Affaires étrangères et défense
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Programmation militaire : question préalable
Par Hélène Luc / 15 janvier 2003par Hélène Luc
La discussion sur la loi de programmation militaire s’engage aujourd’hui dans le contexte d’une crise internationale majeure avec la menace d’une guerre en Irak qui suscite l’inquiétude légitime et l’opposition d’une très large majorité de nos concitoyens.
La France, à la fin de l’année dernière, a obtenu le respect des principes de l’ONU et le rôle de la résolution 1441 au Conseil de Sécurité. La position de la France y a fortement contribué mais cette voix loin de faiblir doit s’amplifier.
Mardi dernier après la déclaration du Président de la République laissant entendre qu’il fallait désormais se préparer à une guerre en Irak et à une participation de la France à cette aventure a créé une très grande inquiétude. Nous refusons catégoriquement cette guerre - et avec nous les françaises et les français qui dans une proportion très forte de 3 sur 4 (76%) sont opposés à une intervention militaire française même avec le feu vert de l’ONU. Le Pape vient de déclarer que la guerre n’est jamais une fatalité, elle est toujours une défaite de l’humanité. M. ELBARADEI, Président de l’agence internationale de l’énergie atomique ainsi que M. Hans BLIK ont demandé que la mission des inspecteurs de l’ONU soit prolongée ; si elle était acceptée ce serait une avancée appréciable.
Les 2/3 des américains qui se disent opposés à une intervention militaire unilatérale en Irak sans l’appui de l’ONU (même si 83 % des américains seraient en faveur d’une guerre qui aurait obtenu le soutien de l’ONU), en Grande Bretagne, 58 % de britanniques estiment que le Président irakien ne représente pas une menace suffisante pour justifier une guerre, 13 % seulement soutiendraient une participation britannique à une guerre sans feu vert de l’ONU, ont pesé dans la balance pour prolonger la mission des inspecteurs.
Mais nous ne perdrons pas de vue que le Président BUSH continue très activement à préparer concrètement la guerre avec 150 000 soldats américains qui devraient être sur place d’ici la mi-février.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen considèrent plus que jamais qu’une guerre en Irak serait injustifiable et dangereuse ! Ils appuient de toutes leurs forces la grande manifestation du 18 janvier à Paris et dans toute la France, jour de lutte mondiale contre la guerre en Irak. Cette guerre qui aurait des conséquences désastreuses sur l’équilibre régional et international, l’on peut imaginer les conséquences humaines tragiques, économiques, écologiques.
C’est pourquoi nous demandons instamment que le Parlement se saisisse dès la rentrée parlementaire de cette question et puisse s’exprimer par un vote, qui se justifie contrairement à ce qu’a déclaré Jean Louis DEBRE pour déterminer la position de la France. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre le 27 janvier et la remise du rapport d’inspection de l’ONU pour nous prononcer.
Ce n’est pas en adoptant une politique de suivisme que la France en sortirait grandie. Notre pays se doit de continuer d’être à l’initiative pour empêcher cette guerre. Le Parlement doit y contribuer.
Nous demandons fermement, aussi, que la France oppose son droit de véto au Conseil de sécurité de l’ONU si celui-ci est saisi d’une nouvelle résolution, seul moyen qu’il n’y ait pas la guerre. Plus que jamais la voix de la France compte au Conseil de sécurité car le mouvement grandit dans le monde contre cette guerre y compris dans les pays arabes.
Il faut nous opposer à l’unilatéralisme américain et à son injustifiable stratégie de guerre préventive. Il y a urgence.
Nous avons aujourd’hui la possibilité de faire entendre une voix différente, réfléchie et constructive. Ce n’est pas par la guerre que l’on pourra faire face aux problèmes du monde d’aujourd’hui.
Cette voix doit retentir plus fort encore au sein même des Nations Unies, car c’est vraiment d’une action collective dont nous avons besoin. Et celle-ci n’aura de sens et d’efficacité que si elle est engagée au sein d’une organisation universelle, fédératrice telle que l’ONU, dans le respect de ses principes fondateurs et du droit international.
Les pratiques de domination et les politiques de puissance vont à l’encontre des conditions d’un monde plus juste, il faut redonner à l’ONU - trop souvent malmenée, instrumentalisée ou mise à l’écart - sa prééminence institutionnelle et politique. L’organisation doit être repensée et revalorisée. Une réforme portant notamment sur sa représentativité s’avère nécéssaire (mais difficile). Il reste que l’action multilatérale sera la seule garantie d’une sécurité crédible, durable, collective, susceptible de faire échec à la militarisation et au surarmement que nous constatons aujourd’hui. La France et ses partenaires européens ont une évidente responsabilité et un rôle à jouer dans cet esprit.
Le projet de loi de programmation militaire que nous examinons, Madame la Ministre, fait référence à un contexte durablement dégradé et marqué par la recrudescence du terrorisme. Mais il faut s’interroger sur le pourquoi de cette dégradation et les moyens de l’enrayer. Nous constatons avec une grande préoccupation que le type de réponse apportée par ce projet, loin d’ouvrir les conditions d’une perspective plus positive s’inspire manifestement d’une vision américaine qui fait de la logique de guerre et de la force, c’est à dire du facteur militaire, l’élément dominant et structurel d’une stratégie hégémonique qui n’apporte aucune solution véritable aux enjeux de notre période.
Madame le Ministre, mes chers collègues, mes propos témoignent que la politique de défense française n’est pas le fruit d’un consensus politique national. J’affirme au nom du groupe communiste républicain et citoyen qu’une vision alternative et différente existe.
Vous savez combien les sénateurs du groupe Communiste républicain et citoyen sont conscients de l’importance pour la France d’avoir une politique de défense qui assure la sécurité de la France et celle de l’Europe, nous sommes conscients les personnels de l’armée assurent des missions dangereuses dans l’inquiétude de leur famille, c’est pourquoi nous soutenons les personnels qui travaillent dans des conditions difficiles et nous sommes attentifs à leurs revendications.
Nous ne nions pas non plus la nécessité qu’il y a d’entretenir le matériel militaire.
Cependant, le choix que nous propose le gouvernement n’est pas à notre avis, le bon. L’accent principal mis sur la force de dissuasion et le nucléaire sur la projection de forces, illustre ce que l’on pourrait désigner comme un véritable contresens politique. La montée des tensions dans le monde et la multiplication des crises, la persistance d’un conflit majeur non résolu au Proche Orient, un terrorisme de plus en plus meurtrier, des instabilités de plus en plus manifestes, tout ceci témoigne dans la situation internationale, de fractures sociales et de frustrations profondes.
Les réponses prioritairement militaires apportées jusqu’ici n’apportent pas les solutions qui devront s’imposer. Bien au contraire. Cette politique nourrit les incompréhensions et les haines. Elle fait le jeu des extrémismes et des intégrismes. Elle alimente la thèse perverse et dangereuse du choc des civilisations.
Cette guerre en Irak, qui se profile avec plus de précisions à l’horizon, risque d’être avant tout un pas de plus sur ce chemin périlleux.
Si les Etats Unis choisissent une politique ultra sécuritaire, une logique néo impérialiste pour leurs intérêts stratégiques et énergétiques propres, il y a à l’évidence une erreur manifeste dans l’illusion qu’il suffirait à la France et aux européens de les suivre et de les imiter pour s’octroyer un rôle et une place dans le monde d’aujourd’hui.
Nous croyons que la France et ses partenaires européens ont une toute autre mission à assumer dans les relations internationales et une toute autre responsabilité. Partout en Méditerranée, en Afrique, en Asie et en Amérique Latine et sur le Continent européen lui-même s’exprime de façon diverse mais chaque fois explicite l’espoir de voir les européens assumer une politique originale et autonome, et prendre à bras le corps les grands enjeux économiques, sociaux, institutionnels, démocratiques, culturels de la mondialisation capitaliste afin de contribuer, avec beaucoup plus de détermination et d’efficacité d’aujourd’hui, à la révolution positive, progressive des grands problèmes du développement.
Ce n’est certes pas le seul levier qui peut permettre de casser le ressort des crises et des tensions. Mais sans cet effort patient qui nécéssite à l’évidence un engagement politique de haut niveau dans la durée comment répondre aux rancoeurs et aux frustrations, comment combler les fossés de ressentiment et de haine, comment épuiser les fanatismes qui sont trop souvent à l’origine de tensions, qui entretiennent les conflits et nourrissent un terrorisme abject et meurtrier ?
Permettez-moi, Madame la Ministre, mes chers collègues, une seule illustration. Comment les européens qui souhaitent légitimement jouer ensemble par leur union un vrai rôle politique, pourraient-ils prétendre à ce rôle là s’ils ne se montrent pas capables d’initiatives concrètes dans cet esprit ? Comment pourraient-il prétendre jouer un rôle en Méditerranée, réussir leur ambition d’un partenariat euro méditerranéen, s’ils ne cherchent pas en même temps à faire de ce partenariat autre chose qu’une zone de libre-échange et à s’engager politiquement de façon visible et forte en faveur d’une paix négociée dans la justice et le respect du droit pour les peuples de Palestine, d’Israël et de toute la région à aller vers un règlement du conflit très préoccupant en Côte d’Ivoire.
Je crois, Madame la Ministre, qu’une loi de programmation militaire qui engage notre pays pour les 6 ans à venir, non seulement sur le plan strict des moyens de la défense, mais aussi en définissant pour la France une attitude, une philosophie politique d’action dans le monde ne peut pas rester étrangère à ces enjeux cruciaux.
C’est pour ces raisons que nous parlons de contresens, c’est à dire en considération de la période que nous vivons depuis une dizaine d’années de ce nouvel état du monde qui s’est manifesté avec une brutalité qui nous a stupéfiés et horrifiés le 11/09/2001. Sachons tirer la leçon et les bons enseignements de cette tragédie.
Lors de l’assemblée du Millénaire de l’ONU en l’an 2000, les exigences de dignité humaine et d’égalité avaient été érigées en principes fondateurs. L’ensemble de la communauté internationale a pris des engagements précis à atteindre d’ici 2015 : éliminer la pauvreté et la faim assurer une éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre les grandes épidémies comme le Sida, assurer la durabilité des ressources écologiques, mettre en place un partenariat pour le développement, en assurant les 0,7 % du PIB avant 2005. Le temps presse, il faut faire pression sur les Etats Unis en appuyant l’OMS désigné par l’Union Européenne pour jouer un rôle d’arbitre pour contraindre les Etats Unis, qui craignent pour les bénéfices de leur industrie pharmaceutique, à appliquer la décision de l’OMC pour l’accès des médicaments génériques à tous les pays en voie de développement et notamment en Afrique.
Ces objectifs concrets sont venus appuyer l’engagement d’un soutien aux valeurs de liberté, de démocratie et de droits de l’homme, ils doivent être appliqués.
Nous proposons que les autorités françaises se fassent les porteurs systématiques et inlassables de l’ensemble de ces objectifs en Europe et dans tous les lieux où des décisions doivent être prises en particulier au sein des institutions internationales qu’elles soient politiques, commerciales ou financières. Notre pays se devrait d’être à la pointe des exigences en matière de solidarité, de développement, de justice économique et sociale.
Il s’agit là, croyons-nous, de l’investissement politique le plus productif qui soit pour l’avenir, et celui qui pourra nous apporter, dans la durée les meilleures chances d’une sécurité et d’une stabilité plus grandes et plus solides.
C’est dans cet esprit et dans ce cadre que la politique de défense française peut prendre un sens différent. C’est ce débat là que nous aurions dû avoir au Parlement avant de voter cette loi de programmation militaire, c’est une des raisons de notre question préalable. Mes amis Jean Yves AUTEXIER et Josiane MATHON ont expliqué notre conception de notre politique de défense.
Nous parlons d’autonomie. Nous croyons, en effet, qu’il s’agit là d’une question essentielle : autonomie de la défense de la France, autonomie d’une future politique européenne en matière de sécurité, et naturellement, y compris dans ses dimensions militaires.
Il faut construire une défense européenne en plein accord avec les visées pacifistes.
La sécurité du territoire national et européen doit être prioritaire, or ce n’est pas ce qui ressort de votre loi. Il est préoccupant de constater qu’en Europe certains pays court-circuitent les avancées possibles. J’en veux pour exemple l’achat récent par la Pologne -futur membre de l’UE - d’avions F16 américains ou encore les crédits de recherche accordés par certains pays européens aux Etats Unis, alors que la France n’a pas par exemple de recherche suffisante pour succéder au Rafale dont on connaît la lenteur avec laquelle il a été mis sur le marché.
C’est une question grave car le risque est grand que l’industrie aéronautique militaire disparaisse comme c’est le cas en Allemagne.
Enfin il faut envisager une redistribution budgétaire qui prendrait la forme d’un renforcement des approches aériennes et maritimes, d’une augmentation des moyens de l’information et du renseignement humain et par satellite en diminuant la force de dissuasion nucléaire, la création d’un service civilo-militaire qui viendrait en appui de l’armée et de la gendarmerie, du développement d’une recherche duale française et européenne et enfin la transformation de la force de projection française et européenne en force de prévention et d’interposition.
Cette autonomie concerne aussi l’industrie de défense française qui doit être, selon nous, préservé et développé en fonction des nouveaux besoins issus des exigences de sécurité de notre période : interposition, prévention, maintien de la paix, sécurisation, protection civile… Nous savons bien que la diversité des missions égale la diversité des situations de crise et de conflit dont chacun mesure toute la complexité.
Nous voulons souligner, cependant, l’importance de la définition de ces missions et du mandat ainsi confié aux forces militaires ainsi engagées. La légitimité, en l’occurrence, ne peut appartenir qu’à la communauté internationale et à la seule institution universelle disposant d’une compétence légale et reconnue, c’est à dire les Nations Unies.
Nous ne voulons pas d’un monde où le droit d’ingérence n’est en fait que le droit du plus fort. Nous avons besoin d’un multilatéralisme véritable c’est à dire de réponses collectives aux problèmes communs.
Le respect des principes de la Charte de l’ONU doit, en toute circonstances, s’imposer à tous, y compris, et en particulier aux Etats Unis, puissance hégémonique dont on mesure trop bien l’unilatéralisme dans la crise irakienne.
Dans cet esprit, c’est manifestement l’ensemble des pratiques politiques et de sécurité qu’il convient d’infléchir ou de transformer si nous voulons être à la hauteur des enjeux, et notamment, l’architecture de sécurité européenne. Le récent sommet de Prague, ne répond pas, c’est le moins qu’on puisse dire, à cette exigence. Il faudra reposer avec force la question des principes, des institutions, des moyens d’une telle architecture alors que l’OTAN se trouve aujourd’hui dépassée et totalement inadaptée dès lors qu’elle a perdu sa raison d’existence même après d’existence même après la fin de la guerre froide après le mur de Berlin que vous avez évoqué, Madame la Ministre.
La France et les européens se doivent de faire face à cet enjeu politique de grande dimension pour leur avenir et pour leur rôle sur ce continent et dans le monde.
Voilà, Madame la Ministre, en quelques mots trop rapides, les raisons qui nous conduisent à voter contre ce projet de loi de programmation militaire et vous demandons mes chers collègues de voter cette question préalable.