Lois
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Une justice manquant cruellement d’ambition
Confiance dans l’institution judiciaire : conclusions de la CMP -
Par Éliane Assassi / 18 novembre 2021Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a abouti à un accord. Il est vrai que les divergences de points de vue étaient – il faut le rappeler – assez minces.
Il n’en demeure pas moins que ce texte reste extrêmement épars et composite. Il ne traite qu’à la marge de la justice du quotidien qu’est la justice civile. C’est pourtant la principale préoccupation des Français en matière de justice. Il aurait peut-être été de bon aloi de prendre cet élément en compte pour renouer leur confiance envers l’institution judiciaire.
Au regard du contenu du projet de loi, qui me semble toujours déconnecté des préoccupations de nos concitoyens et plus encore de celles des professionnels du droit, à la tête desquels les magistrats, qui croulent sous les dossiers, l’ambition affichée est hélas vouée à l’échec, même si je ne le souhaite pas.
Faut-il rappeler que la durée moyenne pour obtenir un jugement au civil au tribunal de Nanterre, par exemple, est d’un an et demi ? Selon la présidente du tribunal judiciaire Catherine Pautrat, « il y a un dysfonctionnement et toutes les chambres sont en souffrance ».
D’ailleurs, la lenteur est la première chose que les Français reprochent à la justice, selon le sondage publié par notre commission des lois le 27 septembre dernier. Cette question devrait, me semble-t-il, faire l’objet, si ce n’est de ces projets de loi, de débats à l’occasion des États généraux de la justice.
Par quels moyens cela se traduira-t-il ? Le budget de la justice prévu dans le projet de loi de finances pour 2022 continue, certes, à afficher une augmentation – c’est une évidence –, mais cette évolution s’inscrit toujours dans le cadre d’un rattrapage de retard durable et ancré pour colmater l’indécence des moyens accordés par le passé à ce ministère régalien. La France continue à être l’un des pays européens qui attribue le moins de moyens à la justice au regard de sa population.
En outre, ce budget sert à financer une logique toujours à l’œuvre, que nous avons continué à dénoncer lors de la discussion de ce texte : celle d’une politique gestionnaire de la justice. L’expérimentation et, désormais, la généralisation à compter du 1er janvier 2023 des cours criminelles départementales n’ont pour nous qu’un objectif comptable, le même que celui qui a présidé à la suppression des tribunaux d’instance en 2018.
Moins de proximité, moins de collégialité… pour une justice au rabais !
En matière de procédure pénale, alors que les professionnels sont demandeurs de simplification, ce projet de loi ajoute au contraire de la complexité à la procédure, qui devrait être revue en ce moment même au cours des États généraux de la justice.
En parallèle, la réforme des remises de peine est selon nous dangereuse, notamment au regard de la surpopulation carcérale, à laquelle notre pays n’apporte pas d’autre réponse que l’augmentation du parc carcéral.
À l’heure où nombre de nos voisins européens s’attaquent à la décroissance carcérale et à la question de la régulation carcérale, nous en sommes à augmenter le nombre de places en prison non pour désemplir celles qui sont saturées, mais pour accueillir plus longtemps des prévenus dont les remises de peines seront désormais plus difficiles à obtenir ou pour enfermer ceux qui se sont rendus coupables de l’un des nombreux délits créés sous ce quinquennat.
Nous n’avons pas pu évoquer l’amendement du Gouvernement sur l’article 3. Certes, nous ne pouvons que nous réjouir de la position commune adoptée au final entre la chancellerie et les avocats. Mais, encore une fois, nous regrettons les conditions d’examen d’une mesure aussi importante, qui aurait mérité, selon nous, que notre assemblée puisse s’exprimer à la fois sur le fond et sur la forme, même si, je le répète, nous sommes favorables à l’amendement.
Toutefois, malgré cette avancée et quelques autres, par exemple sur l’encadrement du travail en détention ou sur les règles déontologiques et disciplinaires des professionnels du droit, ce texte appartient encore dans sa philosophie profonde à l’ancien monde, celui d’une justice en manque criant d’ambition et de moyens, et pas seulement financiers. J’ai le regret de dire qu’il est largement utilisé à des fins médiatiques et aussi, me semble-t-il, politiciennes. C’est pourquoi le groupe CRCE maintient aujourd’hui son vote de rejet.