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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Loi de programmation militaire

Par / 14 janvier 2003

par Jean-Yves Autexier

Monsieur le Président,
Mme le Ministre,

C’est dans les périodes de plus grande incertitude que le devoir de programmation est le plus difficile mais aussi le plus nécessaire.

L’univers stratégique est profondément changé. Depuis 1995, trois éléments décisifs sont apparus.

- Le premier, c’est bien entendu, le terrorisme de grande envergure. Nos nations ne sont plus sanctuarisées ; elles peuvent être frappées de l’intérieur. Elles peuvent être menacées par des groupes ou des réseaux qui bénéficient de soutiens disséminés, nourris du ressentiment.
Après la fin du vieux clivage Est-Ouest ; l’injustice et la violence qui président aux actuels rapports Nord-Sud ont atteint un tel niveau qu’il est devenu aisé de recruter, par centaines, des militants d’un terrorisme fanatique unis par la conviction de briser l’ordre injuste du monde, et instrumentés pour des actions criminelles.

- Le second facteur capital du changement c’est l’affirmation d’un unilatéralisme américain sans complexe.
La quête pathétique du prétexte qui permettrait aux Etats-Unis de changer la donne en Irak et dans tout le Proche-Orient est apparue pour ce qu’elle est à tous les citoyens du monde. Personne n’ignore plus la motivation américaine qui paraît se préoccuper bien davantage des armements que ne possèdent plus l’Irak que de ceux dont se dote la Corée du Nord. Les deuxièmes réserves pétrolières du monde, situées près, si près, du théâtre israëlo-palestinien, attirent l’intervention des Etats Unis comme un aimant, car elles touchent de près à leurs intérêts immédiats. Nous devons le savoir : l’unilatéralisme américain, c’est la capacité d’agir, même si les conséquences de cette action sont dramatiques pour le reste du monde. Cet égoïsme porté à l’échelon de la planète est devenu un risque pour la sécurité du monde, et pour notre sécurité.

Qui supportera demain les conséquences d’un conflit ainsi orchestré entre l’Occident et le monde arabo-musulman ? Qui est riverain de la Méditerranée ? Qui vit en contact étroit avec nos voisins de la rive Sud ? Oui l’égoïsme irréfléchi et erratique de l’administration Bush est devenu un péril pour notre sécurité.

- Le troisième facteur d’instabilité tient à la remise en cause des accords ABM. La sanctuarisation mutuelle des territoires des deux blocs sera anéantie par une course aux armements anti-missiles dont Washington peut penser à juste titre qu’elle y épuisera la Russie, puis la Chine, mais qui exposera le territoire de l’Europe, en affaiblissant le principe de dissuasion.

La défense de la France doit affronter ces nouveaux défis. La dissuasion qui était la clé menace d’être contournée par la dénonciation du traité ABM comme par le terrorisme.

Il nous faut donc en premier lieu réaffirmer le primat de la dissuasion, outil du refus de la guerre, arme de l’indépendance. Il n’est nullement contradictoire avec les perspectives de coopération européenne. La dissuasion française est la seule dissuasion indépendante en Europe ; elle met l’Europe occidentale à l’abri de la guerre. Le dialogue franco-allemand à ce propos ne pourra que s’enrichir. La coopération en matière d’industrie de défense ne trouve pas la France en défaut ! Et à ceux qui voudraient substituer une « programmation européenne » à la programmation française, faut-il rappeler les choix britanniques dans la crise d’Irak, les options de nos voisins en faveur du JSF, l’achat d’avions F16 par la Pologne ?

Faut-il rappeler le tropisme américain des nouveaux pays membres, sans évoquer bien sûr celui de la Turquie ? Devant un champ magnétique d’incertitudes polarisées par Washington, la dissuasion est l’outil majeur de l’indépendance. La clé de notre sécurité ne repose pas dans une OTAN tellement élargie que même les Etats-Unis ne compte plus sur elle sinon pour les basses besognes. La dissuasion reste la garantie ultime de sécurité, nullement incompatible avec le respect de nos engagements du Traité de l’Atlantique Nord. Vouloir inscrire notre effort de défense dans le cadre européen, comme l’affirme l’exposé des motifs, exige beaucoup de lucidité : quand nous parlons Europe de la défense, nos partenaires répondent encore plus fort OTAN. Il leur faudra du temps pour mesurer les risques que fait courir l’unilatéralisame américain et ses relais. D’ici là, c’est à la France de tenir bon, avant que la réalité ne fasse évoluer les esprits.

Le temps est venu pour la défense de se recentrer sur ses missions. La loi de programmation répond elle à ces exigences ?
Je ne le crois pas, même si elle marque un effort de remise à niveau de l’outil de défense et de revalorisation bien nécessaire de la condition militaire. Ne pouvaient attendre « les dividendes de la paix » que ceux qui avaient pris au sérieux les contes du grand méchant loup et qui désignaient l’ancienne Union soviétique comme la seule source de périls. Les autres, tous les autres, ceux qui voyaient dans l’URSS la Russie de toujours, ceux qui savent que les peuples et les nations font l’histoire, ceux qui mesurent l’immense appel à la justice que lancent les pays du Sud ne pouvaient pas croire à ces fredaines. Le monde de l’après 1989 est devenu plus périlleux.

En prenant la mesure de la nécessité de revaloriser l’outil de défense, la loi de programmation invite certes au changement nécessaire. Mais elle ne tire pas les conséquences de la profondeur des changements stratégiques intervenus. Comme d’habitude les choix d’hier pèsent lourdement sur les choix d’aujourd’hui.

C’est toujours le modèle des Armées 2015 qui est proposé ; mais il avait été conçu en 1995, pour préparer les esprits à la professionnalisation. Mais il comporte d’immenses inconvénients.

Ainsi lit-on dans l’exposé des motifs « la projection et l’action ont structuré la conception du modèle d’armée. La capacité à projeter des forces, aussi bien en Europe qu’à l’extérieur du continent européen et notre attitude à en gager et soutenir des groupements de forces interarmées sur un théâtre en sont les clés ». La professionnalisation est liée ainsi à la volonté de privilégier les opérations extérieures, les contributions françaises à toutes sortes d’intervention, le plus souvent sous l’égide de l’OTAN ou sous le contrôle opérationnel américain pour lesquelles le lien avec nos intérêts nationaux sont de plus en plus ténus. Je rappelle que ces opérations extérieures ont mobilisé en moyenne 12 000 hommes chaque année et coûté 620 millions d’euros en moyenne annuelle depuis 10 ans. Le projet nous propose de porter les effectifs disponibles jusqu’à 26 000 hommes ! Dois-je rappeler les termes de l’ordonnance du 7 janvier 1959 : « La défense a pour objet d’assurer en tout temps en toutes circonstances et contre toutes formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population ».

Nous n’avons pas vocation à fournir des éléments de corps expéditionnaires partout où les Etats-Unis veulent intervenir sans exposer la vie de leurs soldats.

Cette orientation néfaste nous a fait beaucoup de tort depuis 1996. Nous avons multiplié les OPEX sans moyen de les financer. De sorte que les OPEX et le coût de la professionnalisation ont été pris sur le titre V. Du même coup, les armées étaient à la fois sollicitées de partout ; et ses moyens d’équipement et d’entretien de matériels s’affaiblissaient à mesure.

J’aurais souhaité une rupture sur ce point, je ne la trouve pas. Et bien entendu, l’affaire d’Irak sera un révélateur. Si malgré l’absence de preuves décelées du fait des inspections, les Etats-Unis décidaient d’une intervention unilatérale, la France se devrait de condamner fermement cette violation du droit international. Aucun recours à la force ne peut intervenir sans une seconde résolution explicite du Conseil de sécurité. Et si Washington, sans preuve, proposait une telle délibération, c’est à un veto français que le droit international devra d’être respecté. Ce n’est pas l’isolement qui guetterait alors la France, mais un immense soutien des opinions publiques du monde entier. Alors notre débat d’aujourd’hui, Mme la Ministre, prendrait une autre tournure, parce qu’il serait tranché.

La France ne serait plus ce pourvoyeur d’effectifs pour des opérations extérieures décidées par injonction médiatique, mais une nation recouvrant son autonomie et son jugement.

Les interventions extérieures ne peuvent être décidées qu’à bon escient, lorsqu’elles sont conformes au droit international ou aux accords de sécurité et de défense que nous avons conclu, ou enfin à nos intérêts propres. Elles n’ont pas à être décidés en fonction de considérations médiatiques.

Les interventions extérieures ne sont pas un remède de fond au terrorisme qui appelle, plus que des solutions militaires, des solutions politiques. Devant le terrorisme, il faut d’abord faire face, ne rien céder, ne rien compromettre. Il faut ensuite empêcher qu’une politique absurde ne jette dans les bras des réseaux terroristes des milliers de gens révoltés par l’injustice et la partialité.

Faire face, c’est ce préoccuper de la sécurité du territoire. Nos approches maritimes et aériennes doivent être mieux surveillées. La sécurité de nos transports maritimes doit pouvoir être assurée en cas de crise, et cela dès la haute mer. L’amélioration des capacités de renseignements sera décisive. Notre territoire recèle un grand nombre de points sensibles qui peuvent être les cibles du terrorisme : aéroports, centrales nucléaires, réseaux d’eau potable, d’électricité et de téléphone. Contre une menace bactériologique ou chimique de quelque ampleur, nous serions fort dépourvus. Là réside la priorité d’une défense qui soit nationale et que personne n’assurera à notre place.

La fin de la conscription a privé notre défense de dizaines de milliers d’hommes qui seraient bien nécessaires à présent, si une réforme de la défense du territoire avait été engagée. Avec la suppression du service national, le lien armée-nation, si indispensable en cas de menaces terroristes, s’est à l’évidence affaibli.

L’idée d’une garde nationale de 60 000 hommes et femmes volontaires, alimentée par un service court et sportif doit être creusée. A tout le moins l’utilisation de réserves mérite d’être repensée à cette fin.

L’organisation de nos armées dans l’hypothèse privilégiée de participation à de lointaines expéditions collectives doit céder la place à l’organisation de la défense de la nation.

Eviter de jeter des milliers de gens dans les bras du terrorisme, c’est mener une politique de respect des peuples, des cultures, des nations, c’est opposer le dialogue des cultures au choc des civilisations. C’est, face au monde arabo musulman, être les avocats d’une solution juste et équilibrée au Proche-Orient et faire partout le pari de la modernité dans le monde arabe. La France doit être là où on l’attend : non pour ajouter quelques bombes au déluge de missiles américains qui submergerait l’Irak, mais en opposant la force du droit à l’arbitraire du puissant. C’est faire le choix du développement, contre la misère et l’humiliation qui sont le terreau de l’intégrisme fanatisé.

Trop marqué par les priorités données aux engagements extérieurs, ne tirant pas suffisamment les conséquences de cette nouvelle donne que sont le terrorisme et les risques de l’unilatéralisme américain, ce projet de programmation ne fait pas l’usage souhaitable des moyens nouveaux dont disposera notre défense. Nous ne le voterons donc pas.

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