Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Avec les semences fermières, les agriculteurs participent à la préservation de la biodiversité

Droit de semer et propriété intellectuelle -

Par / 27 mars 2013

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, venant d’un département rural, je suis particulièrement sensible aux préoccupations des agriculteurs. Lorsque la loi relative aux certificats d’obtention végétale a été adoptée en 2011, un certain nombre d’entre eux ont exprimé leur crainte devant cette nouvelle attaque contre les semences de ferme, les semences paysannes, et contre un modèle agricole alternatif au modèle productiviste et industriel.

Finalement, en 2011, le débat s’est focalisé sur l’opposition entre ces deux modèles, alors que, en réalité, ils sont complémentaires et forment la diversité du modèle agricole français.

Monsieur le ministre, vous avez annoncé vouloir faire de la France un modèle de l’agro-écologie. Nous saluons cette initiative et, dans ce cadre, les semences de ferme, les semences paysannes ont un rôle à jouer. En effet, en ressemant une partie de leurs récoltes, en procédant à des échanges de petites quantités de semences paysannes, les agriculteurs participent concrètement à la réalisation des objectifs de préservation de la biodiversité.

Mme Annie David. Voilà !

Mme Mireille Schurch. Ils proposent des pistes pour mettre en œuvre une agriculture durable et revenir à des pratiques agronomiques vertueuses.

Les travaux du Grenelle de l’environnement préconisaient déjà la technique traditionnelle des mélanges variétaux qui, en bousculant le dogme de la variété pure, a permis la lutte contre les maladies et la baisse des fongicides. Ainsi, moins de 20 % des semences de ferme sont enrobées avec un insecticide, contre près de la moitié des semences certifiées.

De plus, les semences de ferme respectent les circuits courts, elles ne sont pas délocalisables, alors que de nombreuses semences certifiées sont produites à l’étranger.

En 2005, la France a ratifié le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture, qui s’imposait à elle depuis 2003 puisque la Communauté européenne l’avait elle-même ratifié. Ce texte affirme « que les droits [...] de conserver, utiliser, échanger et vendre des semences de ferme et d’autres matériels de multiplication et de participer [...] au partage juste et équitable des avantages en découlant sont un élément fondamental de la concrétisation des droits des agriculteurs ».

Aujourd’hui, le traitement réservé aux semences fermières et paysannes ne nous semble pas respecter les objectifs du traité. Cela est d’autant plus injuste que les semences industrielles ont puisé dans les semences paysannes.

La loi de 2011 relative aux certificats d’obtention végétale, sous couvert de protéger les semences de ferme, les a reléguées au rang de pratiques interdites ou tolérées sous condition de rémunération. En effet, comme l’a dit mon collègue Gérard Le Cam, les semences de ferme ne sont autorisées que pour 21 espèces, contre paiement de royalties. En dehors de cette liste, elles sont tout simplement interdites et violemment sanctionnées par le régime de la contrefaçon.

Un premier pas vers la protection des semences de ferme serait d’élargir la liste des espèces prêtant à dérogation, comme vous en avez le pouvoir par voie réglementaire, monsieur le ministre. Il serait également possible de relever le tonnage au-delà duquel la pratique des semences de ferme donne lieu à paiement.

Plusieurs pistes sont donc envisageables. Il est important d’organiser sur ces questions une concertation avec tous les acteurs du secteur. Nous souhaitons connaître vos intentions en la matière, monsieur le ministre.

Comme l’atteste la proposition de loi que nous avons déposée au mois de juin 2012, nous portons l’exigence d’une légalisation totale des semences de ferme et paysannes. Nous souhaitons que l’agriculteur soit autorisé à ressemer sa récolte comme à faire de la sélection à partir de ses propres semences, à condition qu’elles ne reproduisent pas l’ensemble des caractères distinctifs de la semence certifiée et que le produit des récoltes ne soit pas vendu sous la dénomination variétale.

Nous souhaitons que des échanges puissent être autorisés. Je distingue bien les échanges de semences certifiées, donc industrielles, qui pourraient être limités à un contexte de crise, par exemple en cas de pénurie ou de sinistre grave touchant certaines exploitations, et les échanges des semences de ferme ou paysannes qui pourraient être limités en termes de quantité et de distance ou de périmètre d’échange.

Les semences de ferme ont montré leur utilité et leur complémentarité par rapport aux semences industrielles. Ainsi, souvenez-vous, en l’absence de semences commerciales disponibles pour assurer la relance des protéagineux et les couverts végétaux pour répondre au verdissement de la PAC, on a utilisé des semences de ferme. On a encore fait appel à elles pour compenser le déficit fourrager provoqué par la sécheresse en 2011.

Il ne s’agit donc pas pour nous d’opposer deux systèmes, les semences industrielles et les semences fermières. La filière semencière en France a fait la preuve de son excellence. Elle joue un rôle majeur, avec l’INRA, en termes d’indépendance alimentaire et de recherche.

Lors des débats qui précédé le vote de la loi de 2011, on a souvent entendu l’argument selon lequel la pratique des semences de ferme mettrait en péril la recherche. Or le progrès génétique a été en constante progression, alors même que les semences fermières étaient tolérées. C’est donc une erreur de croire que le budget dégagé par la taxation des semences de ferme serait la condition du dynamisme de la recherche. De plus, si des financements sont nécessaires, pourquoi les faire reposer sur les seuls agriculteurs, alors que toute la filière agroalimentaire bénéficie des progrès en termes de productivité et de qualité nutritionnelle des produits agricoles ?

Par ailleurs, si des partenariats, qui ont montré leur excellence, se sont constitués au sein des organismes publics de recherche, mais également entre la recherche publique et privée, les coupes budgétaires répétées depuis des années affaiblissent considérablement les moyens alloués à la recherche publique. Ainsi, l’absence de création de postes en 2013, les masses salariales bloquées, le refus d’intégrer dans les dispositifs de titularisation, en bref, la politique d’austérité que vous avez décidé de conduire ne forment pas un contexte favorable au dynamisme de la recherche. Or le sujet exige une programmation de la recherche sur un temps long.

De plus, certaines activités liées au contrôle des semences, dont il est question dans la loi de 2011, sont aujourd’hui fragilisées.

En 2011, sous le précédent gouvernement, l’INRA et le ministère de l’agriculture avaient déjà constitué un groupe de travail ayant pour mission de « réfléchir aux conséquences de la baisse importante de la subvention accordée à l’INRA pour assurer les missions autres que la recherche stricto sensu ».

Pour certaines des missions « complémentaires » de l’INRA qui sont assurées par le groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences, le GEVES, se dessine au niveau européen une volonté dangereuse de dévier vers l’autocertification. En effet, avec le projet Better Regulation, la Commission européenne a proposé de simplifier l’actuelle certification des semences par une « autocertification » agréée par les pouvoirs publics, validant les systèmes de contrôle internes.

Confier aux industriels du secteur le soin de contrôler les critères d’évaluation et les modalités d’études des variétés, aujourd’hui missions du GEVES, nous semble très dangereux. Il nous faut être exigeants sur ces questions et, monsieur le ministre, nous aimerions connaître votre position sur ce point précis.

Enfin, je veux attirer votre attention sur les dangers de l’appropriation du vivant.

Depuis de nombreuses années, de grandes firmes ont développé une stratégie commerciale et financière afin de s’approprier les espèces végétales. Voici ce que l’économiste Benjamin Coriat explique à propos du brevet : « Il ne consiste plus en une "récompense" attribuée à l’inventeur en échange de la divulgation de son invention : le brevet se mue, pour la firme qui le détient, en droit d’exploration, cédé sous forme de monopole, pour toutes les inventions à venir, non décrites et non prévisibles, avant même que toute invention ait été effectuée et, a fortiori, divulguée. »

En Europe, la directive relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques n’interdit pas le brevetage d’un gène dans une plante ni même celui d’une espèce végétale. Récemment, l’Union française des semenciers, consciente qu’il s’agissait là d’une arme redoutable, s’est opposée à la brevetabilité des gènes natifs.

Monsieur le ministre, quelle voix portera la France sur ce sujet ? Si l’Europe veut maîtriser son progrès génétique, elle doit être claire et ne pas reconnaître les brevets sur les gènes natifs. C’est une décision politique qui doit être prise et qui, à nos yeux, serait une véritable protection pour le système du certificat d’obtention végétale.

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