Va-t-on continuer à financer Amazon, la multinationale de la logistique ?
Conseil européen des 12 et 13 décembre 2019 -
Par Pierre Laurent / 18 décembre 2019Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, six mois après les élections européennes, nous aurions pu nous attendre à des annonces politiques fortes lors de ce premier Conseil européen depuis la nomination de la nouvelle Commission, d’autant qu’il faisait suite au sommet de l’OTAN et était concomitant avec la COP25, extrêmement décevante, et le mouvement social contre la réforme des retraites en France, observé partout en Europe. Il intervenait en outre au lendemain de la victoire électorale de Boris Johnson au Royaume-Uni, dont je m’étonne d’ailleurs que certains ici semblent se réjouir. Il ne suffit pas que la situation soit plus claire pour que tout aille mieux. C’est tout de même un petit Trump qui vient de remporter les élections à Londres ; je ne pense pas que ce soit une très bonne nouvelle…
Au regard des enjeux, le dernier Conseil européen a été bien terne. Manifestement, il n’y a pas qu’à l’OTAN que l’encéphalogramme est désespérément plat ! (M. André Gattolin sourit.)
À Madrid, la COP25 n’a pas permis d’avancer sur la question climatique, alors que les scientifiques s’affolent. Mais à Bruxelles, c’est, paraît-il, la mobilisation générale autour de l’objectif de la neutralité carbone en 2050. Tant mieux, mais il ne faut pas en rester aux effets d’annonce.
Le communiqué final du Conseil européen annonce la mobilisation par la Banque européenne d’investissement (BEI) de 1 000 milliards d’euros et la création d’un fonds pour la transition juste doté de 100 milliards d’euros, mais pour quoi faire exactement ? À quoi et à qui va servir cet argent ? Sur quels critères les fonds seront-ils accordés ? Pour quels projets ? Sous le contrôle de qui ? S’il s’agit de financer les mêmes stratégies d’entreprise, le même modèle de développement économique et social au service des mêmes exigences de rentabilité qu’aujourd’hui, c’est-à-dire de prétendument « verdir » le même système, on aboutira aux mêmes résultats ! On nous parle de transition juste : une transition juste, c’est une transition écologique et sociale réductrice d’inégalités ! Où sont les critères sociaux et écologiques nouveaux ? Qui les définit et contrôle leur respect ? Nous n’avons pas de réponse à ces questions.
Le fonds de transition juste servira-t-il à financer de grands projets publics, par exemple des infrastructures ferroviaires publiques, fret et voyageurs, avec les emplois nécessaires à la clé ? C’est indispensable pour réduire les émissions de carbone dues à un trafic routier en pleine explosion en Europe à cause des libéralisations liées à la mise en œuvre des paquets ferroviaires, qui sont en vérité des paquets antiferroviaires. Continuera-t-on au contraire à encourager la guerre concurrentielle dans ce secteur, à fonds perdu pour l’intérêt public ? En clair, va-t-on financer la SNCF ou d’autres compagnies ferroviaires publiques et des coopérations publiques utiles à tous en Europe, ou les grandes multinationales de la logistique et des plateformes comme Amazon ?
Il n’y a pas de transition juste sans nouveaux critères de financement. Le fonds de transition juste doit être géré de manière transparente. À cet égard, quel mécanisme précis de transparence le Gouvernement est-il prêt à mettre en place pour les projets qui seront financés en France avec cet argent ?
Concernant les questions de défense, le sommet de l’OTAN qui a précédé le Conseil européen n’a levé aucune des contradictions stratégiques qui mettent en péril la sécurité des Européens.
Ainsi, le Président de la République déclare vouloir tout à la fois renouer le dialogue avec la Russie et européaniser l’OTAN en faisant de la défense européenne son pilier européen, alors même que la déclaration finale du sommet de l’OTAN désigne la Russie comme la principale menace. Comment allons-nous régler cette contradiction ?
Le président Macron a organisé, et c’est une bonne chose, la relance du processus de Minsk. De premiers signaux positifs sont envoyés. Pourquoi ne pas poursuivre dans cette voie ? Pourquoi continuer à soutenir la stratégie de la tension de l’OTAN à l’égard de la Russie et une politique de sanctions qui ne donne pas de résultats ?
De même, ceux qui prônent au Conseil européen la fermeté à l’égard de la Turquie sur la question chypriote sont les mêmes qui signent une déclaration finale, au sommet de l’OTAN, avec la Turquie, alors que l’accord entre la Turquie et la Libye pose de très sérieux problèmes à deux États membres de l’Union européenne : la Grèce et Chypre.
Allons-nous continuer à accompagner, au nom de l’OTAN, la montée des dépenses militaires en Europe au profit des industries de défense et des programmes d’armement américains tout en soutenant, au nom du développement du Fonds européen de la défense, la création d’un marché européen des équipements de défense « ouvert et compétitif », comme l’indique la lettre de mission de Thierry Breton à la Commission ? En agissant ainsi, nous perdrons sur les deux tableaux.
Depuis le « non » au traité constitutionnel européen (TCE), cela fait quinze ans que les Français attendent un grand débat sur l’Europe. Ils ne le voient jamais venir. Dans sa déclaration finale, le Conseil européen indique s’être « penché sur l’idée d’une conférence sur l’avenir de l’Europe, qui débuterait en 2020 et s’achèverait en 2022 ». Ne vous penchez pas trop, au risque de chuter ; agissez plutôt, en organisant un débat transparent devant les citoyens !