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Aménagement du territoire et développement durable

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La vente des sociétés d’autoroutes n’est rien d’autre que la captation des intérêts publics au profit d’intérêts privés

Nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes -

Par / 7 mars 2019

Auteure de la proposition de loi.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il y a quelques années, en février 2014, notre collègue Mireille Schurch présentait ici même une proposition de loi du groupe CRC permettant d’engager la renationalisation des concessions autoroutières.

L’ensemble des groupes siégeant sur ces travées, à l’exception des communistes et des écologistes, avaient alors rejeté ce texte, préférant reporter l’examen de cette question et attendre la fin des concessions, comme l’y invitait, d’ailleurs, le Gouvernement. Cette position s’est révélée non seulement hasardeuse, mais également peu pertinente, car la fin des concessions n’a depuis lors cessé de s’éloigner.

En effet, en s’engageant dans un cycle de renégociation particulièrement opaque dès 2015, le Gouvernement a, au final, fait perdurer un système défavorable aux intérêts publics, un protocole tellement insatisfaisant qu’il œuvre depuis lors pour en cacher le contenu malgré les assignations en justice.

Nous rouvrons donc, cinq années plus tard, le même débat avec la même proposition de loi, en espérant que la prise de conscience autour de ce scandale d’État aura continué de faire son chemin.

Ces derniers mois ont d’ailleurs démontré que les questions de maîtrise publique des infrastructures revenaient avec force, que ce soit dans nos débats parlementaires, autour de la privatisation d’Aéroports de Paris, ADP, que le Sénat a rejetée, tout autant que dans la rue et sur les ronds-points au travers du mouvement des « gilets jaunes », qui ont fait de la renationalisation des autoroutes l’une de leurs propositions structurantes, notamment via la plateforme de revendication mise en ligne en novembre dernier.

Le fait que ces mouvements aient organisé des initiatives « péages gratuits » n’est pas non plus anodin, les autoroutes étant devenues l’un des symboles d’un racket organisé sur des usagers captifs avec la complicité/passivité du Gouvernement.

Il faut dire que la colère est légitime : la rente des sociétés concessionnaires a cela de scandaleux qu’elle illustre parfaitement la captation d’un bien public au profit d’intérêts privés. Il s’agit d’une véritable spoliation puisque ces infrastructures ont été financées par l’impôt de tous.

Il me semble aujourd’hui – et c’est déjà un progrès – que le constat est partagé quasi unanimement concernant l’erreur qu’a constituée la vente des autoroutes en 2006 par le gouvernement Villepin, une décision prise dans la précipitation, guidée par la seule obsession de réduire le déficit public.

Je ne reviendrai donc pas longuement sur les avis des différentes autorités, telles que la Cour des comptes ou l’Autorité de la concurrence, qui ont dénoncé cette situation.

L’avis de l’Autorité de la concurrence avait très bien résumé la situation : elle mettait ainsi en évidence la « rentabilité exceptionnelle » de ces sociétés, une rentabilité qui n’est pas justifiée par les risques ou les coûts supportés par ces sociétés. Une telle constatation nous conduit d’ailleurs à penser, comme cela est suggéré par certains juristes, que l’on pourrait précisément remettre en cause les concessions autoroutières – du moins pour les concessionnaires historiques – sur ce fondement, en faisant de l’absence d’aléa dans la prise de risque un vice permettant de les dénoncer.

En effet, le Conseil d’État a déjà estimé que l’une des parties à un contrat administratif pouvait en obtenir la mise à l’écart lorsque ce contrat est entaché « d’un vice d’une particulière gravité relatif aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement », une piste que personne n’a pour l’instant voulu suivre.

Aujourd’hui, il devient pourtant urgent de mettre un terme à cette situation, qui pèse non seulement sur les comptes publics puisque cette privatisation a privé l’État d’une manne financière de 32 milliards d’euros, mais également sur les usagers, considérés comme de simples réservoirs à dividendes pour les actionnaires.

Actuellement, les sociétés d’autoroutes françaises se portent plutôt bien, avec un chiffre d’affaires annuel dépassant les 8 milliards d’euros, en augmentation de 42,3 % entre 2009 et 2016, d’après le Commissariat général au développement durable, le CGDD.

Ces sociétés font dans le même temps des bénéfices record, avec 4,7 milliards d’euros de dividendes pour l’année 2016, selon l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’Arafer. Grâce à ces bénéfices, les sept sociétés ont déjà remboursé ce qu’elles avaient mis sur la table pour acheter les parts de l’État : 14,8 milliards d’euros.

En 2017, selon les chiffres de l’Arafer, l’ensemble des sociétés autoroutières a dégagé un excédent brut d’exploitation de 7,3 milliards d’euros pour 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit une marge brute de 73 %. Certaines sociétés concessionnaires n’hésitent pas non plus à emprunter pour verser des dividendes.

Dans le même temps, les tarifs ont augmenté de 20 % environ en dix ans.

Face à cette situation et à l’émotion populaire suscitée, le Gouvernement avait engagé dès 2014 une réflexion, qui s’est traduite par la renégociation des concessions et la signature d’un protocole d’accord. Un gel des tarifs a ainsi été décidé en 2015, mais la hausse sera simplement reportée sur les années 2019 à 2023.

Chaque plan autoroutier adopté par l’exécutif gouvernemental a, par ailleurs, et contre toute attente, défini un allongement de la durée des concessions.

Le protocole d’accord, signé le 9 avril 2015 par les ministres Ségolène Royal et Emmanuel Macron, prévoit ainsi que les 3,2 milliards d’euros d’investissements financés par les sociétés d’autoroutes seront compensés par une prolongation de la durée des concessions de deux ans et demi en moyenne, certaines concessions étant même prolongées de cinq années.

En 2017, des avenants ont été signés. Ils prévoyaient 800 millions d’euros d’investissements sur le réseau moyennant une hausse de 0,4 % des péages entre 2018 et 2020 et une participation des collectivités territoriales.

Sur ces avenants, les conclusions de l’Arafer étaient particulièrement éloquentes. En effet, selon cette autorité chargée de la régulation du secteur, « il n’apparaît pas justifié de faire supporter par l’usager de l’autoroute le financement de vingt-trois opérations ». Elle indiquait par ailleurs que « les augmentations de tarifs de péages prévues excèdent le juste niveau qu’il serait légitime de faire supporter aux usagers ». Pourtant, et malgré toutes ces alertes, les tarifs ont encore augmenté au 1er février de 1,9 % en moyenne.

Comment l’État peut-il rester indifférent à ce racket ?

L’intérêt général est bafoué. Nous sommes face à une situation extraordinaire où des inquiétudes se font même jour sur l’incapacité de l’État à défendre ses intérêts et l’intérêt général face au privé.

Depuis plus d’une décennie, les pouvoirs publics ont systématiquement fait les mauvais choix.

Aujourd’hui, pour sortir de ce piège et trouver la solution, il faut absolument poser le bon diagnostic sur les rapports de forces. Dans ce cadre, il faut bien se dire que les pratiques des sociétés concessionnaires sont absolument légales puisqu’elles découlent des contrats de concession signés par l’État.

En effet, les contrats liant les concessions autoroutières à l’État sont aujourd’hui tellement bien ficelés que l’État reste pieds et mains liés, perdant et incapable d’imposer tout encadrement ou toute révision de ces contrats.

Lorsque l’État demande une réduction des abonnements, c’est non pas une exigence fondée sur l’intérêt général, mais une simple aumône face à des sociétés qui sont dans leurs bons droits et sont ultrapuissantes. Comment s’en satisfaire ?

C’est donc bien l’État lui-même qui a organisé volontairement sa propre défaillance et sa capitulation devant les intérêts des géants du BTP. Toute disposition qui pourrait changer les termes des contrats doit aujourd’hui donner lieu à compensation, selon les termes de l’accord, afin « d’assurer, dans le respect du service public, les conditions économiques et financières » des contrats – entendons un niveau de rentabilité extrêmement élevé. En gros, toute charge nouvelle sera compensée sur les usagers, ce qui n’est pas une option.

Dans ce contexte, une seule solution existe. L’État a la possibilité, pour un motif d’intérêt général, comme cela est prévu à l’article 38 de chacun des contrats de concession, d’y mettre fin. Il s’agit bien sûr d’une opération coûteuse, estimée entre 28 et 50 milliards d’euros, mais c’est une somme que l’État versera sur le long terme. Au regard des taux d’intérêt actuels, le recours à l’emprunt semble une bonne option. In fine, cet argent emprunté sera remboursé non pas par l’impôt, mais par le péage.

Nous pensons, par ailleurs, que l’État pourrait se mettre dans une position offensive et s’appuyer sur le principe constitutionnel interdisant aux personnes publiques de consentir des libéralités. Il est ainsi interdit à une personne publique de verser une indemnisation manifestement disproportionnée par rapport au préjudice subi, y compris à la suite d’une rupture anticipée d’un contrat administratif. Nous estimons que nous sommes tout à fait dans ce cas de figure, madame la ministre, au regard notamment de la sous-estimation initiale qui a lésé l’État dans la protection de ses intérêts. Encore une fois, nous pensons qu’il conviendrait que l’État mène cette bataille.

Au moment où il existe une fronde légitime dans notre pays sur les taxes et la vie chère, cette option semble aujourd’hui plus que pertinente. Pour preuve de sa faisabilité, l’Espagne s’est engagée dans cette voie en annonçant la renationalisation de 500 kilomètres de tronçons, qui vont ainsi repasser sous maîtrise publique.

Au vu des enjeux en matière de transparence sur les politiques tarifaires, de maîtrise de l’aménagement du territoire et de choix de financement pour les infrastructures, l’État doit reprendre la main, madame la ministre.

Ce qui manque aujourd’hui, c’est non pas des ressources pour mener à bien ce projet, mais la volonté politique. C’est pourquoi nous vous invitons à adopter ce texte utile et nécessaire pour sauvegarder les intérêts de la Nation.

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