dire aux tribunaux. Or, comme l’a indiqué tout à l’heure Yvon Collin, le ministère de la défense faisait jusqu’à très récemment encore systématiquement appel des rares décisions favorables aux plaignants.

Enfin, la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires aurait dû se voir confier la charge d’organiser un suivi médical indépendant des victimes. Or tel n’est pas le cas.

Dans l’introduction de son rapport, M. Marcel-Pierre Cléach évoque « l’honneur de la République de reconnaître la responsabilité de l’État dans les souffrances que supportent aujourd’hui ceux qui l’ont servi hier ». Or l’honneur, mes chers collègues, est entaché depuis cinquante ans par ce que je n’hésiterai pas à qualifier de mensonge d’État, un mensonge pratiqué par plusieurs gouvernements.

Alors que nous nous approchons des cinquante ans de « Gerboise bleue », le premier essai nucléaire français dans le Sahara, nous ne pouvons que constater le temps perdu pour les victimes et leurs ayants droit, pour tous ces gens qui se sont sentis abandonnés après avoir accompli leur devoir et dont beaucoup sont depuis décédés. Or nul ne peut ignorer les conséquences des essais nucléaires sur la santé des vétérans et des populations locales.

Monsieur le ministre, on ne sert jamais la grandeur de l’État en méprisant les victimes.

En conclusion, si ce texte était adopté tel qu’il nous est soumis, l’État demeurerait juge et partie. Il examinerait les dossiers de demande d’indemnisation au cas par cas, avec ses experts, ce qui est inacceptable. C’est pourquoi, en notre âme et conscience, nous ne pourrons pas le voter.

Les dernieres interventions

Affaires étrangères et défense Aide publique au développement : un appel au sursaut international

Proposition de loi relative à la mise en place et au fonctionnement de la commission d’évaluation de l’aide publique au développement - Par / 26 mars 2024

Affaires étrangères et défense Ukraine : sortir de l’escalade guerrière

Débat et vote sur l’accord de sécurité franco-ukrainien et la situation en Ukraine - Par / 13 mars 2024

Affaires étrangères et défense L’armée ne connaît pas la crise

Débat sur les crédits 2025 pour la Défense - Par / 14 décembre 2023

Affaires étrangères et défense L’aide publique au développement perd son cap

Vote sur le budget de l’Aide publique au développement (ADP) - Par / 11 décembre 2023

Affaires étrangères et défense Le rêve éveillé d’une République à défendre

Proposition de loi du groupe RDSE tendant à renforcer la culture citoyenne - Par / 22 novembre 2023

Affaires étrangères et défense Afrique : changer du tout au tout la forme de notre présence

Débat sur les partenariats renouvelés entre la France et les pays africains - Par / 21 novembre 2023

Affaires étrangères et défense Un réseau de plus en plus externalisé

Gouvernance de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger - Par / 27 janvier 2022

Affaires étrangères et défense Une paix juste et durable reste le seul chemin d’avenir

Reconnaissance, aux côtés d’Israël, d’un État palestinien par la communauté internationale - Par / 9 décembre 2021

Affaires étrangères et défense Nous défendons une aspiration à la coexistence pacifique de deux Etats et de deux peuples

Reconnaissance, aux côtés d’Israël, d’un État palestinien par la communauté internationale - Par / 9 décembre 2021

Affaires étrangères et défense Nous partageons les objectifs affichés, mais dans les faits tout, ou presque, reste à faire

Loi de programmation relatif au développement solidaire : conclusions de la CMP - Par / 20 juillet 2021

Affaires étrangères et défense Nous nourrissons de sérieuses inquiétudes sur le maintien d’une trajectoire budgétaire ambitieuse

Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire : explication de vote - Par / 17 mai 2021

Affaires étrangères et défense La multiplication des zones franches a freiné le développement des entreprises locales

Projet de loi de programmation relatif au développement solidaire : article 1er A - Par / 11 mai 2021

Affaires étrangères et défense Nous devons placer les Kurdes sous protection

Offensive militaire menée par la Turquie au nord-est de la Syrie - Par / 22 octobre 2019

Administration