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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un pari risqué et une mise en œuvre aléatoire

Traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan -

Par / 18 juillet 2012

Le traité d’amitié et de coopération entre la France et l’Afghanistan que nous sommes appelés à ratifier aujourd’hui, est généreux, ambitieux, …et risqué.

C’est un pari sur l’avenir de ce pays, sur la capacité et la volonté de multiples acteurs à assurer la stabilité et la paix dans cette région. Je souhaite que ce pari soit remporté.

Depuis la décision du Président Obama, auquel Nicolas Sarkozy avait rapidement emboîté le pas, de retirer totalement les troupes de la force internationale d’assistance à la sécurité mise en oeuvre par l’OTAN, à la fin de l’année 2014, les principaux pays de cette coalition menée par les Etats-Unis s’empressent de signer des traités bilatéraux de coopération civile avec le gouvernement afghan.

Le but de ces traités est de soutenir le développement économique du pays en anticipant la délicate période de transition qui existera lorsque l’armée et la police afghane, formées par des militaires de l’ISAF, seront capables d’assurer seules la sécurité.

Car tout le monde sait que ce départ se traduira par une période d’incertitude et une contraction de la manne financière internationale, au demeurant mal répartie au seul profit du régime en place et de quelques « seigneurs de guerre », qui a été déversée sur ce pays depuis 2001.

Après le retrait des troupes de l’Otan, il sera évidemment nécessaire qu’un Etat afghan existe réellement.

En outre, le développement économique et social, une gouvernance rigoureuse et des investissements importants seront les conditions indispensables au maintien de l’aide publique internationale.

C’est dans cette perspective qu’à été organisée, il y a quinze jours à Tokyo, une conférence de pays donateurs qui redoutent un effondrement économique du pays après le départ des troupes étrangères et qui veulent atténuer l’impact d’un désengagement partiel de la communauté internationale.

Ces bailleurs de fonds se sont ainsi engagés à apporter une aide civile de 16 milliards de dollars ( soit 13 milliards d’Euros) sur la décennie 2015-2025, dont 230 millions pour notre pays. Par rapport à nos capacités, c’est un effort important qu’il faudra utiliser à bon escient.

C’est dans ce contexte que se situe le traité franco-afghan dont nous débattons.

Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi de ratification, le traité « marque l’évolution du soutien français d’une dominante militaire à une dominante civile ».

Pourtant, il n’organise pas seulement la future coopération civile, il comprend aussi un important volet de coopération de défense et de sécurité. En 13 articles, il donne un cadre à un ensemble de projets et d’actions, sous la forme de différents programmes.

J’approuve bien entendu tout ce qui va dans le sens du développement économique et social de ce pays.

Que ce soit dans l’agriculture et le développement rural, pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, la santé, afin de réduire le taux de mortalité maternelle et infantile et améliorer le niveau de formation des médecins. Ou bien encore l’éducation et l’enseignement supérieur en développant l’enseignement du français, et en soutenant les deux lycées que nous avons créés qui sont maintenant sous la responsabilité de la République islamique.

A tout cela s’ajouterait le développement des échanges culturels et la protection du patrimoine archéologique.

Enfin, je n’oublie pas qu’il est prévu de faciliter les investissements français et les activités de nos entreprises dans les domaines des infrastructures de télécommunications, de transport, d’irrigation, de production et de transformation des matières premières.

Cependant, il faudra être particulièrement offensif et volontariste dans ces domaines afin que nos entreprises réussissent à se faire une place dans un pays et sur des marchés sur lesquels les Etats-Unis exercent un quasi monopole.

Je le répète, le cadre est idéal, les projets sont généreux et ambitieux.

En revanche, leur mise en œuvre est aléatoire.

Elle dépendra de l’importance des moyens qui leur seront attribués. Mais elle se heurtera tout autant aux incertitudes de l’avenir et aux dures et complexes réalités afghanes.

De prime abord, dans un monde idéal et harmonieux, l’idée de se préoccuper du devenir de l’Afghanistan en soutenant son développement économique après la fin des opérations militaires pourrait paraître raisonnable et sympathique.

Le retrait accéléré de nos troupes, qui avait déjà été amorcé par Nicolas Sarkozy avec un an d’avance sur le calendrier fixé par les américains, a été une courageuse décision politique du Président de la République.

Elle correspondait à une demande de l’opinion publique française que, pour notre part, nous avons été longtemps les seuls à relayer.

Dans ces conditions, on pourrait donc se satisfaire de ce qui peut apparaître comme un changement de stratégie : après les opérations militaires, place au développement économique et social.

La réalité est plus complexe.

Il faut en effet ne pas être naïfs, mais lucides, sur les raisons qui ont poussé les américains et l’Otan à organiser ce retrait militaire, ainsi que sur les conditions dans lesquelles il s’effectuera.

La décision de quitter militairement l’Afghanistan n’est pas fondée sur la réalité de la situation sur le terrain, mais sur d’autres considérations.

Soyons pragmatiques, admettons que la présence de nos troupes, intégrées à celles de l’Otan, ne répondait plus à l’objectif fixé par les résolutions initiales du Conseil de sécurité : les talibans ont été chassés du pouvoir fin 2001, et le combat contre le terrorisme s’est transformé en lutte contre une insurrection d’opposants au régime en place.

Nous devons également admettre que lorsque des forces armées sont présentes sur le territoire d’un état souverain pendant plus de dix ans, la solution aux problèmes posés n’est évidemment pas militaire.

Fin 2014 a donc été fixée par les Etats-Unis comme date butoir pour se désengager d’un conflit qui est l’échec de la stratégie qu’ils ont imposée à leurs alliés.

Cette période ne coïncidera qu’accessoirement avec le moment où l’armée et la police afghanes pourraient être en mesure de prendre le relais des troupes de l’Otan sur tout le territoire.

En effet, pratiquement tous les experts, nos militaires en particulier, savent qu’aujourd’hui la pléthorique armée afghane de plus de 200.000 hommes, presque tous issus d’ethnies proches du Président Karzaï, en est incapable.

En vérité, cette armée sert en grande partie à assurer un emploi et un revenu à des populations très démunies. Son entretien, son équipement, sa formation par les militaires de l’Otan, coûte cher et est en outre une source de revenus non négligeable pour le pouvoir en place.

Les plans de formation prévus d’ici l’échéance de 2014 la rendront sans doute un peu plus opérationnelle, mais certainement pas plus crédible dans sa détermination à lutter contre les ennemis du régime en place.

Il ne faut pas non plus se laisser illusionner sur la réalité d’un désengagement militaire des Etats-Unis qui serait total.

Car, c’est à la veille de se rendre à la conférence de Tokyo, que la secrétaire d’Etat américaine a officialisé, à Kaboul, l’octroi à l’Afghanistan du statut d’ « allié majeur non membre de l’Otan ».

Ce statut, qui est accordé à une quinzaine de pays, n’est pas anodin et n’a rien de symbolique. Il permet en particulier une coopération militaire renforcée avec les Etats-Unis dans le développement et l’achat d’armements.

Ajoutons à cela qu’ils ont engagé un partenariat stratégique le régime afghan dont les principales dispositions leur permettront de conserver des implantations militaires pendant une vingtaine d’années dans ce pays.

Par ailleurs, pour les plus optimistes, même si la situation sécuritaire devait se stabiliser après le départ de la coalition internationale, il faudrait de toute façon aider l’Etat afghan, quel qu’il soit, à surmonter les difficultés qui l’attendent.

Elles sont nombreuses et proviennent principalement du déficit budgétaire prévisible pour un pays soutenu à bout de bras par l’aide internationale, principalement américaine, qui, selon les prévisions, devrait diminuer de moitié.

Pour avoir une idée plus précise de ce qu’il est convenu d’appeler l’aide internationale en faveur de l’Afghanistan, il faut savoir que la conférence de Tokyo a estimé que plus de la moitié du trou budgétaire à venir proviendrait de dépenses de sécurité pour l’armée et la police afghanes évaluées à 4,1 milliards.

Les pays de l’Otan devraient le prendre en charge à hauteur de 3,6 milliards de dollars, tandis que les 3,7 milliards du déficit civil devraient, en principe, être assumés par les Etats donateurs participants à la conférence de Tokyo.

On peut ainsi légitimement s’interroger sur la réalité du changement de stratégie qui serait en cours.

Il faudrait également tirer les enseignements sur la façon dont cette aide à été distribuée et utilisée afin d’être plus exigeants en ce qui concerne la gouvernance du pays aidé.

Car cette manne financière a surtout contribué à alimenter une bulle artificielle qui a enrichi une chaîne de sous-traitants – afghans et étrangers – tandis que la population n’en bénéficiait que de manière résiduelle.

Les retombées locales de cette assistance sont toujours très limitées. Selon les estimations de la Banque mondiale, sur chaque dollar dépensé, seuls 20 à 25 cents restent en Afghanistan.

Il faut aussi déplorer que le climat d’incertitude qui s’annonce exacerbe une corruption déjà endémique.

Les principaux acteurs en sont des groupes d’intérêts avides d’accaparer les ressources encore disponibles et de les mettre à l’abri à l’étranger, en particulier à Dubaï dont nous reparlerons dans le débat qui succédera à celui-ci.

Pour apprécier le bien-fondé, la pertinence et l’efficacité des mesures contenues dans le traité qui nous est soumis il faut donc juger en fonction de critères ayant trait à la qualité de l’aide et à la façon dont elle doit être répartie sur place.

Or, de ce point de vue, je n’ai pas le sentiment que les dispositions de ce traité, qui je le rappelle a été négocié par le précédent gouvernement avec le régime du Président Karzaï, soient suffisamment exigeantes.

En particulier, celles qui visent à prévenir la corruption ambiante et garantir une bonne gouvernance, sont insuffisantes.

Elles sont pourtant essentielles pour assurer une juste répartition de l’aide auprès de la population afghane,

Elles se limitent à la mise en place d’une commission mixte chargée de suivre la lutte contre les trafics illégaux, et à une assistance technique et opérationnelle pour renforcer la lutte contre la criminalité organisée et les trafics de stupéfiants et d’êtres humains.

Mais si les personnels sont peu fiables et incompétents, l’assistance risque d’être inefficace.

Ce point essentiel ne saurait cependant masquer l’importance qu’il y a à mettre sur pied une véritable administration. Car sinon les milliards de dollars d’aide seront gaspillés et ne pourront pas combler rapidement le manque de fonctionnaires afghans formés, ni l’absence d’institutions fonctionnelles et viables, notamment au niveau local.

Je suis sceptique, malgré toutes nos qualités, sur les moyens financiers que nous serons réellement en mesure de consacrer à la formation des cadres d’une administration centrale et territoriale embryonnaire, ainsi que sur l’ampleur de notre participation à la formation de professeurs de droit des universités afghanes. Face à une influence américaine et anglo-saxonne prépondérante, nos efforts pour importants qu’ils soient, sont pourtant dérisoires.

Au total je suis convaincue que la stabilité de l’Afghanistan passe obligatoirement par son développement économique et social, et que ce sont les populations afghanes qui doivent prioritairement en bénéficier. C’est certainement la meilleure façon de se débarrasser des deux fléaux majeurs qui gangrènent ce pays : le terrorisme et le narcotrafic.

Le retour de la sécurité dépendra donc du niveau de l’effort national et international, et des conditions dans lesquelles il sera entrepris pour répondre aux vrais besoins de développement.

Mais d’une façon générale, sur le fond, une solution durable du conflit afghan ne peut être que politique et diplomatique. On ne peut le traiter en dehors du contexte régional et international, car tout est lié.

Il faut réintégrer pleinement l’ONU dans la résolution de ce conflit. Elle doit reprendre le mandat qu’elle avait confié à l’ISAF.

C’est pourquoi nous souhaitons que la France, en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité, prenne l’initiative de proposer l’organisation d’une conférence régionale pour définir précisément les conditions d’une paix négociée et durable en Afghanistan.

Celle-ci devrait réunir des voisins immédiats comme l’Iran ou le Pakistan, mais aussi associer l’Inde, la Chine, la Russie, la Turquie, et bien sûr toute la diversité des différentes composantes du peuple afghan. Pour être efficace, cette conférence pourrait être parrainée par des représentants des Etats-Unis et de l’Union européenne.

Afin que l’Onu redevienne ainsi le principal acteur du rétablissement de la paix et de la sécurité, il reviendrait ensuite au Conseil de sécurité de garantir les conclusions de cette conférence régionale.

Enfin, pour que l’Onu reprenne complètement la main sur la résolution de cette crise, il serait nécessaire de définir un nouveau mandat, sur la base des conclusions de cette conférence régionale, axé sur les conditions de la reconstruction et du développement de ce pays.

Ayons maintenant l’ambition de créer un nouveau cadre multilatéral pour résoudre ce conflit.

Même si elles sont présentées sous un jour nouveau, ne suivons pas les démarches anciennes qui ont échoué.

Au lieu de s’engager aussi rapidement dans une coopération incertaine, et qui risque d’être inefficace au regard des objectifs généreux fixés dans ce texte, n’aurait-il pas été préférable d’être plus exigeant en matière de gouvernance, et pourquoi pas d’en renégocier certains aspects dans ce sens ?

Ceci étant, malgré toutes nos réserves et toutes les insuffisances de ce traité, nous voulons donner une chance à la paix et nous ne nous y opposerons pas.

Nous ne souhaitons pas jouer les Cassandre ni avoir une attitude négative. Nous voulons simplement attirer l’attention sur certains aspects négatifs et être vigilants sur les risques que comporte ce texte.

En conséquence, le groupe CRC s’abstiendra sur ce projet de loi de ratification d’un traité entre la France et l’Afghanistan.

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