Finances
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Ce gouvernement promettait un nouveau monde, nous récoltons finalement les mêmes recettes
Loi de finances pour 2021 : explication de vote -
Par Pascal Savoldelli / 8 décembre 2020Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’abord, nous ne pourrons pas nous adresser au ministre Le Maire, qui est pourtant chargé de l’économie et de la relance. Il est vrai qu’il en a été de même du ministre Véran pour la loi de financement de la sécurité sociale. D’accord, les gestes barrières sont importants, mais quand même ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST et Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Il est venu masqué !
M. Pascal Savoldelli. Finalement, on ne propose plus au Parlement de s’exprimer, mais de participer. Merci, monsieur le ministre Dussopt, pour votre participation et votre comportement politique, même si je regrette la présomption d’avis défavorable sur nos amendements !
Ce budget est davantage celui d’un fidèle serviteur de l’accumulation du capital que celui d’un État souverain où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous.
Mes chers collègues, je me permets simplement de vous le rappeler en toute solennité : le bon sens voudrait que nous ne répondions pas à une crise qui accroît drastiquement nos dépenses par d’autres dépenses. Notre groupe n’a eu de cesse de vous proposer de nouvelles ressources fondées sur l’équité fiscale, afin d’entraver l’accroissement des inégalités que la crise sanitaire continue de renforcer. Or, alors que nous avons débuté les débats autour de ce budget il y a maintenant plus d’un mois, nous avons beau chercher, nous ne trouvons pas !
Nous ne trouvons pas vos propositions visant à rétablir l’équité fiscale entre les petites et les grandes entreprises. Nous ne trouvons pas non plus vos mesures garantissant l’égalité entre les commerces de proximité et les géants du commerce en ligne, qui se sont largement enrichis pendant la crise. Nous vous avons bien proposé une meilleure progressivité de l’impôt sur les sociétés, avec à la clé une baisse d’imposition pour les petites entreprises, nous vous avons proposé une contribution des géants du numérique et un accroissement de la taxe sur les marchés financiers et sur les versements de dividendes, mais vous n’en voulez pas. Aucun nouvel impôt sur la richesse !
Il n’y a pas d’argent magique, mais des décisions magiques, il n’y en a pas non plus ! Non, le véritable problème est moins l’argent que sa redistribution ! Trop souvent, vous pensez aux réductions d’impôts. Crédits d’impôt par-ci, crédits d’impôt par-là ! Mais, alors, allez-y, supprimez tous les impôts sur les entreprises, lâchez-vous ! Mais ça ne marchera pas. Tout le monde le sait, mais on continue ! Arrêtons de vouloir installer le pays dans le cercle infernal de la relance par la dette et de la dette pour la relance !
Entre la majorité de l’Assemblée nationale et celle du Sénat, il y a certes des différences (Oui ! sur des travées du groupe Les Républicains.), mais il y a un point commun : c’est de rester à l’intérieur de l’économie telle qu’elle est, c’est-à-dire du capitalisme, qu’on évoque sous son nom d’emprunt : « économie de marché ».
Que dire des collectivités, ces grandes perdantes ? La réduction des impôts dits « de production » cause pour elles une perte de revenus de 20 milliards d’euros sur deux ans. Cette suite logique des cadeaux faits aux grandes entreprises sur le dos des budgets locaux produira des effets de bord renforçant son injustice. Les collectivités ne sont pas traitées à égalité face aux conséquences de la crise ; surtout, elles ne sont pas assez soutenues.
Nous avions bien fait des propositions qui auraient permis de réellement les soutenir, au regard des milliards de pertes engendrées par la baisse de leurs recettes et la hausse de leurs dépenses. Mais la majorité a préféré les décortiquer, révélant ainsi des contradictions, voire des antagonismes entre les beaux mots et les actes.
Le choix est clair : au levier d’action publique qui a une légitimité démocratique, à l’expérience locale, on préfère les logiques du marché privé, on préfère fabriquer des clients consommateurs plutôt que des usagers citoyens.
Le général de Gaulle, qui est souvent cité, nous rappelle ce qu’est un véritable plan : « Il embrasse l’ensemble, fixe les objectifs, établit une hiérarchie des urgences et des importances, introduit parmi les responsables et même dans l’esprit public le sens de ce qui est global, ordonné et continu, compense l’inconvénient de la liberté sans en perdre l’avantage. » Eh bien, mes chers collègues, ce n’est pas un plan que vous allez voter ! Où sont les véritables objectifs ? Quelle est la priorité ? On consacre 7 milliards d’euros à l’énergie en voie de nouvelle marchandisation, contre 800 millions pour les plus pauvres. Mais c’est se mettre une balle dans le pied que d’acter que le développement durable soit mieux doté que la lutte contre la pauvreté !
Une aide de 150 euros pour les allocataires des minimas sociaux, une fois, sur un mois, ni plus ni moins ! Nous avions pourtant proposé de baisser la TVA sur les biens de première nécessité pour contrer cette pauvreté galopante, mais vous vous êtes cachés derrière la fatalité de l’« harmonisation européenne », comme si nous ne faisions pas partie de l’Europe…
Mes chers collègues, ce budget manque cruellement de vision, d’espoir et de créativité. Ce gouvernement promettait un nouveau monde ; nous récoltons finalement les mêmes recettes, inlassablement. L’Institut des politiques publiques confirme d’ailleurs que, dans votre budget, « les entreprises qui ont le plus pâti de la crise ne bénéficieront pas particulièrement du plan de relance ».
Pour toutes ces raisons, nous sommes amenés à dire non à ce budget.
Une crise sanitaire ? Vite, baissons les impôts des entreprises de 10 milliards ! Sur les dix prochaines années, 100 milliards d’euros vont échapper à l’État, monsieur le ministre. Ce sont 100 milliards qui vont manquer à la santé, 100 milliards qui vont manquer aux transports en commun, 100 milliards qui vont manquer pour une politique sociale ambitieuse, 100 milliards qui vont manquer pour l’écologie et les projets des collectivités territoriales !
M. André Gattolin. Qui dit mieux !
M. Pascal Savoldelli. À croire que notre pays est devenu un régime de faveur, où seuls ceux qui participent au capital productif méritent des droits.
Vous refusez de constater que ce plan constitue – je cite encore l’Institut des politiques publiques – une « confiance aveugle dans les politiques structurelles et de l’offre » et qu’il s’agit d’« une sorte de suicide ». La relance n’existera pas, mes chers collègues, tant que la diminution de l’investissement public, qui s’est effondré de 26 % au premier semestre, ne sera pas compensée. Si les finances des collectivités sont en berne, la relance de la croissance le sera aussi.
J’avais abordé, en introduction de l’examen de ce budget, la nécessité d’ouvrir des perspectives, de donner un horizon, du fait de cette situation difficile pour notre économie, mais surtout pour les gens. Pourtant, vous vous entêtez dans une politique de l’offre injuste et inefficace.
Les Françaises et les Français, en contrepartie de la dette, à quoi ont-ils droit maintenant ? Ils ont le droit à un chantage aux réformes dites « structurelles » : réforme des retraites, baisse des dépenses et des services publics, réforme de l’assurance chômage. Ce plan ne relance rien ; il signifie une politique sans partage des pouvoirs et des richesses, autoritaire et régressif.
Nous sommes convaincus que ce budget n’est pas un budget de crise face à la crise. Il vient une fois de plus déléguer la souveraineté de l’État à la technoscience et au marché. Nous nous y opposons donc.