Affaires sociales
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Une proposition de loi injuste et indécente
Chèques-vacances offerts aux personnels des secteurs sanitaire et médico-social -
Par Cathy Apourceau-Poly / 16 juin 2020Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme j’ai eu l’occasion de le souligner en commission des affaires sociales, je suis scandalisée par cette proposition de loi décalée, injuste et indécente au vu de ce que vivent actuellement les salariés. Ce texte donne l’impression qu’ils n’auraient pas de cœur s’ils n’acceptaient pas de donner une journée de congé aux soignants !
Finalement, c’est toujours aux mêmes que l’on demande des sacrifices ! Je suis certaine que l’idée de prendre dans la poche des riches ne vous a même pas effleurés. (M. Martin Lévrier s’esclaffe.)
Nous avons tous applaudi les soignants à vingt heures pour leur engagement, mais aussi parce qu’il est difficile de soigner en l’absence de matériel de protection et faute de personnels, de lits et de moyens suffisants. Maintenant il faut passer aux actes !
Mais, là, avec cette proposition de loi, il s’agit de prendre dans la poche des salariés pour aboutir finalement à des réductions de congé.
Je constate sur mon territoire que les familles les plus modestes ont perdu beaucoup d’argent en raison du chômage partiel. Elles renonceront à partir quelques jours en vacances cet été. Je vois aussi les premiers licenciements dans un territoire déjà sacrifié, où de nombreux emplois ont été délocalisés en Europe de l’Est. J’étais hier encore à la rencontre des soixante-neuf salariés de l’entreprise Huchin-Prince à Calais. Le chômage a commencé à exploser avec 1 million de chômeurs supplémentaires inscrits en catégorie A en deux mois, et on nous annonce encore 800 000 chômeurs supplémentaires.
Pendant ce temps, chez PSA Hordain, la direction avait décidé de faire venir 531 travailleurs polonais au prétexte qu’ils coutent moins cher que les 502 intérimaires de l’usine. Cette idée, à laquelle l’entreprise a dû finalement renoncer, est d’autant plus révoltante pour ces femmes et ces hommes que l’État verse des aides à PSA et paye le chômage partiel. Comment voulez-vous que la colère n’explose pas dans ces conditions ?
Le virus devient le prétexte pour accélérer les réformes libérales, pour remettre en cause le droit du travail et pour mettre la pression sur les salariés. Cette crise serait l’occasion de se refaire une santé sur le dos de notre modèle social, que certains rêvent de déconstruire depuis des années. C’est exactement ce que ce texte, directement ou indirectement, participe à faire.
Alors que le texte initial ouvrait la porte à la monétisation des jours de congé via les chèques-vacances, la rédaction de la droite sénatoriale va encore plus loin. Désormais, ce n’est plus une simple journée de RTT qui est transformée en chèques-vacances, mais c’est directement une fraction de la rémunération.
Alors que le patronat demande la suppression des jours fériés et la réduction des congés payés, le risque est grand demain que les patrons proposent aux salariés de remplacer des jours de congé par une augmentation minime des salaires correspondant à la valeur de ces jours de repos. De la sorte, les jours de repos seraient réduits, au détriment de la santé des travailleurs et au bénéfice des employeurs.
Le Gouvernement a tenté de remercier les personnels des secteurs médical et socio-médical en première ligne dans la gestion de la crise en leur accordant des primes à géométrie variable, en leur distribuant des médailles et en leur proposant de défiler le 14 juillet sur l’avenue des Champs Élysées. Mais les personnels ne sont pas tombés dans le piège ! Tout comme ils ne sont pas tombés dans le piège de cette proposition de loi dont ils ne veulent pas non plus !
La Coordination nationale infirmière a critiqué la proposition de loi en déclarant : « Nous en avons marre de toutes ces annonces, cela devient exaspérant [...] nous ne faisons pas l’aumône. »
Le Syndicat national des professionnels infirmiers a été encore plus direct : « Le gouvernement semble à court d’imagination pour parvenir à repousser le moment de la revalorisation salariale des soignants. » Le syndicat CGT santé et action sociale a aussi parfaitement résumé l’état d’esprit des personnels : « Les salariés n’ont pas à se substituer à l’État [...]. Aujourd’hui, la problématique reste la même au sein des établissements hospitaliers, à savoir le manque de personnel afin de permettre leur fonctionnement normal. »
Alors, arrêtons avec ces textes indécents pour les salariés et les personnels soignants. Il faut que l’État assume son rôle en garantissant le repos aux personnels du secteur médico-social mobilisés pendant la crise en recrutant ! La proposition de loi de La République En Marche et celle réécrite par Les Républicains au Sénat sont identiques : c’est blanc bonnet et bonnet blanc pour les salariés !
La duperie qui sous-tend ce texte est qu’au départ on nous affirmait que le don de jours de congé devait permettre aux personnels soignants en première ligne de se reposer. Mais, immédiatement, on nous précise que « compte tenu des difficultés qu’éprouvent les soignants pour poser leur RTT [...] la proposition de monétiser ces jours de repos au bénéfice des soignants se fera sous la forme de chèques-vacances ». Il n’est donc pas question d’accorder des congés supplémentaires, puisque les personnels médico-sociaux n’arrivent même pas aujourd’hui à prendre les jours de repos auxquels ils ont droit.
En réalité, le problème tient non pas au nombre de jours de repos, mais à celui du nombre d’effectifs, qui ne permet pas au personnel de poser leurs jours de repos. C’est à l’État d’embaucher plus de soignants et c’est à l’État de revaloriser leurs salaires. C’est cette revendication que nous entendons depuis ce matin, dans les rues, où les personnels manifestent. Avec les élus communistes, nous étions à leurs côtés pour soutenir ce mouvement de fond. Mes collègues y sont d’ailleurs cet après-midi.
Nous voterons donc contre cette proposition de loi, même réécrite, car son seul but est de faire oublier la gestion calamiteuse de la crise du Covid-19 par le Gouvernement.