Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Il faudrait concevoir un outil de notation indépendant des marchés

Agences de notation -

Par / 3 octobre 2012

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je formulerai tout d’abord quelques observations formelles sur le rapport de la mission commune d’information sur le fonctionnement, la méthodologie et la crédibilité des agences de notation.

En tout état de cause, il serait injuste de ne pas reconnaître qu’un travail très important a été accompli dans le cadre de cette mission. Il a abouti à la mise en avant de propositions tout à fait intéressantes.

Évidemment, nous ne pouvons que partager le regret formulé par la mission : le temps passant, les agences de notation ont pris une importance et joué un rôle sans commune mesure avec leurs moyens et leur raison d’être.

Je me permettrai cependant de souligner en cet instant à quel point, dans le monde actuel, l’information économique nécessite autre chose que les approximations produites par des organismes qui ne disposent pas toujours des compétences, de la profondeur de vue et de champ, ni de la légitimité leur permettant d’être considérés comme parfaitement fiables.

Permettez-moi de rappeler, mes chers collègues, quelques éléments relatifs à la réalité de l’action de ces agences de notation.

Trois entités principales existent aujourd’hui dans le petit monde de la finance occidentale, à savoir Moody’s, Fitch et Standard & Poor’s. Même si Fitch est considérée comme une agence française depuis que Marc Ladreit de Lacharrière en a pris le contrôle, il n’en demeure pas moins que les trois entités ont des intérêts convergents : outre le fait qu’elles disposent parfois d’actionnaires communs, elles sont bien souvent juges et parties sur les marchés financiers.

Pour présenter le rôle des agences de notation, je ferai une comparaison avec le monde du sport. En réalité, c’est un peu comme si l’un des participants à une compétition sportive s’arrogeait le droit de qualifier le jeu de ses compétiteurs et adversaires sans en référer à l’arbitre !

Cette caractéristique constitue, de fait, l’une des limites objectives de l’indépendance et de la qualité du travail des agences de notation financière. J’observe d’ailleurs que leur travail n’a jamais été autant évoqué que depuis l’été 2008, au moment où les tensions observées sur le segment des subprimes nord-américaines ont entraîné la sérieuse crise de confiance systémique du secteur bancaire, dont nous constatons encore aujourd’hui les effets dévastateurs.

Je note à ce propos l’imagination pour le moins limitée des gouvernements européens en réponse à la crise obligataire créée par l’expansion de titres d’État destinés à rétablir la « confiance » dans le fonctionnement du secteur bancaire. Ils ont développé des politiques d’austérité dont l’inefficacité est chaque jour plus probante.

Les politiques menées sont surtout dangereuses pour les équilibres sociaux, les potentiels productifs, la croissance et la transformation positive d’économies, par trop fondées sur le gaspillage des ressources en sociétés où la satisfaction des besoins collectifs irait de pair avec une intelligence nouvelle dans les rapports que nous entretenons avec l’environnement et sur ce que nous risquons de laisser à ceux qui vivront après nous sur notre bonne vieille Terre !

On le sait, dans les années trente, notamment, les agences de notation ont provoqué des tensions particulières dans certains pays – singulièrement en Grèce –, conduisant des nations à connaître des épisodes historiques douloureux, allant très au-delà de l’appréciation négative portée sur telle ou telle dette dite « souveraine ».

Force est de constater qu’aucune de ces observatrices attentives de la situation des marchés financiers n’a été en mesure, en 2008, de nous aviser de ce qui se tramait au travers de la tension du secteur des prêts immobiliers américains, qui touchait l’ensemble du secteur bancaire, notamment parce que, au cours des dernières décennies, l’ingénierie financière a inventé des véhicules toujours plus sophistiqués, dont les échanges obéissent à des algorithmes de plus en plus précis composés de valeurs associées à des supports fort divers. Cela a eu pour conséquence, entre autres, de « contaminer », par simple dissémination systémique, nombre de transactions financières et de créer une méfiance mutuelle entre les banques.

Les agences de notation ont échoué : elles n’ont vu ni la fragilisation de Lehman Brothers ni le degré de la contamination qui risquait d’affecter l’ensemble des acteurs.

C’est pourtant à ce moment-là que nous avons commencé à entendre parler d’elles, ce qui est tout de même pour le moins stupéfiant. Les Français ont ainsi été abreuvés de « triple A » à satiété, comme si cette notation devenait soudain l’alpha et l’oméga de toute politique économique et budgétaire digne de ce nom.

Nous nous posons par conséquent deux questions.

Premièrement, de quels moyens effectifs les agences de notation disposent-elles pour apporter leur « expertise » sur la situation de tel ou tel pays émetteur de dette publique – remarquons qu’il n’existe guère de pays qui n’ait, par-devers lui, une part de dette publique – ou de telle ou telle entreprise, d’importance d’ailleurs fort variable ?

Deuxièmement, la notation d’un pays par une agence de notation donnée a-t-elle la moindre conséquence sur la réalité de la dette publique, singulièrement sur son amortissement, les conditions de financement, les taux d’intérêt ?

Sur le premier point, force est de constater que nous ne pouvons décemment contester aux experts d’avoir fréquenté les meilleurs établissements et écoles de formation économique. Loin de nous l’idée de mettre en cause la qualité de leur formation initiale.

Mais un problème apparaît. De manière générale, les agences de notation confient à deux analystes la mission de donner une valeur objective à la situation d’un pays ; pour ce faire, ils doivent disposer des moyens, des éléments et des informations nécessaires. À qui va-t-on faire croire que l’on peut confier la tâche d’émettre un avis autorisé sur la situation d’un pays à une équipe composée d’un contrôleur senior et d’un contrôleur junior ? On n’accepterait certainement pas une telle situation pour ce qui concerne la gestion d’une entreprise privée de quelque importance !

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est sûr !

M. Éric Bocquet. J’en viens à la question de la valeur accordée à la notation des agences par rapport à la situation de tel ou tel pays. À ce propos, souvenons-nous que le maintien du triple A était apparu à la France comme un objectif prioritaire de sa politique budgétaire. Nous pourrions le comprendre, puisque notre pays émet près de 200 milliards d’euros de titres de dette publique par an. Mais nous pouvons aisément rétorquer que certains pays, dont la notation est moins bonne ou dont la dette publique, rapportée au produit intérieur brut, est plus élevée qu’en France, ont une dette publique moins coûteuse, ne serait-ce que parce les taux d’intérêt qui grèvent les émissions obligataires sont moins élevés.

D’ailleurs, la France a fait une expérience intéressante : la notation de la dette publique a perdu le triple A – l’agence Fitch s’est cependant refusée à le retirer à notre pays – au moment même où les plus récentes émissions étaient grevées de taux d’intérêt plus faibles. Mes chers collègues, nous en sommes même arrivés à constater que nous pouvions émettre aujourd’hui des bons du Trésor de court terme assortis d’un taux d’intérêt négatif. Ainsi, le 20 septembre dernier, l’Agence France Trésor a émis des bons à deux ans assortis d’un taux d’intérêt de 0,75 %, après que des bons sur formules ont été émis au mois de juillet à un taux négatif.

Une telle situation a une origine fort simple. La dette publique française est particulièrement bien jugée sur la planète finance et certains investisseurs préfèrent souscrire et sur-souscrire les titres de cette dette pour être certains d’en tirer au moins un petit rendement. Ainsi, cet été, un grand établissement suisse est intervenu pour tirer vers le bas le taux d’intérêt de la dette publique française de court terme.

Pour autant, comme chacun sait, dans un contexte global de dépression et de déflation, un taux d’intérêt, même faiblement positif, est un taux réel encore élevé. Si nos taux d’intérêt sont aujourd’hui moins élevés, c’est parce que certains opérateurs et investisseurs, nonobstant l’avis des agences de notation, se positionnent en fonction des risques présumés encourus à placer leur argent dans tel ou tel pays.

Ces observations ne règlent qu’en partie les questions posées par l’activité des agences de notation. Nous devons désormais consacrer quelques instants à nous demander si nous ne pourrions pas faire tout simplement autrement.

La mission commune d’information a formulé un certain nombre de propositions, celle de confier une bonne part du contrôle de l’activité des agences de notation à la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers n’étant pas la moindre.

Selon nous, il ne serait aucunement malvenu, si tant est que la notation des émissions obligataires des États, des entreprises, des collectivités locales ou des organismes sociaux ait un sens et une utilité, de réfléchir à un outil de notation plus directement indépendant des acteurs des marchés financiers.

De ce point de vue, on ne peut oublier que la France est dotée d’un tel outil, puisque la Banque de France dispose, avec sa division « cotations », d’un ensemble d’outils d’évaluation parfaitement éprouvé, dont l’indépendance est tout simplement garantie. Elle évalue aujourd’hui 250 000 entreprises.

Ce fait a deux raisons fort simples : d’une part, la loi de 1993 relative au statut de la Banque de France et à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, que nous n’avions pas approuvée à l’époque, a indéniablement établi cette caractéristique fondamentale de notre banque centrale, situation très différente de celle des agences de notation, toutes rattachées par des liens capitalistiques à des groupes ou sociétés cotés ; d’autre part, aux termes de leurs statuts, les agents de la Banque de France voient leur indépendance garantie par leur mode de recrutement.

Par conséquent, notre banque centrale, comme probablement celles d’autres pays européens, dispose des hommes, des femmes et des outils les plus adéquats pour mener à bien une démarche neutre et objective de notation des émissions publiques comme privées.

Au moment même où le gouverneur de la Banque de France entend mettre en œuvre un plan de restructuration des activités de son institution conduisant à la disparition de 2 500 postes de travail, cette situation doit nous interpeller et nous amener à exiger qu’une orientation nouvelle et différente soit imprimée à notre institution bancaire centrale. Pour peu que les critères de notation soient nettement moins sujets aux aléas d’une conjoncture boursière et spéculative particulièrement changeante, les conditions générales de financement de l’économie et donc de la croissance et de l’emploi pourraient probablement être différentes.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont les observations dont nous voulions vous faire part.

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