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Les débats

La diplomatie française sous influence

Questions de politique étrangère -

Par / 18 janvier 2011
La diplomatie française sous influence
La diplomatie française sous influence

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat de politique étrangère intervient à un moment où l’actualité est marquée par une série d’événements dramatiques qui concernent directement notre pays et nous touchent profondément.

En Tunisie, tout d’abord, face à la répression meurtrière d’un mouvement pour la justice sociale et la démocratie, le Gouvernement a été, jusqu’à la chute de Ben Ali, silencieux et complaisant, Mme le ministre des affaires étrangères allant même – honteusement, il faut le dire – jusqu’à proposer notre savoir-faire en matière de maintien de l’ordre, ce dont, comme le souhaite notre groupe, elle devrait aujourd’hui tirer toutes les conséquences.

Au nom du pragmatisme sans principes de votre realpolitik, et au prétexte que ce pouvoir policier corrompu protégeait, paraît-il, le pays de l’islamisme, vous avez cyniquement refusé de voir la véritable nature de ce régime.

Alors que, près de quatre ans plus tôt, le Président de la République se voulait, dans son discours suivant l’annonce de son élection, le président des droits de l’homme, il est resté silencieux quand les Tunisiens criaient chaque jour leur révolte contre le chômage de masse, l’étouffement des libertés publiques, la corruption ou encore l’accaparement de l’économie tunisienne par la famille du président Ben Ali.

Aujourd’hui, surpris par la tournure inattendue des événements, le Gouvernement essaie de se racheter en déclarant qu’on aurait sous-estimé la gravité de la situation.

J’ose vous dire, monsieur le ministre, que si on avait davantage écouté les nombreux parlementaires, plutôt de gauche, il est vrai, qui entretiennent des contacts étroits avec les forces progressistes tunisiennes et qui n’ont pas manqué de vous alerter sur la situation – je pense en particulier à la présidente de notre groupe, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat –, nous n’en serions peut-être pas là !

J’espère, monsieur le ministre, que les toutes dernières déclarations de soutien au processus démocratique engagé en Tunisie n’arriveront pas trop tard pour corriger cette erreur politique et cette faute morale envers le peuple tunisien.

Plus largement, ce qui se passe en Tunisie, mais aussi, peut-être, la situation en Algérie, sont des révélateurs de l’échec de la politique d’association de l’Union européenne avec les pays du Sud.

Permettez-moi de rappeler que la Tunisie, avec sa stricte application des plans d’ajustement du FMI et la libéralisation de son économie à marche forcée, était présentée par Bruxelles comme un modèle en matière de développement. L’Union européenne doit désormais tirer toutes les leçons de son échec et engager une autre politique de coopération et d’association avec les pays du Sud.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, de l’autre côté de la Méditerranée, c’est un mouvement puissant qui s’est levé et qui a, par la force populaire, chassé une dictature. La France doit soutenir sans réserve les aspirations sociales et démocratiques exprimées, à travers ces événements, par le peuple tunisien. Elle doit tout faire pour que le processus démocratique engagé aille jusqu’à son terme, avec la participation de l’ensemble des forces politiques et sociales tunisiennes, y compris la jeunesse, qui – nous l’avons vu – a joué un très grand rôle.

L’actualité, c’est aussi la mort tragique de deux jeunes Français enlevés la semaine dernière au Niger. Ce drame éclaire d’un jour particulier notre débat de cet après-midi, et je voudrais, de nouveau, m’associer ici à la douleur des familles, comme j’ai pu le faire, hier encore, à l’occasion des funérailles d’Antoine et de Vincent, au cours d’une cérémonie empreinte d’une très grande dignité. Les causes et les conséquences de ce triste événement nous invitent aussi, monsieur le ministre, à nous interroger sur les grandes orientations de la politique que vous menez, sous la conduite du Président de la République. Car tout se tient, et votre politique possède sa propre cohérence.

Lorsque des bandits et un groupe terroriste s’en prennent à de jeunes Français innocents en Afrique subsaharienne, ce n’est probablement pas par hasard ; cet acte a une signification : il s’agit clairement d’un combat contre ce que représentent notre pays, son image, mais aussi ses intérêts.

À travers ces crimes, nous payons le prix de l’image dégradée qu’offre notre pays depuis quelques années. En effet, bien que la France soit membre du Conseil de sécurité des Nations unies, nous devons admettre que, sur le plan économique, nous ne sommes plus une grande puissance. Dès lors, il ne nous reste que notre politique étrangère, ce qu’on peut appeler une politique d’influence, pour promouvoir nos valeurs et défendre les intérêts de notre pays et de notre peuple au niveau international.

Mais comment, et dans quel sens, peser pour exercer de nouveau efficacement cette politique d’influence que Mme la ministre d’État appelle de ses vœux, alors que l’action du Président de la République est principalement guidée par son alignement atlantiste ? La dégradation de l’image singulière qu’avait notre pays dans le monde est en grande partie due au renoncement à une réflexion autonome en matière de politique étrangère, mais aussi de défense et de stratégie.

Je crois, par exemple, que la façon dont nous prétendons mener la lutte contre diverses formes de terrorisme est une illustration concrète de notre suivisme à l’égard de certains aspects de la politique américaine. L’analyse que nous faisons de cette question a évidemment des conséquences sur notre politique étrangère. Celle-ci est fortement imprégnée des thèses américaines qui définissent un nouvel « arc de crise » mondial allant de la Mauritanie à l’Afghanistan, en passant par le milieu de l’Afrique. Cette vision se retrouve, d’ailleurs, dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui a fixé les grandes orientations stratégiques de notre pays.

Confrontés, dans cette région, à des actes terroristes qui nous visent directement, à travers nos compatriotes et nos intérêts économiques, nous risquons pourtant de tomber dans un piège. Il me semble donc légitime de vous demander quelle est désormais la stratégie du Gouvernement et du Président de la République pour assurer la sécurité de nos compatriotes à l’étranger et lutter contre les prises d’otages, car donner la priorité aux actions militaires, comme cela a été le cas ces derniers temps, ne me paraît pas être la bonne manière de répondre à ces menaces. L’échec de l’opération de libération des otages suscite des interrogations légitimes, nul doute que les enquêtes aideront à y répondre.

Mais, plus fondamentalement, je crois que le renforcement de notre implication militaire et de notre dispositif dans ces pays ne fait qu’aggraver la situation à notre détriment et contribue à accentuer le ressentiment des populations à notre encontre entretenu par AQMI, la branche d’Al-Qaïda dans cette partie du monde. Il faut donc soutenir les États faibles de cette région, en privilégiant l’aide à leur développement, et refuser l’engrenage militaire dans lequel nos ennemis souhaitent nous entraîner.

C’est la raison pour laquelle il convient d’accueillir favorablement l’annonce faite par Mme Ashton du lancement d’un programme spécifique d’aide aux pays du Sahel. Si la France est aujourd’hui particulièrement visée par de tels groupes, c’est moins à cause de la politique coloniale que nous avons menée dans cette région qu’en raison de l’image que nous donnons souvent à l’étranger, celle d’un pays dont la politique étrangère est alignée sur la conception américaine de défense des intérêts du monde occidental.

Au Sahel, nous payons aussi le prix de la guerre que nous menons en Afghanistan au sein d’une coalition dirigée par les États-Unis. Nous sommes aujourd’hui engagés dans un conflit qui, au bout de dix ans, a changé de nature, d’objectif et de stratégie, stratégie sur laquelle – il faut bien l’avouer – nous n’exerçons du reste qu’une influence marginale. Un ancien directeur du Collège interarmées de défense a même pu écrire qu’il s’agissait d’une guerre américaine.

Maintenir nos troupes dans un conflit qui n’est plus le nôtre, est-ce là aussi le prix de notre retour dans le commandement militaire de l’OTAN ? Quand bien même nous savons qu’il n’existe pas de solution militaire pour résoudre les problèmes de l’Afghanistan, que, dans le même temps, la situation sécuritaire se dégrade, qu’un État digne de ce nom n’existe toujours pas et que le développement du pays semble, dans ces conditions, être utopique, nous persistons à suivre la voie tracée par les États-Unis !

En effet, alors même que l’année 2010 a été la plus meurtrière pour la coalition, et que nos troupes, auxquelles je rends hommage, ont payé un très lourd tribut, avec vingt-deux soldats français morts cette seule année, le Président de la République, dans ses vœux aux armées, a annoncé qu’elles seraient de nouveau « très sollicitées » en 2011.

Décidément, comme nous vous le demandons depuis longtemps avec nos collègues socialistes, il est maintenant impératif que le Parlement se prononce enfin par un vote sur les raisons et l’opportunité de poursuivre notre engagement militaire en Afghanistan. (MM. Jean-Louis Carrère et Jean-Claude Peyronnet applaudissent.)

La France devrait être à l’origine de prises de position et d’initiatives fortes. En concertation avec d’autres membres de la coalition, il faudrait, par exemple, avoir le courage de dire que cette stratégie n’est pas la bonne, et nous désengager militairement d’un conflit dont les raisons ne sont plus les mêmes qu’initialement. Prévoyons un retrait progressif, mais rapproché dans le temps, de nos forces, ce qui permettrait de faire pression sur le gouvernement Karzaï pour qu’il mette maintenant rapidement en place, s’il en a vraiment la volonté, les outils permettant le développement du pays.

Enfin, et cela concerne directement les affaires étrangères, la France devrait inciter les États de la région à prendre, ensemble, leurs responsabilités pour aider à résoudre ce conflit.

Je sais que j’ai dépassé le temps de parole qui m’était imparti, mais, avec votre permission, monsieur le président, je souhaiterais aborder un autre point important, la situation israélo-palestinienne.

M. le président. Je vous accorde une minute supplémentaire, ma chère collègue.

M. Jean-Louis Carrère. Ils ont tous dépassé leur temps de parole, certains même de quatre minutes !

Mme Michelle Demessine. Face à l’enlisement du processus de paix entre l’État d’Israël et les Palestiniens, nous faisons preuve du même effacement par rapport à la politique que mènent les Américains dans cette région. Nous devons en être conscients, ceux-ci ont renoncé à faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à sa politique de colonisation des territoires occupés, principal obstacle à la création d’un État palestinien. Notre pays ne fait plus entendre une voix originale et forte sur ce sujet.

La France, mais aussi l’Union européenne, semblent paralysées et incapables de prendre des initiatives qui leur soient propres pour faire respecter, enfin, les résolutions de l’ONU. Nous continuons à attendre et à nous réfugier derrière l’inefficace consensus qui caractérise les réunions du Quartet. Espérons toutefois que celle du 5 février sera plus fructueuse !

Je n’ai pas le temps de parler du G8 et du G20. Toutefois, eu égard à l’image dégradée de notre pays dans certaines régions du monde, je doute fortement de la capacité du Président de la République à se faire entendre pour réformer le système monétaire international et réguler les marchés agricoles et ceux des matières premières.

Telles sont, monsieur le ministre, les appréciations, certes sévères, mais lucides, que je souhaitais porter, au nom du groupe CRC-SPG, sur quelques aspects de la politique étrangère menée par le Gouvernement.

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