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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La création du Haut Conseil des Finances Publiques privera les citoyens et leurs représentants de leur capacité de contrôler l’action publique

Programmation et gouvernance des finances publiques -

Par / 29 octobre 2012

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur l’Europe, l’avenir de notre pays et la compétitivité est au cœur des échanges. Le patronat s’invite largement dans ce débat en n’ayant de cesse de revendiquer une réduction du coût du travail.

Le Président de la République, au-delà de sa déclaration relative à l’objectif d’assurer une convergence européenne en matière d’impôt sur les sociétés et de revoir l’assiette de celui-ci, estime qu’il faut engager une réforme structurelle de la protection sociale. Cette volonté de faire progressivement basculer plusieurs dizaines de milliards d’euros des cotisations sociales vers l’impôt est le principal élément que l’on a retenu de son discours de jeudi dernier. Voilà donc la ligne directrice des « réformes » devant affecter notre système de prélèvements obligatoires dans les cinq années à venir.

Le projet de loi organique dont nous débattons aujourd’hui est organiquement lié au traité budgétaire européen et à son appendice, le pacte pour l’emploi et la croissance. La question qui nous est posée est bel et bien la suivante : quel système fiscal, quel mode de financement de notre protection sociale devons-nous adopter pour les années à venir ? Qu’il s’agisse des finances de l’État, de celles de la sécurité sociale, des finances locales ou du budget de toute entité publique, quels dispositifs répondront de la manière la plus pertinente aux exigences de justice dans le prélèvement, d’efficacité dans la dépense, de qualité dans la réponse apportée aux besoins ?

Le Gouvernement, sur la foi du rapport Gallois, et le Président de la République semblent donc avoir choisi de consacrer une attention particulière à l’allégement de ce que l’on appelle le « coût du travail », visant directement en cela les revenus mutualisés entre l’ensemble des actifs et des inactifs que constituent les cotisations sociales et les prestations qui y sont adossées.

Nous le savons tous, l’objectif général de la loi organique, outre de garantir le respect de nos engagements européens, est de parvenir à l’équilibre dit « structurel » des comptes publics, les collectivités locales et la sécurité sociale étant appelées, à moyen terme, à compenser ce qui pourrait rester du déficit de l’État.

Examinons d’entrée la question qui fâche, celle du fameux « coût du travail », qui n’est jamais, si l’on en croit Adam Smith, que le salaire versé par l’entrepreneur à celui dont le travail permet la production de biens et de services.

Les comptes de la nation pour 2012 font apparaître que les prélèvements sociaux opérés sur les entreprises – ce que la comptabilité nationale appelle les « sociétés et quasi-sociétés non financières » –, à partir de la valeur ajoutée créée par le travail, se sont élevés à 145 milliards d’euros. En revanche, les mêmes entités économiques ont versé 309 milliards d’euros en intérêts, dividendes et autres coûts financiers. Nous aurions pu nous attendre à ce que ces 309 milliards d’euros fassent l’objet de toutes les attentions. Eh bien non, ce sont les cotisations sociales qui sont mises en avant !

Ce que l’on appelle « coût du travail » figure sans doute comme une charge, en termes comptables, au compte de résultat de n’importe quelle entreprise soumise à la comptabilité des sociétés commerciales, mais cette charge est constituée de deux éléments principaux.

Le premier de ces éléments est la rémunération nette perçue par le salarié pour la force de travail qu’il a utilisée en vue de produire des biens ou d’assurer des prestations de services dans l’entreprise qui l’emploie : une rémunération nette, inférieure à la valeur du bien produit ou du service rendu et génératrice, « naturellement », d’une plus-value. C’est ainsi qu’Adam Smith, dont l’héritage est revendiqué par maints défenseurs de la libre entreprise, indique que « le travail d’un ouvrier de manufacture ajoute en général, à la valeur de la matière sur laquelle il travaille, la valeur de sa subsistance et du profit du maître ».

Aussi ce débat sur le coût du travail, mené au nom de la fameuse compétitivité, n’est-il rien d’autre que la répétition infinie du débat sur l’utilisation de la « plus-value ».

Réduire le coût du travail, en France comme en Europe, n’est-ce pas remettre en cause quelques-uns des acquis fondamentaux issus de la Libération, de la victoire sur le nazisme et le fascisme ? N’est-ce pas mettre en question la sécurité sociale, qui a porté, sur la durée, une bonne partie de la croissance de notre pays en élevant de manière remarquable le niveau de santé publique ?

Ce débat sur le coût du travail est aussi ancien que le développement de l’économie marchande. Permettez-moi de citer encore une fois Adam Smith : « Les commerçants anglais se plaignent fréquemment du niveau élevé des salaires dans leur pays. Ils expliquent que ce niveau élevé est la cause de la difficulté de vendre leurs marchandises à des prix aussi compétitifs que les autres nations. […] Dans beaucoup de cas, les bénéfices élevés du capital peuvent contribuer beaucoup plus à la hausse du prix des marchandises que les salaires exorbitants. » Il me semble que cet aspect de sa pensée est oublié quand certains analysent la question du « coût du travail » !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. Il faudrait nous lire tout Adam Smith !

Mme Marie-France Beaufils. Bien sûr ! Mais il faudrait aussi que vous lisiez tout ce que d’autres auteurs d’une sensibilité différente ont écrit sur ce sujet…

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. On ne lit jamais assez !

Mme Marie-France Beaufils. Le second élément du coût du travail, ce sont les cotisations sociales et, de manière générique, l’ensemble des cotisations dont l’assiette, ou la valeur de référence, est le salaire brut de chaque salarié.

Ces cotisations sociales ont un double caractère : elles constituent un droit ouvert, pour celui dont le salaire sert de base de calcul, à disposer d’une couverture maladie, à bénéficier de prestations familiales, à recevoir un revenu de remplacement en cas de chômage et à jouir d’une pension de retraite lorsqu’il aura interrompu son activité professionnelle, et un droit agissant, parallèlement, pour tous ceux qui sont alors malades, retraités, sans emploi. Ce sont des droits ouverts et liquidables, à tout moment ou presque, à raison de la situation de chacun.

C’est dire que les dépenses de protection sociale – et vous verrez que nous ne sortons pas du débat sur ce projet de loi organique – sont un élément constitutif du revenu des ménages particulièrement essentiel et que toute réduction du niveau et de la qualité de couverture de ces dépenses conduit, en fait, à une réduction du pouvoir d’achat de ces ménages et de leur capacité d’épargne et d’investissement.

Indexer les retraites sur les prix, en provoquant un quasi-gel du pouvoir d’achat des retraités depuis vingt ans, c’est priver les salariés et leurs familles du juste prix de leur travail !

La raison d’être de notre système de protection sociale, et surtout son caractère mutualisateur, peuvent être ainsi mis en cause ; le présent projet de loi organique ne semble pas devoir sortir de cette logique.

En effet, la protection sociale y est envisagée non pas comme un ensemble de droits attaché à un ensemble de ressources, mais comme un solde comptable qu’il conviendra d’ajuster au fur et à mesure de la réalisation de l’objectif à moyen terme et de la trajectoire de nos finances publiques, tels que définis par le TSCG, et dont nous verrons la traduction concrète lors de l’élaboration de la loi ordinaire.

À un objectif comptable, nous allons donc ajouter une mutation profonde, déconnectant de plus en plus le financement de la sécurité sociale et des autres protections sociales de leur lieu naturel de financement, c’est-à-dire l’entreprise, pour le reporter sur l’impôt. On ne sait pas encore si ce déplacement concernera la TVA, la CSG ou un panier plus large encore d’impôts, mais le fait est que l’objectif est tracé : accroître le taux de marge des entreprises en réduisant les cotisations sociales et en délocalisant de l’entreprise le financement de la sécurité sociale !

Les comptes publics sont profondément dégradés par les multiples adaptations de notre système de prélèvements sociaux et fiscaux aux seules attentes des entreprises. Des dizaines de milliards d’euros, tous les ans, sont consacrés par le budget à l’allégement des cotisations sociales des entreprises. Certaines entreprises, en n’embauchant que des salariés payés au niveau du SMIC, ne versent à la sécurité sociale que la part dite « ouvrière » des cotisations sociales ! De grands groupes de la distribution et/ou de la restauration, absolument pas exposés à la concurrence internationale, champions de France du travail précaire et du temps partiel imposé, y sont particulièrement intéressés, sans que l’emploi, les salaires ou la formation s’en portent mieux pour autant, pas plus d’ailleurs que les créances des fournisseurs de ces groupes, partenaires plus ou moins contraints de relations commerciales déséquilibrées.

Les politiques d’allégement du coût du travail se sont tellement développées, depuis une vingtaine d’années, que l’on en oublierait presque que la France compte désormais 5 millions de chômeurs à temps complet ou à temps partiel, que 3 millions de salariés sont employés à temps partiel imposé, surtout des femmes, et que près de 7 millions de salariés perçoivent la prime pour l’emploi, ce qui, de notre point de vue, constitue sans doute le principal élément structurel de nos déficits publics. Et il reste encore quelques personnes pour dire que notre droit du travail est « rigide » et agit comme un frein à l’embauche !

Un autre élément structurel est le déclin organisé des recettes publiques.

Certains oublient un peu vite que la baisse des recettes fiscales de l’État, au nom d’une incitation globale à favoriser l’épargne longue et les investissements productifs, est tout de même le principal vecteur de l’accumulation des déficits.

De 1982 à 2009, les recettes fiscales de l’État sont passées de 22,5 % du PIB à seulement 15,9 %, ce qui constitue tout de même une moins-value équivalant à rien de moins que 130 milliards d’euros en valeur 2009…

Tels sont les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Mon collègue Éric Bocquet reviendra plus en détail sur le texte. Pour ma part, j’insisterai sur quelques points.

La création du Haut Conseil des finances publiques va désormais priver les citoyens et leurs représentants d’une grande part de leur capacité de contrôle de l’action publique ; c’est en tout cas notre analyse. Le fondement de ce projet de loi organique est d’attacher durablement notre pays à l’étroite conception budgétaire qui régit aujourd’hui les destinées de l’Union européenne.

Contre toute logique, alors même que ni la Grèce, ni l’Espagne, ni le Portugal ne pourront cette année tenir les objectifs de réduction des déficits publics qui leur ont été assignés, alors même que, dans un nombre croissant de pays, les tenants de l’ordre des choses connaissent de sérieuses mésaventures électorales, comme en Espagne, en Grèce ou en Belgique, alors même que la menace de tentations populistes, isolationnistes, parfois xénophobes, se fait plus pressante, on nous demande de voter une loi organique dont la finalité est de contraindre les Français à accepter les sacrifices nécessaires au respect des critères européens. La justification économique, sociale, politique de ces critères reste d’ailleurs à donner, ceux-ci s’appuyant sur des choix scientifiques et éthiques parfaitement discutables.

Quel pays a vu sa situation s’améliorer durablement en remettant en cause les garanties des salariés au regard du droit du travail, en développant la flexibilité et la précarité ?

J’en viens à une autre question, celle de la réduction des dépenses publiques. Les mécanismes et mesures de correction des trajectoires de finances publiques sont des obligations posées par ce projet de loi organique. L’article 8 du projet de loi de programmation « ordinaire » dont nous débattrons la semaine prochaine prévoit en effet que « les collectivités territoriales contribuent à l’effort de redressement des finances publiques selon des modalités à l’élaboration desquelles elles sont associées ». On appréciera le sens de la litote dont font ici preuve les concepteurs du projet de loi…

Supportant de 70 % à 75 % de l’investissement public, les collectivités territoriales ne contribuent-elles pas déjà à l’équilibre des finances publiques, en favorisant l’activité productive par leurs dépenses d’équipements ? Ces équipements sont-ils sans effet sur l’activité économique, à commencer par la viabilisation des zones d’activité, la mise à disposition d’infrastructures, de réseaux, d’équipements ? Comment ce qui nous a toujours semblé être un facteur positif, y compris au moment où a éclaté la crise financière, serait-il désormais considéré comme un élément négatif ?

Les pays qui ont le plus été frappés par les derniers développements de la crise économique durable que l’Europe connaît depuis quarante ans, comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, sont aussi ceux où la part des dépenses publiques était la plus faible.

Ainsi, l’Espagne n’a atteint le taux de 45 % de dépenses publiques que depuis que la chute du PIB du pays, en valeur et en volume, a contracté les données.

La même remarque vaut pour l’Irlande, championne de la faiblesse des dépenses publiques en 2000, avec un taux de 31,2 % du PIB, qui a atteint le taux de 66,1 % du PIB en 2010 parce qu’il a fallu renflouer les banques du pays, au bord de la faillite !

Il faut donc parfois se méfier de ce que l’on entend dire quant à la nécessité de réduire les dépenses publiques ! La loi organique, outre sa conception étroite entièrement tournée vers l’austérité et le maintien de la rentabilité du capital, fait référence à une notion tout de même assez douteuse : le « solde structurel ».

Le débat en commission des finances a montré, pour le moins, qu’un accord sur la définition de ce solde structurel, considéré comme le solde budgétaire, déduction faite des mesures de caractère conjoncturel, était suffisamment éloigné pour que la question fût tranchée une bonne fois pour toutes…

Le problème, c’est que la définition à géométrie variable du solde structurel met en question la clef de voûte de l’ensemble du projet de loi organique. Si nous ne sommes pas d’accord sur l’objectif à atteindre, au moins sur sa valeur algébrique, comment voulez-vous mettre en œuvre la loi organique ? À moins – mais nous n’osons y croire – que tout cela ne soit finalement qu’un ensemble de principes dont nous pourrions nous abstraire en tant que de besoin.

En tout cas, les finances publiques sont affaire trop sérieuse pour qu’on leur impose un tel carcan législatif. En cohérence avec notre opposition au TSCG, nous ne pouvons évidemment que voter contre un projet de loi qui en constitue le prolongement s’agissant du travail du Parlement.

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