Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Il ne faut pas que les logiques de rationalisation prennent le pas sur la qualité de la réponse à apporter aux justiciables

Justice de première instance -

Par / 25 février 2014

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la réforme de la carte judiciaire réalisée sous la législature précédente avait entraîné la disparition et le regroupement de nombreuses juridictions, principalement des tribunaux d’instance, remettant ainsi en cause l’accès à une justice simple et proche des justiciables. Elle avait également affecté l’ensemble des partenaires de justice et posé la question des conditions d’exercice du service public de la justice et de sa présence sur le territoire, auprès de tous les citoyens, en particulier des plus isolés.

La question d’une réforme profonde de l’institution judiciaire et de son organisation est donc plus que jamais nécessaire. Elle est largement réclamée par les organisations syndicales, mais il reste à savoir comment elle se fera.

Madame la garde des sceaux, vous avez réaffirmé, au mois de janvier dernier, lors du colloque sur la justice du XXIe siècle, votre volonté d’améliorer et de moderniser la justice. L’une des pistes envisagée est la création d’un tribunal de première instance qui aurait vocation à unifier la plupart des juridictions, et ce dans un souci de simplifier la justice et d’en garantir l’accès à tous les citoyens. Cette perspective de nouvelle répartition des contentieux paraît évidemment séduisante, puisqu’elle permet d’adapter l’organisation judiciaire à cette exigence de proximité. C’est l’objectif louable que vise la création d’un guichet unique de greffe, comme vous l’avez proposé, qui permettrait de construire une nouvelle proximité judiciaire en rendant possible la saisine d’un juge dans le tribunal le plus proche du justiciable, et ce quel que soit le tribunal effectivement compétent.

Nicole Borvo Cohen-Seat et Yves Détraigne, auteurs du rapport d’information fait au nom de la commission des lois du Sénat en 2012, tout en émettant des réserves, voyaient trois avantages majeurs à la mise en place d’un tribunal de première instance : il permettrait « d’adapter les réponses judiciaires aux besoins de la population et d’assurer une présence judiciaire effective » ; il « garantirait la lisibilité […] de l’organisation judiciaire et simplifierait la saisine des juridictions » ; enfin, par la mutualisation des effectifs, « il assurerait aux chefs de juridiction une plus grande facilité de gestion ». Ces idées ont été reprises et approfondies dans le rapport d’Yves Détraigne et de Virginie Klès rendu cette année.

Si ses objectifs sont louables, la création d’un tribunal de première instance soulève malgré tout quelques interrogations, car le souci de cohérence et de lisibilité de l’institution judiciaire ne doit pas se traduire par la création d’une « hyper-structure gestionnaire », selon les termes de magistrats inquiets, qui aurait pour but de remplir des objectifs gestionnaires de souplesse et de flexibilité. Je profiterai d’ailleurs de ce débat pour relayer les interrogations et inquiétudes des professionnels de justice.

Tout d’abord, ce dispositif prévoit la fusion des juridictions de première instance et le rattachement des tribunaux d’instance transformés en chambres détachées. Se pose donc la question du périmètre fonctionnel d’une telle fusion. Comment intégrer des juridictions dont les procédures et la composition diffèrent sans remettre en cause leurs spécificités ? En effet, la création des TPI pourrait présenter un réel danger pour le fonctionnement de la justice en entraînant une perte d’identité pour les juridictions absorbées, voire une dégradation du service rendu aux justiciables.

Ensuite, une réforme du TPI ne doit pas conduire à une baisse des effectifs et des crédits budgétaires, tous les sites judiciaires correspondant aux tribunaux d’instance devant pouvoir être maintenus comme chambres détachées. L’idée d’un TPI départemental unique présente un certain risque : celui d’éloigner la justice des citoyens et, surtout, de ceux, isolés ou fragiles, qui y ont ordinairement difficilement accès, a fortiori pour ce qui est des juges spécialisés, qui ne pourraient se maintenir que dans les sites pouvant comporter des collèges de taille suffisante.

En outre, il est permis d’émettre quelques réserves sur le souhait d’harmonisation des procédures et de répartition des contentieux. En effet, certaines fonctions juridictionnelles spécialisées, comme celle de juge d’instance, seraient menacées de disparition, et le nouveau contentieux de proximité risquerait d’être déséquilibré s’il incluait une partie du contentieux familial, qui, nous le savons, représente tout de même plus de la moitié de l’activité civile des tribunaux de grande instance.

Enfin, dans le cadre de ce tribunal de première instance, il pourrait être procédé à une mutualisation des moyens et des effectifs au sein du TPI, ce qui permettrait aux chefs de juridiction de gérer selon leur souhait le personnel. Dans ce cas, il ne faudrait pas que les logiques de gestion ou de rationalisation prennent le pas sur la qualité de la réponse à apporter aux justiciables. Il importe d’y être d’autant plus attentif que l’insuffisance des moyens de la justice est particulièrement criante, comme j’ai eu l’occasion de le vérifier moi-même récemment à l’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance de Créteil où les magistrats se plaignent d’un nombre de postes vacants très important, s’agissant pourtant d’un ressort particulièrement populaire dans lequel, vous le savez, madame la garde des sceaux, les besoins sont immenses.

Il est à craindre également que la mutualisation des effectifs ne tende à diluer la spécialisation des magistrats, qu’il est pourtant nécessaire de préserver pour offrir un service de justice de qualité pour tous.

Pour toutes ces raisons, nous souhaitons être assurés que la réforme du TPI ne se fera au détriment ni des justiciables ni du personnel judiciaire et des magistrats et que, en simplifiant les procédures et en facilitant l’accès de tous à la justice, elle ne nuira pas à l’autonomie et à la qualité de l’exercice judiciaire. Madame la garde des sceaux, je ne doute pas que vous serez attentive à nos remarques.

Les dernieres interventions

Les débats Un vrai débat entre deux projets de société

Le partage du travail : un outil pour le plein-emploi ? - Par / 6 janvier 2022

Les débats Aucune cause profonde des migrations n’est traitée

Conseil européen des 16 et 17 décembre 2021 - Par / 8 décembre 2021

Les débats Le Président de la République veut plateformiser l’État

Situation des comptes publics et réforme de l’État - Par / 1er décembre 2021

Les débats L’école a besoin d’un réinvestissement massif

Éducation, jeunesse : quelles politiques ? - Par / 1er décembre 2021

Les débats Ce sont les inégalités qui mûrissent depuis des décennies

Situation économique, sociale et sanitaire dans les outre-mer - Par / 1er décembre 2021

Les débats Le mal-être des professionnels de la justice comme des forces de l’ordre doit être entendu

Quel bilan de l’action du Gouvernement en matière de justice et de sécurité ? - Par / 30 novembre 2021

Les débats Ce gouvernement a décidé d’aller le plus loin possible dans la surveillance et le contrôle des populations

Quel bilan de l’action du gouvernement en matière de justice et de sécurité ? - Par / 30 novembre 2021

Les débats La désindustrialisation se poursuit depuis 2017

Perte de puissance économique de la France et ses conséquences sur la situation sociale et le pouvoir d’achat - Par / 30 novembre 2021

Administration