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Finances

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La promotion du jeu responsable et la protection de l’éthique sportive passent au second plan

Jeux d’argent et de hasard en ligne -

Par / 23 février 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays n’est pas celui où la pratique du jeu est la plus répandue. En effet, les Français ne sont pas de gros consommateurs de paris, la moyenne des enjeux en France étant, au moins officiellement, inférieure à celle que l’on observe dans les pays de l’Union européenne, en particulier en Grande-Bretagne où l’on parie à peu près sur tout.

Sans entrer dans la logique qui prête aux joueurs bien des travers psychologiques et bien des défauts, il convient de rappeler tout d’abord où nous nous situons.

Le jeu est dans notre pays une activité fortement réglementée, reposant, d’une part, sur un régime de droits exclusifs, pour ce qui est des courses hippiques, des loteries et des paris sportifs, et, d’autre part, sur un régime d’interdiction qui connaît toutefois quelques dérogations pour ce qui est des jeux de hasard avec mise en numéraire.

Ces régimes seraient à la fois notre force et notre faiblesse, à en croire certains. En effet, nous ne serions pas tout à fait à la page pour ce qui est du développement des jeux dits « virtuels », la seule réalité matérielle de ceux-ci résidant dans les mouvements financiers qu’ils impliquent.

Ils seraient notre force, car, avec le Pari mutuel urbain, nous disposons d’un outil et d’un système de financement et d’organisation des courses hippiques qui a permis à la fois le maintien d’une activité importante et l’existence d’une filière cohérente de l’élevage équin. Cette filière est un atout économique dans nombre de régions et fait notamment de la France la référence en matière de préservation et de reproduction des espèces et des races chevalines.

Il y a ainsi tout lieu de penser que, sans l’existence du système mutuel, nous aurions probablement abandonné l’élevage de certaines races de chevaux de trait et il est fort probable que la plus grande partie des hippodromes de province auraient fermé leurs portes.

D’ailleurs, la situation de monopole dont dispose le PMU sur la gestion concrète des paris et des enjeux a conduit à une réalité très simple. Comme vous l’avez d’ailleurs vous-même souligné dans quelques-uns des rapports d’information que vous avez pu produire au cours de ces dernières années, monsieur le rapporteur, nous avons en France autant d’hippodromes que l’ensemble des autres pays de l’Union européenne et chacun de ces champs de courses est à l’origine d’une microfilière économique dans son environnement immédiat.

La force du PMU est donc d’être un système mutualiste, où l’on a proscrit le pari à cote fixe - là où le joueur joue contre l’organisateur -, et un système désintéressé, puisque le PMU est un groupement d’intérêts économiques associant l’ensemble des sociétés d’élevage, sans autre but lucratif que celui de dégager les moyens de permettre la préservation et le développement de la race chevaline.

Au chapitre des loteries, nous sommes dotés depuis une bonne trentaine d’années de la Française des jeux, qui, en s’appuyant sur la Loterie nationale, a développé ensuite le Loto et, surtout, une grande quantité de jeux de loterie instantanée dont la diffusion est largement facilitée par la multiplicité des points de vente existants.

Pour ne pas oublier un segment de clientèle potentielle, on a également créé le Loto sportif, c’est-à-dire des paris sur des compétitions sportives. Il constitue la seule exception à la prohibition des paris à cote dans le paysage des droits exclusifs d’exploitation de jeux d’argent.

D’ailleurs, il y a fort peu à parier que la clientèle du PMU soit la même que celle de la Française des jeux. D’évidence, le Loto sportif, en particulier, malgré sa part somme toute réduite dans les activités de la Française des jeux, intéresse une clientèle plus jeune que celle des courses hippiques.

La volonté de produire ici une loi régissant de manière plus précise, « encadrant » ou prétendant encadrer, le jeu virtuel vise notamment à faire en sorte que la clientèle ayant accès à internet puisse être plus aisément repérée et fidélisée.

En outre, comme chacun sait, les jeux de hasard sont a priori interdits en France, sauf, par dérogation, dans les villes touristiques et thermales qui accueillent des casinos, cette dérogation au principe d’interdiction ayant été étendue aux agglomérations de plus de 500 000 habitants, moyennant la mise en œuvre d’un projet culturel associé.

Les casinos français, nettement plus nombreux que les établissements équivalents dans nombre d’autres pays voisins, ont connu un surcroît d’activité avec l’autorisation d’exploiter des machines à sous. Ils font l’objet d’une véritable lutte d’influence entre quelques groupes, de moins en moins nombreux, qui se partagent le marché, même si les derniers exercices sont marqués par la contraction sensible du produit brut des jeux et de l’activité des casinos, ce qui entraîne d’ailleurs quelques conflits sociaux dans ce secteur.

Nous comptons 197 établissements sur l’ensemble du territoire, dont une cinquantaine dans l’orbite du groupe Partouche, 36 dans le groupe Barrière, 16 dans le groupe Tranchant, 21 dans le groupe franco-canadien JOA et 8 dans le groupe Émeraude.

Derrière ces cinq principaux exploitants restent quelques groupes de taille moyenne et quelques indépendants, qui gèrent le plus souvent un seul établissement.

Les casinos français constituent une source non négligeable de revenus pour les collectivités territoriales où ils sont implantés, puisque les recettes tirées du produit brut des jeux dépassent 300 millions d’euros pour les communes d’accueil, somme qu’il convient de rapprocher des 916 millions d’euros de prélèvements fiscaux et des 250 millions d’euros de prélèvements sociaux.

Les casinos sont des acteurs incontournables de la vie économique des villes où ils sont implantés et y constituent bien souvent l’un des employeurs de référence.

Dans ce paysage du jeu dans notre pays, nous sommes donc dans un univers particulièrement réglementé, ne souffrant que quelques dérogations, notamment s’agissant de l’organisation de lotos dans le cadre d’activités touristiques locales, tout en constituant une filière économique entière, faisant travailler plus de 100 000 personnes.

Cette réalité économique a d’ailleurs été maintes fois soulignée, notamment dans vos rapports antérieurs, monsieur le rapporteur. Elle s’appuie en particulier sur une forte filière « cheval », constituant 5 % des emplois dans l’agriculture, et sur le réseau des casinos, qui emploient directement plus de 20 000 personnes.

C’est cet équilibre, produit d’une législation mesurée, faisant de l’interdiction ou de l’exclusivité le fondement de sa définition qui est aujourd’hui en débat, avec l’ouverture à la concurrence du marché des jeux de hasard.

Or c’est le même équilibre qui a, pour le moment, évité à notre pays les matchs truqués, phénomène ayant perverti les compétitions de football dans certains championnats européens déjà passablement déséquilibrés.

Comme nous l’avons rappelé, les jeux sont l’objet de prélèvements fiscaux et sociaux. Ainsi, la Loterie nationale a rapidement été le support de prélèvements au profit d’œuvres caritatives, tandis que le PMU était l’objet de prélèvements divers, opérés en faveur de l’aménagement rural ou encore de l’activité des haras.

Le PMU a ainsi financé l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, tandis qu’il est soumis, depuis 1976, à l’instar des jeux gérés par la Française des jeux, à un prélèvement au profit du Centre national pour le développement du sport, le CNDS, l’ancien Fonds national pour le développement du sport, ou FNDS.

En outre, les gains des joueurs au PMU et aux jeux de la Française des jeux sont directement assujettis à la contribution sociale généralisée depuis la création de celle-ci.

Une telle manne financière, dont la gestion est d’autant plus aisée qu’elle est le fait de deux entités disposant de l’exclusivité, est directement menacée sur le principe par l’ouverture à la concurrence des jeux en ligne. Et c’est là l’un des débats clés de cette ouverture.

D’un côté, il y a les partisans d’une ouverture réelle, conforme à l’esprit des textes européens, notamment du sacro-saint principe de concurrence libre et non faussée, qui tendrait à rendre possible ce qui est aujourd’hui interdit, moyennant une fiscalité « adaptée », c’est-à-dire allégée. Nous en avons largement la trace dans le texte. C’est ce choix que semble bien avoir fait le Gouvernement, lui qui est d’ores et déjà à la recherche de tout ce qui pourrait permettre à la fois de réduire les dépenses publiques et de trouver de nouvelles ressources fiscales tout en continuant de tenir le discours, usé jusqu’à la corde, de la non-augmentation des impôts.

De l’autre côté, il y a ceux qui ne souhaitent aucunement l’extension du casino national et la mise en œuvre d’une concurrence très largement porteuse de dangers pour la tranquillité et l’ordre publics, une concurrence source d’addictions et créatrice d’illusions.

Le succès des machines à sous, élément clé du chiffre d’affaires des casinos aujourd’hui, celui des loteries instantanées – dès 2002, plus de 40 % du produit des jeux de la Française des jeux étaient assurés par ce vecteur –, du « Rapido », qui a, très vite, pris place dans les produits leaders, montrent largement que l’addiction peut s’installer d’autant plus rapidement que la sollicitation du joueur est constante.

Ce risque, apparemment, certains ne semblent pas l’avoir tout à fait mesuré, comme ils sont décidés à autoriser les jeux de hasard et d’argent en ligne pour éviter leur développement de manière illégale.

C’est d’ailleurs l’un des aspects pour le moins pervers de ce texte : nombre des procédures de jeu qui y sont expressément décrites, nombre des critères d’encadrement qu’il prétend mettre en œuvre sont seulement les outils qui feront entrer dans le champ de la légalité ce qui est aujourd’hui à la fois illégal et envahissant, si l’on en juge aux boîtes aux lettres électroniques de tous les abonnés d’un fournisseur d’accès internet.

Et, plutôt que de s’appuyer sur les textes législatifs existants pour poursuivre les contrevenants, que fait-on ? On a décidé de donner un vernis de légalité à l’ensemble, de poser quelques règles minimales, et on permet à certaines entités financières, déjà fortement présentes dans le circuit des jeux « en dur », de s’imposer plus encore.

La promotion du jeu responsable, la protection de l’éthique sportive, tout cela passe au second plan !

Le projet de loi se contente d’encadrer la concurrence, puisque les opérateurs disposeront du droit de proposer des jeux, dans la limite du respect de l’ordre public et social.

Pourtant, c’est justement en se fondant sur cet ordre public et social que notre pays a privilégié le principe du monopole, au détriment du principe de la concurrence, comme c’est d’ailleurs le cas chez nombre de nos voisins européens pour les jeux « en dur ».

La Cour de justice des Communautés européennes elle-même considère que le monopole public doit être privilégié pour lutter contre la corruption et la fraude.

Chacun s’accorde, y compris la commission des affaires sociales, sur les dangers sanitaires et sociaux, addiction et surendettement des joueurs, que font déjà courir les jeux et paris en ligne et sur les risques supplémentaires que fera naître l’ouverture à la concurrence. Si l’on y ajoute les problèmes de corruption dans le sport et les courses, le trucage des matchs, le blanchiment d’argent, force est de constater que l’État ne peut pas se priver du contrôle des acteurs historiques du secteur.

Par conséquent, les risques de nuisance pour la santé publique et l’ordre public ne devraient laisser personne indifférent, et l’État lui-même moins que tout autre.

En effet, pourquoi ce qui a permis les paris clandestins avant même l’existence de l’internet grand public ne serait pas possible maintenant que les transactions et les échanges sont facilités par l’électronique et la numérisation ?

Ces raisons renforcent notre opposition à toute autorisation de la publicité en faveur d’un opérateur de jeux ou de paris agréé. L’addiction au jeu est un problème sérieux et elle peut être considérée comme une pathologie ; le développement des jeux en ligne tend à l’aggraver, comme le relève la commission des affaires sociales. Dans ces conditions, comment autoriser la publicité pour les jeux en ligne, alors que l’on sait pertinemment que la publicité a précisément pour fonction d’inciter à consommer ?

Nous ne pouvons pas plus accepter la généralisation des paris à cote fixe, dont le principe est plus que contestable. En effet, le bookmaker a fortement intérêt à voir perdre le joueur et, dans tous les cas, il garde une marge sur les gains du joueur pour son propre bénéfice. La nature même de la cote fixe permet d’augmenter les profits et est source de tous les trucages, puisque les gains potentiels sont souvent plus attrayants que pour les paris mutuels.

Le pari à cote fixe se résume, comme on le voit outre-Manche, à de la fraude, à de la corruption et à des paris truqués, ce qui entache régulièrement le monde du sport et pervertit notamment sa pratique professionnelle.

C’est la raison pour laquelle quarante-six États des États-Unis, le pays le plus libéral, interdisent le pari à cote fixe. Il en est de même au Japon. En Europe, le Totocalcio, grand jeu italien sur le football, est un jeu mutualiste, tout comme las quinielas, également grand jeu sur le football, mais espagnol. Les Pays-Bas ont également pris la sage décision d’interdire le pari à cote fixe. La France, si elle l’autorisait aujourd’hui, deviendrait un paradis pour les mafias et les opérateurs sans scrupules.

Nous pouvons hélas craindre que, encore une fois, les citoyens les plus vulnérables ne fassent les frais de cette ouverture à la concurrence.

En raison des risques que la libéralisation fait courir dans notre société en termes de santé publique, d’ordre public et de protection des mineurs, le législateur a le pouvoir et le devoir d’organiser par la loi non pas l’ouverture régulée à la concurrence, mais la maîtrise publique de ce secteur.

Ces raisons nous conduiront à ne pas suivre le Gouvernement et le rapporteur de la commission des finances dans leur choix et à voter contre le présent projet de loi.

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