Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
La grève dans le collimateur de la droite sénatoriale
Par Pierre Barros / 10 avril 2024« Il y a des hommes pour qui la grève est un scandale, c’est-à-dire non pas seulement une erreur, un désordre ou un délit, mais un crime moral, une action intolérable qui trouble à leurs yeux la Nature », écrivait Roland Barthes en 1957. Restreindre la grève est un désir aussi lointain que le droit de grève lui-même.
Les jours fériés, les vacances seraient notamment concernés, un service minimum serait alors organisé. Votre proposition de loi met fin au préavis dormant et prévoit des réquisitions, rien de moins !
Ces mesures sont anticonstitutionnelles, car elles portent une atteinte disproportionnée à l’alinéa 7 du préambule de 1946. La loi réglemente le droit de grève, elle ne l’interdit pas.
Dès 2004, le rapport Mandelkern battait en brèche de telles propositions. L’interdiction du droit de grève pendant des jours fixés n’est possible que si ces jours-là tous les personnels doivent être présents pour répondre à des besoins essentiels. Quant aux réquisitions, en quoi une grève attente-t-elle au bon ordre, à la sécurité, à la salubrité publique ? Elles seront déclarées illégales par le juge.
L’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen indique que le but de toute association politique peut notamment être la résistance à l’oppression, base du droit de grève. La France est aussi signataire de la convention de 1987 de l’Organisation internationale du travail (OIT), dont l’article 2 préserve le droit de grève. La Constitution exige que nous respections cette convention. Cette proposition de loi est donc anticonstitutionnelle.
Pourquoi de tels textes s’attaquant aux mouvements sociaux se sont-ils multipliés ces dernières années ? Il est plus facile de s’attaquer aux droits des travailleurs qu’aux vrais problèmes.
Ainsi, l’Autorité de la qualité de service dans les transports (AQST) décrit l’année 2022, année de grève des chefs de bord, comme l’une des plus mauvaises en matière de retards. Mais les causes en étaient, entre autres, une difficile gestion de l’affluence en gare, du matériel et des infrastructures vieillissants.
Dans le ferroviaire, seuls 20 à 25 % des retards relèvent de causes externes - les mouvements sociaux sont en dernière place, après la météo, les obstacles sur les voies, les colis suspects ou les malveillances. L’AQST dénonce aussi la dégradation de l’état du réseau ferroviaire depuis 1954.
Cette proposition de loi ne trompe personne : le sous-investissement est ce qui pénalise vraiment les usagers.
Pourquoi l’effort politique ne se porte-t-il pas sur cette question cruciale ?
À quand une loi de programmation sur les 100 milliards d’euros promis par Mme Borne ?
Ce sont ces choix politiques qui ont saboté les transports du quotidien. Que dire de la liquidation de nos grandes entreprises publiques, comme Fret SNCF, qui a favorisé le transport routier au détriment de la décarbonation du fret !
Attaquons-nous aux causes des dysfonctionnements et non pas aux conséquences, surtout à l’approche des JOP.
Cette proposition de loi instrumentalise les JOP pour mettre à l’agenda ce vieux rêve d’un syndicalisme de partenariat social. Jacques Delors l’avait inauguré avec le « dialogue social » qui remplaçait la « négociation collective » ; les lois Auroux en 1982 ont ouvert des brèches dans le code du travail, puis la loi El Khomri en 2016, avant les ordonnances Macron de 2017 qui ont créé les comités sociaux et économiques (CSE).
Les organisations syndicales représentatives n’ont désormais aucun poids réel dans les négociations. Pourquoi ne pas respecter l’esprit de la Constitution en créant un cadre de négociation collective ?
Rendons aux syndicats les moyens de faire vivre les discussions. La grève n’est qu’un levier d’action, mais essentiel, qui a permis d’arracher des conquêtes sociales. On ne déclenche pas une grève par plaisir. Les conséquences sont lourdes pour les grévistes qui ne perdent pas de gaieté de coeur le salaire des jours de grève.
Notre pays connaît un contexte de répression syndicale inédit. Plus de mille militants syndicaux sont poursuivis devant les tribunaux. C’est alarmant pour nos libertés publiques.
L’essence de la démocratie réside dans sa capacité à permettre la libre expression des conflits qui la traversent. À Athènes, antique mère de nos démocraties, cela permettait de régler les différends et d’aboutir à un consensus. Empêcher l’expression du conflit ne réglera pas le conflit lui-même.
Cette proposition de loi ne servira pas les intérêts des entreprises concernées. Le patronat a besoin des syndicats, amortisseurs sociaux. Quand le corps social est contraint, il réagit.
La dépénalisation de la grève en 1864 visait à mieux la contrôler.
Comme l’écrivaient Jacques Prévert et le groupe Octobre lors de la grève des travailleurs de Citroën en 1933 : « Mais ceux qu’on a trop longtemps tondus en caniche, / Ceux-là gardent encore une mâchoire de loup, / Pour mordre, pour se défendre, pour attaquer, / Pour faire la grève... ». Vive la grève !