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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Banque centrale européenne

Par / 6 avril 2004

par Thierry Foucaud

Monsieur le Président,

Madame la Ministre,

Mes chers collègues,

Texte apparemment technique que le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à notre approbation.

Texte technique et de circonstance puisqu’il s’agit en effet concrètement, de ’ rassurer ’ les acteurs de marché, confrontés à l’intégration dans l’euro des économies, aux situations fort diverses, des dix nouveaux adhérents de l’Union.

Parce que le passage de l’Union à vingt cinq puis à vingt sept membres a, a priori, une influence sur le maintien de la cohérence de la politique monétaire, le présent projet de loi, reprenant une décision intergouvernementale, nous invite en fait à admettre la répartition des Etats membres en trois groupes de pays, disposant d’un nombre de voix donné au sein des instances de la BCE.

Ajustement technique donc, ou bien plutôt alignement de la politique monétaire sur les seuls impératifs de la ’ lisibilité ’ des marchés, avec tout ce que cela implique, notamment en matière de politiques publiques, d’organisation du marché, de libéralisation et de privatisation des services publics ?

Je ne peux donc que me permettre de produire quelques observations sur la ’ mécanique ’ que l’on nous demande, avec ce texte, de mettre en route.

D’abord sur la répartition des Etats membres entre les trois groupes.

Viendrait en tête l’ensemble constitué par les cinq pays les plus puissants de l’Union, c’est à dire les quatre grands que sont l’Allemagne, la France, le Royaume Uni ( à la condition qu’il adhère à l’UEM ) et l’Italie, plus l’Espagne.

Ce groupe disposerait de 4 voix, quoiqu’il arrive dans le collège des gouverneurs, et est donc assuré d’une représentation significative.

Ensuite, apparaît un deuxième groupe, constitué de l’essentiel des anciens membres de l’union à 15, plus quelques nouveaux pays .

Enfin, la ’ troisième ’ division européenne rassemblerait les pays les moins riches de l’Union, tous nouveaux adhérents.

Etrange conception ; nous l’avons dit, de la construction européenne qui n’assure plus, désormais, sur ce chapitre de la politique monétaire, une représentation équitable de chaque pays membre.

Tout cela interroge également sur la portée de ces mesures, liée notamment au rôle joué par la BCE.

Selon la lettre du traité de l’Union, le système européen de banques centrales, dont la BCE est partie prenante, vise, en tant qu’objectif principal, à " maintenir la stabilité des prix " .

C’est donc, au - delà de toutes autres considérations, une pure extension du champ d’atteinte de cet objectif qui est recherchée dans le projet de loi dont nous discutons.

Cette orientation trouve des traductions pour le moins diverses, dont la moindre n’est pas la manifeste limitation de la création monétaire qui découle des choix économiques et politiques guidés par la poursuite des objectifs du SEBC et les missions de la BCE dans ce cadre.

Cela a évidemment des conséquences pour les relations que l’euro entretient avec les autres monnaies sur les marchés des changes.

On pense bien évidemment à la relation spécifique que l’euro entretient avec le dollar, vis - à - vis duquel il s’est singulièrement apprécié dans la dernière période, lors même qu’il ne parvenait à le supplanter comme monnaie commerciale internationale en bien des domaines.

Comme chacun le sait, la croissance des pays adhérents de l’Union Économique Européenne est paradoxalement plus faible, malgré une monnaie forte, que celle des pays non membres de l’UEM et a fortiori, des Etats Unis qui ont, depuis longtemps, laissé de côté la question de leur déficit pour préférer celle de la croissance à tout prix.

L’exemple est près de nous.

Comment ne pas relever, par exemple, malgré la mise en œuvre de politiques répondant aux critères et aux concepts fondamentaux de l’Union Économique et Monétaire, que notre pays a connu cette année 2003 un véritable effondrement de la croissance de son produit intérieur brut, conduisant à l’aggravation des déficits publics, qu’il s’agisse de l’État comme des comptes sociaux, et à une terrible détérioration de la situation sociale et singulièrement de l’emploi.

Cette politique de soutien à la parité de l’euro vis à vis du dollar est la source de quelques - unes des difficultés majeures que nous rencontrons en matière de commerce extérieur, ce qui nuit à l’état de notre balance commerciale et permet aux produits états-uniens de reconquérir des positions dans certains domaines où nous les concurrencions sérieusement.

La parité de l’euro, produit de la politique monétaire menée par la Banque Centrale Européenne, pèse dans la définition des politiques économiques des Etats adhérents de l’UEM.

Puisqu’il s’agit de faire en sorte d’assurer la stabilité des prix, quels choix sont ainsi opérés ?

Ici, c’est la modération salariale, qui commence d’ailleurs bien souvent par le gel des rémunérations ou des emplois publics, puis relayée par les stratégies des grands groupes industriels, commerciaux et de services.

Là, c’est la flexibilité de l’emploi, remettant en question les garanties collectives des salariés , favorisant les contrats dérogatoires du droit commun, permettant le développement de la précarité sur la plupart des nouveaux gisements d’emplois générés par la mutation des circuits et des processus de production.

Là encore, ce sont des politiques de restriction des droits sociaux collectifs, sous couvert de leur préservation, associées, soit dit en passant, à des politiques de défiscalisation massive des investissements privés et de réduction relative et globale des prélèvements sur les plus hauts revenus et les résultats des entreprises.

Précarisation de l’emploi, rigueur salariale, réduction de la dépense publique, allégement de la fiscalité pour les plus fortunés ( au motif de leur redonner le goût et la liberté d’entreprendre ), remise en cause des modes de solidarité issus notamment de la dernière guerre mondiale, voici les politiques qui accompagnent la politique monétaire décidée et mise en œuvre par la BCE, et son conseil des Gouverneurs.

Le tout, dans le respect du principe d’indépendance de la BCE vis - à - vis des Gouvernements associés dans l’Union et dans le suivisme le plus intégral de la réaction des acteurs de marchés…

Ces politiques créent de nouveaux déficits publics et ne font pas recette auprès des populations, si l’on regarde les comportements électoraux .

Les salariés et retraités de France, d’Autriche ou encore d’Italie ont ainsi pu manifester leur profond désaccord devant certaines des orientations qui ont ainsi pu être imprimées par leurs gouvernements respectifs.

Au risque sans doute de rappeler quelques vérités essentielles, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous ne pouviez décemment que connaître quelques menus désagréments électoraux au terme de la discussion et des débuts d’application de la réforme des retraites de l’été dernier, dont nombre de salariés et de retraités peuvent aujourd’hui mesurer toute la portée négative sur leur situation propre.

La volonté de poursuivre dans cette voie, affirmée lors de la déclaration de politique générale comme de la récente intervention du Président de la République, illustre à la vérité la soumission de notre pays aux règles du jeu telles qu’elles sont pensées par la BCE, dans le cadre de ses objectifs fondamentaux.

La légalisation des recommandations du rapport de Virville, plutôt que d’assurer le développement de l’emploi, risque ainsi de favoriser l’extension de la précarité de l’emploi, à l’instar de ce que connaissent par exemple nos voisins espagnols où le tiers des salariés est dans une situation de précarité affirmée, tandis que perdure un chômage de longue durée pour un grand nombre de salariés prétendument trop âgés.

De la même manière, la réforme de l’assurance maladie, qui semble prendre la direction de la stricte maîtrise comptable répond à des impératifs financiers éloignés de la raison d’être même de la protection sociale, celle de répondre aux besoins collectifs, assurant l’égalité entre les citoyens.

Mais, évidemment, tant qu’elle assure la stabilité des prix…

La construction européenne ne peut plus, ne doit plus se faire contre les intérêts mêmes des peuples, et cesser de ne prendre en ligne de compte que les soucis et les préoccupations des ’ acteurs des marchés ’.

L’enjeu de la démocratisation des institutions de l’Union Européenne est donc directement posé dans le cadre du projet de loi que nous examinons.

Comment considérer dès lors la clé de répartition des voix du conseil des gouverneurs qu’il nous est proposé de valider ?

Dans un premier temps, de valider une construction européenne à géométrie variable mettant en avant une sorte de groupe moteur de l’Union, constitué des plus grands pays, ceux dont la part du PIB global dans l’Union est la plus importante, pays qui jouiraient, à coup à peu près sûr, de la possibilité d’influer sur les orientations de la BCE.

Ensuite, nous aurions un groupe de pays ’ moyens ’, dont le rôle dans l’Union serait de regarder un peu ’ faire ’ les gros.

Et puis, une sorte de purgatoire ou de troisième division européenne, constituée des huit pays les plus faibles économiquement, pour certains réservoirs de main d’œuvre à bon marché et lieu de délocalisation très compétitifs, tous nouveaux arrivants et destinés à ne jouer qu’un rôle subalterne, au mieux celui de vase d’expansion des débouchés des entreprises des autres pays.

Cela, ce serait pour la politique monétaire, telle qu’elle serait définie dans le cadre du nouveau SEBC élargi.

Mais n’en sera t il pas autant de même pour les autres segments de la construction européenne, qu’il s’agisse de la politique étrangère et de défense, de la politique agricole commune ou encore de la faculté d’interférer dans la conception et la mise en œuvre du droit et de la législation communautaires ?

Le tour de rôle ainsi mis en place, c’est l’annonce plus ou moins imminente de l’abandon du principe d’unanimité, c’est la porte ouverte à une Europe fédérale où seuls les plus forts feraient la loi, dans l’application bien comprise de leurs intérêts, contradictoires parfois avec l’intérêt de l’ensemble des pays de l’Union.

La réorientation de la construction européenne passe donc clairement aussi, de notre point de vue, par la remise en question de l’équilibre issu des traités de Maastricht et de Nice, en matière de définition de la politique monétaire.

Il est indispensable de procéder à cette remise en question, sous peine de voir perdurer une conception étroitement libérale de cette politique, tournant le dos au nécessaire soutien à la croissance et au développement de l’emploi, seuls véritables outils, soit dit en passant, de confortement de la parité et de la valeur de la monnaie commune.

Il est d’ailleurs illusoire, si ce n’est dangereux, de laisser croire que l’on pourrait mener une politique européenne plus sociale et plus attentive aux besoins des peuples sans mettre en cause cette situation institutionnelle exorbitante qui a dévolu à la BCE le droit de livrer la création monétaire en Europe à la seule pression des marchés financiers.

On ne peut pas, ni théoriquement, ni pratiquement, prétendre parvenir aux objectifs de bien - être social contenus dans le Traité de l’Union si l’on persévère dans la conception étroitement monétariste et libérale qui préside, plus sûrement encore que le Conseil des Gouverneurs, à la Banque Centrale Européenne.

Prétendre cela, c’est comme si l’on pouvait demander à un athlète de courir plus vite tout en lestant de plomb toujours plus dense la semelle de ses chaussures…

C’est évidemment pour l’ensemble de ces raisons que nous ne pouvons adopter ce projet de loi apparemment technique mais, ô combien, illustratif du sens que certains continuent de donner à la construction européenne, grande œuvre pourtant si estimable et estimée par les peuples…

Nous ne voterons donc pas ce texte.

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