Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Sous une couche de vernis, vous rapprochez la justice des enfants de celle des adultes
Code de la justice pénale des mineurs -
Par Cécile Cukierman / 26 janvier 2021Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le contexte dans lequel s’inscrit cette discussion et sur le profond mépris dont fait preuve le Gouvernement à l’égard du Parlement s’agissant de la méthode. Je voudrais tout de même souligner que ce mépris s’étend aussi à l’ensemble des professionnels de la justice. Ces derniers ne s’estiment pas prêts matériellement à travailler sous l’empire de ce nouveau code, pour l’élaboration duquel ils n’ont obtenu qu’un semblant de concertation.
Nous reviendrons lors de l’examen des amendements sur la question des délais intenables. Nous proposerons un délai d’un an – c’est plus que ce qui est envisagé par la commission –, pour l’entrée en vigueur effective de la réforme, qui est actuellement prévue par le Gouvernement au 31 mars prochain, c’est-à-dire « demain » !
Sur le fond, en présentant ce texte, monsieur le garde des sceaux, vous avez expliqué : « Le répressif avec les gamins, ça ne marche pas. » J’aurais envie de vous répondre que cela ne marche avec personne ! Vous avez ajouté qu’il fallait « d’abord l’éducatif » et une « réponse rapide ». Permettez-moi de vous dire que cela ne marche pas non plus : l’éducatif ne peut pas être une réponse rapide !
La question n’est pas de se satisfaire des délais de plus en plus longs qui existent aujourd’hui. Ces délais sont aussi le fruit d’une situation d’engorgement des différentes procédures et du manque de moyens, notamment pour la construction du temps éducatif. S’il ne faut bien évidemment pas les allonger davantage, il ne faudrait pas les raccourcir à l’excès, sous peine de fragiliser ce temps éducatif.
Le temps est aussi une composante essentielle de la personnalité des mineurs. Or ce que ce texte propose est, par exemple, de pouvoir juger en audience unique – c’est le « tout en un » – les mineurs récidivistes alors que ce sont eux qui justifient à nos yeux le plus une intervention éducative lourde et inscrite dans la durée. Il semblerait que le pari soit fait de leur échec futur au regard de leur échec passé…
C’est un exemple, mais il est révélateur de la philosophie globale de cette réforme, qui, au lieu de s’orienter vers un code général de la protection de l’enfance, s’emploie à rapprocher la justice des enfants de celle des adultes. Malgré la couche de vernis qui est bien appliquée ici et là pour faire coller cette réforme point par point à nos principes constitutionnels, à la primauté de l’éducatif et à l’intérêt supérieur de l’enfant, plusieurs mesures illustrent un tel rapprochement.
Aucune avancée effective n’est notable sur la présomption d’irresponsabilité pénale, puisque le seuil d’âge de 13 ans est associé à une présomption simple, donc susceptible d’être renversée. Cela n’est pas conforme aux textes internationaux, notamment à l’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant.
Ce nouveau code rend possible le prononcé de peines en cabinet à juge unique et insuffisantes les garanties procédurales offertes aux droits de la défense.
En parallèle est instaurée une procédure de césure qui, à moyens constants, n’est simplement pas tenable quant aux délais et portera atteinte au principe éducatif.
Quelques amendements de Mme la rapporteure vont dans le bon sens, en tout cas de notre point de vue. Je pense notamment à celui qui tend à supprimer la compétence en matière de justice des mineurs du tribunal de police, ou encore à celui qui vise au report du délai d’entrée en vigueur de l’ordonnance. Cependant, sur le fond, le texte reste inchangé, et l’économie générale est pour le moins partagée par la majorité sénatoriale : aller plus vite et à moindre coût, même pour la justice des mineurs.
Cela n’est pas la vision de la société que nous défendons. Alors que la priorité devrait être accordée à la lutte contre la pauvreté et à la protection de l’enfance en danger, un glissement inquiétant s’opère avec ce texte : celui de l’abaissement des garanties éducatives pour toute une partie de notre jeunesse qui – je le dis sans angélisme – est bien souvent en proie à d’autres difficultés que celles purement judiciaires ici considérées et auxquelles on voudrait répondre sans ambages.
En matière d’éducation de jeunes mineurs en difficulté, et donc pour ce qui concerne cette réforme de la justice pénale des mineurs, le plus important, selon nous, ce n’est pas la peine et la sentence finale, qui n’ont que peu de sens pour des êtres en construction ; c’est bien le chemin parcouru à leurs côtés et le « pouvoir » et l’aura qu’auront sur eux les explications des magistrats, des avocats, des éducateurs qui les accompagneront dans la compréhension du système judiciaire qui est le nôtre, celui qui permet de vivre en société, de faire du commun, dans un État de droit.
Le cadre que leur offre cette réforme n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Le Sénat s’honorerait à modifier le texte en profondeur, même si sa marge de manœuvre est, nous le savons, parfois infime. Pour notre part, nous serons évidemment attentifs au sort qui sera réservé à nos amendements. Mais, pour l’heure, nous ne pouvons pas soutenir une telle réforme.