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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nous proposons de renforcer les droits de ces travailleurs

Statut des travailleurs des plateformes numériques -

Par / 4 juin 2020

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’ai à cœur de vous présenter cette proposition de loi, cosignée par mes collègues Fabien Gay, Cathy Apourceau-Poly et l’ensemble des membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Ce texte, fruit de plus de deux années de rencontres, de travail et d’échanges sur le terrain, vise à renforcer le statut des travailleurs des plateformes numériques, ces « tâcherons du clic », comme je les appelle, soumis au management algorithmique.

Ces travailleurs se sont d’ailleurs trouvés en première ligne durant la crise épidémique du Covid-19, bien malgré eux, en plein confinement, alors que leur activité n’était pas toujours essentielle, parce qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Ce sont les chauffeurs de VTC, les coursiers, ou encore les livreurs, tous au service de plateformes numériques de travail, ceux que l’on appelle couramment des « travailleurs ubérisés ».

Il s’agit d’un enjeu d’actualité particulièrement important. Je tiens à remercier mes collègues Michel Forissier, Catherine Fournier et Frédérique Puissat, ainsi que la commission des affaires sociales, de leur rapport d’information portant sur le droit social applicable aux « travailleurs indépendants et économiquement dépendants » ; ce rapport fort intéressant démontre l’importance et l’actualité de ce sujet qui pourrait, peut-être, nous rassembler au-delà de nos différences politiques.

Notre proposition de loi tend à offrir un statut protecteur aux travailleurs des plateformes numériques.

Par ailleurs – c’est assez rare pour qu’on le souligne –, ce texte est le fruit d’un travail collectif de plus de deux ans. En compagnie, notamment, de mon collègue Fabien Gay, nous l’avons mené avec les acteurs de terrain, qui sont les premiers concernés et sont donc ceux qui sont le mieux en mesure de connaître la réalité et les enjeux du métier. Nous les remercions d’ailleurs chaleureusement de ce travail accompli ensemble. Je pense notamment au CLAP, le Collectif des livreurs autonomes de Paris, ou encore à la coopérative Coursiers bordelais, dont les apports nous ont été précieux.

Le collectif Pédale et tais-toi !, que nous avons parrainé, se réunit régulièrement depuis 2017. Il a rassemblé, dès le départ, une grande diversité d’acteurs : des travailleurs des plateformes, mais aussi des acteurs syndicaux, universitaires et politiques.

Ce que nous vous présentons aujourd’hui est donc le fruit d’un véritable travail collectif, concerté, singulier par sa diversité et directement lié aux réalités de terrain. Il traduit par conséquent des volontés exprimées par les travailleurs des plateformes eux-mêmes.

Des échanges se sont tenus au Sénat, mais aussi dans plusieurs villes de France. Ces rencontres ont été très riches d’enseignement. J’aimerais vous en donner deux exemples qui m’ont particulièrement marqué.

En premier lieu, nous avons organisé à Bordeaux une rencontre avec des travailleurs qui s’engagent très activement pour pointer du doigt les dérives de certaines pratiques des plateformes, qui mettent en œuvre une technologie dont la valeur ajoutée est certes importante, mais qui occulte l’élément humain. Les coursiers nous ont parlé à cette occasion de leur histoire, de leurs conditions de travail, mais aussi des difficultés qu’on rencontre quand on veut engager une négociation collective alors qu’on n’est pas protégé. Nous y avons également rencontré des travailleurs qui se sont organisés et ont pris des initiatives locales, plus éthiques et protectrices, pour proposer des alternatives concrètes à ces géants du numérique : je pense notamment à CoopCycle, une fédération de coopératives de coursiers à vélo.

En second lieu, lors d’un déplacement à Nantes, nous avons pu échanger longuement avec des coursiers, mais aussi avec des commerçants et des restaurateurs ; certains nous ont expliqué refuser de faire appel à des livreurs des plateformes numériques, car ils voyaient bien à quel point ces travailleurs étaient fatigués et exploités. Ces entrepreneurs nous ont aussi fait part de l’emprise économique que peuvent exercer ces géants du numérique sur les commerces locaux. L’arrivée sur le marché de ces plateformes peut certes paraître bénéfique, au départ, pour certains commerces. Toutefois, peu à peu, la part accordée aux plateformes gagne du terrain et la fameuse neutralité qu’elles affichent les défausse de toute responsabilité sociale, contrairement aux TPE, aux commerces ou aux artisans.

J’ai voulu, au travers de ces deux exemples, vous montrer, mes chers collègues, que non seulement ces plateformes bénéficient du flou juridique lié à leur activité pour contourner le droit du travail, mais surtout qu’elles pratiquent une véritable concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises traditionnelles qui, quant à elles, respectent certaines règles. Nous sommes face à une stratégie classique visant à casser le marché pour le conquérir et aboutir, à terme, à une situation de monopole par des pratiques de dumping social.

Nous proposons donc, par le biais de cette proposition de loi, de renforcer les droits des travailleurs et de renvoyer ces entreprises du numérique à leurs responsabilités sous plusieurs aspects.

Tout d’abord, nous entendons intégrer le statut de ces travailleurs à la septième partie du code du travail, afin de leur offrir un contrat de travail véritablement protecteur et assimilé au salariat. Cette forme de salariat autonome devrait permettre de leur assurer la sécurité dont ils ont besoin tout en préservant l’autonomie qu’ils ont dans l’organisation de leur travail.

Ensuite, nous proposons d’organiser leur accès à une véritable protection sociale. Aujourd’hui, il suffit qu’un de ces travailleurs tombe malade ou ait un accident du travail pour qu’il perde sa principale source de revenus. Cela implique par ailleurs que les plateformes devront s’acquitter de cotisations sociales.

Nous demandons aussi une plus grande transparence quant aux algorithmes mis en œuvre ; ceux-ci constituent aujourd’hui le principal outil de travail de ces personnes, sans pour autant qu’elles puissent savoir comment ils fonctionnent réellement.

Enfin, nous souhaitons leur garantir des conditions de rémunération décentes : pour le dire clairement, celles-ci ne pourront pas être inférieures au SMIC horaire, contrairement à ce qui est pratiqué actuellement.

Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Pour clarifier le débat, je tiens à souligner que nous ne parlons pas en l’espèce des plateformes d’intermédiation, qui se chargent simplement de mettre en relation un fournisseur de services avec un client. Ce n’est pas le sujet ! Sont bien visées les plateformes numériques de travail, qui font appel à des travailleurs dits « indépendants », qui sont en fait largement subordonnés à la plateforme.

Ce texte tend donc à contrer la précarisation de ces travailleurs. Je me permettrai de citer – une fois n’est pas coutume – l’expression que M. Xavier Bertrand (Marques d’étonnement sur les travées du groupe Les Républicains.) a employée à leur propos : « les nouveaux canuts des plateformes numériques ».

Je relève l’écho que cette formule trouve chez nos collègues de droite ! On pourrait tout aussi bien citer M. Fabien Roussel (On fait mine d’être soulagé sur les mêmes travées.), qui a évoqué « ces jeunes, pour qui ce capitalisme fait mine de se réinventer en leur imposant un statut de tâcheron, comme il y a deux siècles ».

Un travailleur indépendant est libre de choisir la façon dont il mène son activité. Il exerce à son compte une activité économique et en supporte les risques. Ce n’est pas le cas des travailleurs des plateformes numériques dont nous parlons, qui sont constamment contrôlés par les algorithmes. Il ne s’agit donc pas de travail indépendant, puisque la dépendance économique et la subordination sont à présent attestées.

Les décisions de justice l’ont d’ailleurs démontré : prenons-en pour exemple le dernier arrêt rendu à ce propos par la Cour de cassation, le 4 mars 2020, concernant Uber. La délibération a été très claire : il n’y a aujourd’hui aucun doute sur le statut de ces travailleurs fictivement indépendants, qui sont la proie de pratiques de salariat déguisé.

Au travers de ce texte, nous proposons de prendre acte de la décision des juges et d’en accélérer l’application, les procédures pouvant être très longues.

Quelles seraient les conséquences de l’adoption de notre proposition ? Elle éviterait aux travailleurs de devoir choisir entre renoncer et se lancer dans de longues années de procédure judiciaire pour obtenir la requalification de leur statut en salariat.

Il n’est pas question de créer un troisième statut, comme le proposait la majorité de l’Assemblée nationale. Vous n’ignorez d’ailleurs pas, madame la ministre, que cette idée a été censurée par le Conseil constitutionnel. Je tiens à citer les mots de M. Antoine Foucher, votre directeur de cabinet, au cours de notre échange la semaine dernière – j’ai apprécié cet échange – selon lequel il faudrait « inventer un encadrement d’une nouvelle relation de travail ». Par le biais de cette proposition de loi, nous répondons : « Chiche ! Allons-y ! »

Nous avons, pour ce faire, besoin de nous appuyer sur ce qui existe déjà. Le code du travail est en effet ce qu’il y a de plus protecteur aujourd’hui.

Sa septième partie nous permet de combiner la volonté d’exercer un travail autonome et une protection permettant d’accéder à des conditions de travail décentes.

Les plateformes doivent respecter les règles du jeu, à l’image des entreprises traditionnelles, mais il n’est pas question de choisir entre salariat et travail indépendant, sorte de yo-yo que l’on connaît depuis plusieurs années. Quant au « ni-ni » – ni salariat ni travail indépendant –, il n’est pas respectueux de ces travailleurs : on ne prend pas de décision et ils se retrouvent à subir des humiliations et des souffrances.

Nous souhaitons au contraire ouvrir un débat sur le renforcement de ces deux statuts : le travail indépendant, auquel nous voulons accorder davantage de protection, et le salariat, qui devrait acquérir une plus grande autonomie pour sortir des situations d’asservissement résultant de pratiques managériales abusives.

Plus largement, ce texte constitue un jalon important dans le débat sur l’avenir du travail sous toutes ses formes. En effet, l’économie numérique va ouvrir la voie à de nouvelles formes de travail qui se répercuteront sur des pans entiers de la société.

Nous avons la possibilité d’influer sur la direction à prendre. Souhaitons-nous tirer vers le bas l’ensemble des statuts professionnels et aboutir à une plus grande précarisation du travail ? Voulons-nous, au contraire, nous engager de façon forte pour que chaque personne puisse s’accomplir librement et en sécurité dans son activité professionnelle ?

Nous vous proposons de prendre la voie la plus juste, qui est aussi la plus attendue par les premiers concernés, car le progrès technologique doit avant tout servir les êtres humains, et non les asservir.

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