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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ratification du traité de Lisbonne : exception d’irrecevabilité

Par / 7 février 2008

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne manque jamais de rappeler que, au Sénat, par une sorte de bizarrerie du Sénat, les motions sont présentées après la réponse du représentant du Gouvernement aux orateurs qui se sont exprimés dans la discussion générale. Il conviendrait, me semble-t-il, de modifier notre règlement sur ce point, car il y a là quelque chose d’absolument anormal.

Cette observation liminaire étant faite, j’observe que, à minuit et demi passé, le Sénat est sommé de conclure à marche forcée l’examen du projet de loi autorisant la ratification du traité de Lisbonne. On pourrait même éteindre les lumières pour que cela passe encore plus inaperçu !

Moins de deux mois se sont écoulés depuis la signature du traité par les gouvernements de l’Union européenne, le 13 décembre 2007. Le processus a donc été vraiment très rapide.

Le Président de la République avait donné sa parole, surtout à ses partenaires : la France devait en quelque sorte se « racheter » et figurer parmi les premiers pays à ratifier le traité. Le Président de la République aurait même aimé qu’elle soit la première, mais ce ne sera pas le cas. Ainsi, la France évite avant tout de consulter le peuple et incite les autres pays à en faire autant.

Certains évoquent aujourd’hui la clôture d’un « chapitre difficile ». Certes, pour des responsables politiques, il est toujours « difficile » d’admettre que le peuple les a désavoués. Pourtant, c’est bien ce qui s’est passé le 29 mai 2005. Le peuple a désavoué les principaux états-majors et 93 % des parlementaires.

D’ailleurs, l’enthousiasme qui animait tout à l’heure l’orateur du groupe de l’UMP...

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. Il y en avait deux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... ne correspondait pas tout à fait à la réalité.

En effet, à l’Assemblée nationale, seuls 336 députés sur 557 ont approuvé le traité.

M. Hubert Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne. C’est déjà bien !

M. Dominique Braye. C’est sûr que vous, les communistes, avec 1,93 % des voix, vous ne risquez pas d’y arriver !

M. Guy Fischer. Taisez-vous, monsieur Braye !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes, c’est une majorité, je vous l’accorde. Mais cela ne correspond pas à l’enthousiasme dont certains ont témoigné dans cet hémicycle.

M. le président. Ma chère collègue, si vous le souhaitez, je peux vous apporter quelques précisions sur l’adoption du présent projet de loi à l’Assemblée nationale.

La majorité absolue était de 196 voix et 336 députés ont approuvé le texte législatif.

Certes, tous les députés n’ont pas assisté au vote, car certains d’entre eux n’étaient pas en séance, comme cela arrive parfois à l’Assemblée nationale, et même au Sénat. (Sourires.)

Veuillez poursuivre, ma chère collègue.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À mon sens, pour revenir sur un vote populaire, il eût été préférable que tous les députés soient présents.

En tout cas, j’estime qu’un chapitre douloureux s’ouvre aujourd’hui, celui d’une Europe qui se construit ouvertement dans le dos des peuples, contre les peuples. (Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.) Vous pouvez continuer à rire, mesdames, messieurs de l’UMP, cela ne me dérange pas !

M. Dominique Braye. Moi, je ris, mais vous, tout à l’heure, vous gloussiez ! (M. Michel Dreyfus-Schmidt s’exclame.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je sais, je « glousse » comme les poules. Je vois qu’en plus du reste, vous êtes extrêmement galant ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)

Tout au long des discussions, nous avons avancé des arguments dénonçant le recours à la voie parlementaire pour ratifier ce traité.

Tout d’abord, nous avons souligné que le traité de Lisbonne reprenait pour l’essentiel le traité constitutionnel rejeté par nos concitoyens le 29 mai 2005.

Jamais la majorité parlementaire n’a reconnu ce fait, pourtant évident, alors que tous les observateurs, eux, l’admettent. C’est le cas du « pilote » du traité constitutionnel européen, M. Valéry Giscard d’Estaing, et de la plupart des autres dirigeants des pays européens, qui s’en prévalent d’ailleurs. Je l’ai déjà dit, mais j’aime à le répéter : dans les pays où le peuple a voté « oui » par référendum au traité constitutionnel européen, on précise qu’il est inutile d’organiser un nouveau référendum sur le traité de Lisbonne puisque celui-ci est identique au traité déjà approuvé. En France, on nous tient le discours exactement inverse : le référendum ne s’impose pas puisqu’il ne s’agit pas du même traité. C’est d’une logique imparable ! (Rires sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Dominique Braye. Imparable pour des communistes !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’ai d’ailleurs noté que l’éditorialiste du journal Le Monde, qui n’avait rien dit pendant les semaines précédant le débat, a reconnu la légitimité démocratique de la demande de référendum sur le traité, en raison précisément de la similitude entre les deux textes.

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Si Le Monde le reconnaît...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est évident qu’il faut aller au-delà des différences terminologiques. Certes, le traité n’est plus « constitutionnel » et les symboles ont disparu, mais subsistent les transferts de compétences, la durée illimitée d’application du traité et, surtout, l’intégralité des contenus que le peuple a foncièrement rejetés. Ce que le peuple a rejeté, c’est l’Europe de l’ultralibéralisme, d’une Banque centrale européenne toute-puissante, de l’absence d’harmonisation sociale ou fiscale et de la résignation devant les grands problèmes des sociétés européennes et les désordres mondiaux ! Ce n’est pas l’hymne et le drapeau !

M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le porte-parole de l’Élysée, M. Martinon, qui gagne à être connu, s’est bruyamment félicité de la ratification. Selon lui, le Président de la République et les parlementaires qui le suivent auraient « débloqué » l’Europe, que le peuple avait « bloquée ».

Outre le fait que rien n’était bloqué - c’est M. Haenel, président de la délégation pour l’Union européenne, qui le dit -M. Martinon ignore-t-il que, dans une démocratie, la parole du peuple est souveraine et que nul, et surtout pas ses représentants, ne peut la contredire ?

Au fond, le peuple a voulu remettre l’Europe sur les rails de la justice sociale et de la démocratie, et vous n’avez pas voulu l’entendre. Mais n’ayez crainte ! Le peuple français et les autres peuples européens sauront rapidement se rappeler à votre bon souvenir.

Ainsi, vous n’avez pas répondu à la question fondamentale de la similitude entre les deux traités. Vous ne le pouviez pas, car avouer cela dans cet hémicycle, c’était avouer la trahison de la parole du peuple.

Vous avez également fait la sourde oreille à d’autres arguments incontestables.

Le Conseil constitutionnel était-il compétent pour examiner la constitutionnalité des dispositions du traité de Lisbonne ?

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Oui ! Par définition !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons démontré qu’il ne l’était pas. En effet, en vertu d’une jurisprudence constante, exposée notamment dans une décision du 23 septembre 1992, le Conseil constitutionnel ne peut pas se prononcer sur les choix directement exprimés par le peuple.

Le Conseil constitutionnel aurait dû estimer qu’il ne pouvait être saisi de telles dispositions, le traité de Lisbonne reprenant point par point le traité constitutionnel refusé par le peuple.

Vous n’avez pas répondu sur cet aspect important, car la référence à la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre 2007 fonde la procédure accélérée à laquelle nous assistons aujourd’hui.

Certains nous demandent comment nous pouvons affirmer l’irrecevabilité constitutionnelle du présent projet de loi, alors qu’une révision de la Constitution est intervenue précisément pour rendre le traité de Lisbonne compatible avec notre loi fondamentale.

Pour mémoire, je rappellerai que soixante-dix sénateurs avaient saisi le Conseil constitutionnel le 14 août 1992 en vue de contester la constitutionnalité du traité de Maastricht, et ce après la révision constitutionnelle préalable à sa ratification.

Depuis sa décision du 2 septembre 1992, le Conseil constitutionnel admet la recevabilité d’une telle saisine et considère que la procédure de contrôle de constitutionnalité peut de nouveau être mise en oeuvre « s’il apparaît que la Constitution, une fois révisée, demeure contraire à une ou plusieurs stipulations du traité ».

Comme je l’ai souligné en présentant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité au projet de loi constitutionnelle préalable à la ratification, plusieurs points du traité demeurent contraires à la Constitution. Ainsi, la soumission à l’OTAN, le pouvoir absolu de la BCE, l’ouverture à la concurrence des services publics et la remise en cause du principe de laïcité n’ont pas été abordés par la révision constitutionnelle.

Certains observateurs notent d’ailleurs que nous assistons à l’instauration de deux normes constitutionnelles de référence dans notre pays : d’un côté, la Constitution française, qui renvoie explicitement aux principes définis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; de l’autre, les normes européennes, qui les contredisent en plusieurs points.

Notre exception d’irrecevabilité est donc parfaitement fondée. Du reste, en 1992, on avait tout à fait admis que des sénateurs, parmi lesquels d’éminents présidents d’aujourd’hui - je veux parler de MM. de Raincourt, Poncelet, Valade -, ainsi que M. Pasqua, puissent contester la constitutionnalité d’un projet de loi autorisant une ratification, et ce même après la révision constitutionnelle s’y rapportant.

Mes chers collègues, vous vous apprêtez à autoriser la ratification d’un traité identique à celui qui a été repoussé par le peuple. C’est la première fois dans notre histoire constitutionnelle qu’un référendum est ainsi contourné par un gouvernement et une majorité parlementaire.

Cet acte grave aurait pu être empêché par le refus de la révision constitutionnelle. En effet, au Congrès, le Président de la République avait besoin des trois cinquièmes des suffrages exprimés. Pour ma part, je regrette profondément que la gauche ne se soit pas rassemblée (Murmures ironiques sur les travées de l’UMP) pour faire obstacle à une manoeuvre dont la seule finalité est la poursuite de la construction d’une Europe libérale, plus tournée vers la finance que vers l’épanouissement des peuples,...

M. Jacques Blanc. Je préfère cela à l’Europe de l’Est !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... ou encore d’une l’Europe forteresse, obligée de sanctionner et entourée de camps de rétention pour étrangers.

C’était lundi, à Versailles, que le référendum pouvait être obtenu. Le peuple saura reconnaître avec discernement ceux qui ont prôné jusqu’au bout le respect de sa parole.

En fait, outre les aspects constitutionnels que j’ai précédemment rappelés, l’irrecevabilité est une irrecevabilité politique fondamentale.

Très franchement, si le traité était enthousiasmant pour notre peuple comme pour les autres peuples européens, le référendum serait naturel puisqu’il consacrerait les pas franchis dans le sens des aspirations de nos concitoyens. A contrario, le refus du référendum montre à quel point ce n’est pas le cas.

Comme je l’ai indiqué à Versailles, le peuple a le droit de changer d’avis, mais ce n’est certainement pas au Parlement de le faire à sa place.

M. Jean-Luc Mélenchon. Très bien !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous appelle donc une dernière fois, mes chers collègues, à la raison démocratique : votez cette irrecevabilité, car le déni de la parole du peuple est irrecevable en démocratie !

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