Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

La finance réunit tous les attributs propices aux fraudes

Rôle des banques dans l’évasion fiscale -

Par / 5 décembre 2013

Rapporteur de la commission d’enquête sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l’évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l’efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu remercier à mon tour la conférence des présidents d’avoir inscrit ce débat à notre ordre du jour.

Même si plusieurs des recommandations adoptées par la commission ont commencé à trouver un début de satisfaction au cours des débats qui nous ont retenus à l’occasion de différents projets de loi examinés au cours de la précédente session parlementaire, il est utile de faire le point et de préparer l’avenir.

Les missions des commissions d’enquête ne sont pas facilitées par les moyens dont elles disposent en droit et en fait. Ces commissions rencontrent en effet parfois l’hostilité de ceux qu’elles dérangent. La commission sur le rôle des acteurs financiers dans l’évasion des capitaux n’a pas été épargnée. Les fausses indignations, particulièrement scandaleuses quand elles proviennent de fraudeurs patentés, n’ont pas manqué ; au cours de nos travaux, nous avons pu rencontrer plusieurs témoins menacés, parfois de mort. Fallait-il que le sujet soit brûlant !

Dans ce contexte, je voudrais remercier les membres de la commission d’enquête d’avoir adopté à l’unanimité les conclusions qui leur avaient été soumises . Ce résultat doit beaucoup à la présidence de notre commission d’enquête par François Pillet, aussi résolue que favorable à la réunion d’un consensus qui est désormais bien installé au Sénat sur des sujets qui en effet nous rassemblent.

De toute évidence, une commission d’enquête parlementaire n’a pas les mêmes objectifs que ceux qui sont assignés aux organes de contrôle, qu’ils soient administratifs ou judiciaires.

Cependant, elles doivent s’efforcer d’être les supports d’un contrôle parlementaire auquel il faudrait donner toute sa place dans une démocratie où le contrôle politique doit être fort. La réponse judiciaire ne saurait être seule à faire écho à une démocratie d’opinion exaspérée par les excès ou les carences des uns ou des autres. Sur des sujets comme celui qui nous rassemble, un contrôle parlementaire permanent et collégial devra s’imposer un jour. Il est moins concurrent que complémentaire par rapport à l’autorité judiciaire et il peut même arriver qu’il favorise l’exercice par cette dernière de ses missions, comme nous en avons reçu plusieurs fois le témoignage.

Permettez-moi de rendre hommage aux hommes et aux femmes qui s’attaquent au crime financier, qu’ils appartiennent à des services ou que, simples personnes privées, dans la solitude de leur conscience, ils osent, dans l’exercice de leur profession ou d’autres manières, s’opposer aux forces d’un système évidemment bien plus puissant qu’eux. La décision du Conseil constitutionnel intervenue hier ne leur rend pas cet hommage. Sans doute nous direz-vous quelles suites le Gouvernement entend réserver à une décision qui, par divers aspects, aboutit à désamorcer les moyens d’assurer l’égalité devant les charges publiques.

Dans un monde où, de plus en plus, les flux de capitaux sont affranchis de toute limite, la financiarisation de l’économie est un phénomène tellement acquis que l’idée même d’une évasion des capitaux paraît étrange et ne représente plus pour certains que la sanction bienvenue d’une finance efficiente adressée à des débiteurs irresponsables.

Pourtant, à l’âge de l’offshore, à l’âge de l’optimisation fiscale systématique et des crises financières, c’est bien sur une industrie financière au service de l’évasion des capitaux, pour elle-même ou pour ses usagers, qu’on doit s’interroger.

L’évasion des capitaux, c’est alors ce phénomène multiforme et prédateur qui permet de soustraire les richesses aux quelques reliques de souveraineté des États par lesquelles ceux-ci s’affichent encore parfois comme les garants des intérêts et d’un ordre publics.

La commission d’enquête n’a pas pu envisager tous les chefs d’évasion de capitaux relevant de la finance. Elle a particulièrement considéré l’évasion des capitaux à finalité fiscale, directement ou à travers le blanchiment de la fraude fiscale.

Il faudra un jour revenir sur la contribution sociale et économique du secteur financier et se demander si celui-ci présente, dans les conditions actuelles de son fonctionnement, des titres à absorber une part de plus en plus conséquente de la valeur ajoutée au risque d’en détruire régulièrement une bonne partie.

Peu, sinon aucun, des témoins auditionnés par la commission ne se sont aventurés à contester le bien-fondé de son objet. Les personnalités particulièrement qualifiées que nous avons auditionnées, parmi lesquelles l’ancien directeur général du Fonds monétaire international et l’ancien président de la Banque centrale européenne notamment, sont convenues que la finance présente des risques de fraude particulièrement aigus.

La finance réunit en effet tous les attributs propices aux fraudes, subies ou commises par les acteurs financiers eux-mêmes, observation fondamentale vérifiée par notre commission. L’opacité des circuits et des réseaux financiers, la vitesse des opérations, la disparition des frontières et des distances dans une mobilité qui contraste avec la fixité des espaces de souveraineté nationale dans lesquels s’exercent l’action des contrôleurs, comptent au nombre des attributs de la finance.

Il faut ajouter que la finance a un formidable pouvoir de novation. Elle peut substituer à des revenus taxables d’autres revenus non taxés ou moins taxés. Si elle n’a pas le pouvoir de changer le plomb en or, elle peut réaliser l’opération inverse en transformant l’or de la sphère économique réelle d’un pays en plomb pour les administrations fiscales, et plus largement pour celles en charge des intérêts publics.

Les « prix de transfert » financiers qui reposent sur l’assiette considérable des relations financières intragroupes, les structurations des bilans d’entreprises dans les groupes et leurs effets artificiels sur les revenus nets qui fondent la contribution fiscale, les arbitrages réglementaires multiples offerts par les techniques financières, parmi lesquels je voudrais citer ceux, d’actualité, pouvant porter sur certaines rémunérations salariales qui altèrent la contribution sociale, ne sont que quelques-unes des multiples manifestations des potentialités d’évasion des richesses par la finance.

Ces potentialités reposent aussi sur l’extrême facilité pour la finance de dissimuler les richesses, facilité entretenue par l’industrie financière qui s’est employée à se créer des zones de droit sur mesure. Tous les grands témoins auditionnés par la commission en ont appelé à une nouvelle régulation de la finance. J’y vois le témoignage d’un refus de l’impérialisme de la finance aux dérives patentes. Il trouve des expressions aussi variées que l’essor du shadow banking, cette finance des financiers pour les financiers, ou l’intervention directe de banques pour façonner les législations de certains pays.

De son côté, le secret bancaire absolu opposé aux règles les plus démocratiques n’est-il pas la manifestation de la suprématie accordée aux intérêts représentés par les institutions financières ? Sachons également reconnaître qu’en cela l’offre des financiers rejoint une demande croissante d’évitement de l’impôt par des élites mondialisées qui coïncide avec les intérêts des acteurs financiers.

Dans un monde où les oligarchies financières se renforcent sous l’effet des déséquilibres du partage des richesses, les oligopoles financiers se mettent au diapason des attentes des « ultra hauts revenus ». Leurs auxiliaires des professions du droit et du chiffre retirent une part importante de leurs rémunérations de recettes visant à optimiser astucieusement les revenus des entreprises et des particuliers en les soustrayant à la contribution commune. Les lois que nous adoptons sont ainsi régulièrement vidées de leur portée par toute une infrastructure qui est payée pour échapper à un pouvoir que nous exerçons au nom du peuple.

Dans ce monde, il est illusoire d’attendre des acteurs financiers une quelconque autorégulation. L’évasion des capitaux devient systémique. Quelles propositions appréciables les institutions financières ont-elles jamais avancées pour améliorer leur conformité ? Comment ne pas relever l’absence de plaintes de la profession dans les cas avérés de fraudes réalisées par des banques concurrentes quand les mêmes sanctionnent sans merci le plus petit découvert ? Que dire de l’utilisation sans vergogne des juridictions à secret bancaire et des États non coopératifs, de la multiplication des offres de véhicules vantés pour leur potentialité fiscale, du déplacement entre pays des avoirs consécutif aux durcissements des règles touchant tel pays vers d’autres destinations épargnées par lui, de la profusion des schémas de planification fiscale agressive dont le nombre ne cesse de croître dans le recensement qu’en fait l’Organisation pour la coopération et le développement économique, l’OCDE ?

La commission d’enquête a eu à connaître de situations individuelles plus ou moins publiques, témoignant d’évidentes transgressions. Chacun ici connaît peu ou prou les dossiers HSBC, UBS et d’autres plus franco-français. Sans pouvoir entrer dans des détails, je puis témoigner que les investigations auxquelles j’ai procédé en ma qualité de rapporteur ont pu conduire à des observations singulières.

Je m’interroge en particulier sur le recours par de nombreuses personnes morales à des comptes à l’étranger gérés dans des conditions apparemment destinées à les dissimuler. Je relève encore qu’en réponse à mon questionnaire certaines grandes entreprises du CAC 40 sont allées jusqu’à affirmer ne pouvoir être concernées par telle liste désormais bien connue quand, en réalité, elles se trouvaient portées sur elle. La commission de son côté a pu prendre connaissance de cas particuliers impliquant des compensations financières plutôt triviales mais pouvant concerner des sommes considérables et qui lient le grand banditisme aux fraudeurs fiscaux.

Ces comportements microéconomiques aboutissent à des formations macro-financières monstrueuses. Tel micro-État, dépourvu du moindre début d’une infrastructure de contrôle et offrant des garanties de non-fiscalisation au long cours, se retrouve le quatrième centre financier international. Le déploiement des groupes financiers dans les paradis bancaires et les réseaux qu’ils dessinent confèrent à l’offshore une place de choix dans les circuits financiers internationaux avec tous les risques associés pour l’ordre financier international, la stabilité financière mais aussi la conformité des flux, des intervenants, et des échanges.

En Europe elle-même, n’est-ce pas le plus petit État qui est aussi le plus grand centre financier de gestion de fonds ? Les Bermudes ne sont-elles pas la plaque tournante mondiale de l’assurance ? Combien de bénéfices les « captives » constituées par les entreprises françaises sur ce territoire dégagent-elles chaque année, monsieur le ministre, et combien coûtent-ils au trésor public ? Les bénéfices des entreprises du CAC 40 réalisés à l’étranger ne reflètent-ils que des succès commerciaux rencontrés sur place ou admettent-ils une part des bénéfices réalisés en France et habilement transférés à l’étranger ?

À sa manière, la commission d’enquête a éprouvé les effets de l’opacification entretenue par les nébuleuses financières. En réponse à une question portant sur les activités, les bénéfices et les impôts acquittés dans une liste de territoires, les banques interrogées ont affirmé ne pouvoir fournir ces éléments. Étrange réponse qui contraste pour le moins avec les informations qu’on s’attendrait voir réunies par des établissements à la pointe des techniques de gestion !

C’est d’autant plus étrange, et je dirais même inacceptable, qu’il suffit de se reporter à l’audition du président de BNP Paribas devant la commission d’enquête du Sénat sur l’évasion fiscale internationale, l’an dernier, pour se persuader que ces données sont déjà disponibles et qu’elles expliquent pour beaucoup l’écart entre le taux d’imposition nominal théorique desdites entités et leur imposition effective en France, constat soigneusement édulcoré dans un récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires, rédigé il est vrai par un rapporteur exerçant désormais ses talents au service d’une grande banque étrangère au centre du plus grand scandale financier de ces derniers temps.

Oui, décidemment, mieux connaître, ce sera déjà mieux combattre ! On le sait, cette condition appelle une coopération internationale dont les défaillances actuelles sont connues.

Ces dernières années, des accords interétatiques ont été présentés comme la manifestation d’une mobilisation internationale pour mieux défendre les droits légitimes des États. Ce processus a particulièrement consisté à s’assurer d’une coopération mutuelle effective passant par des échanges d’informations mais aussi, dans le champ de la lutte anti-blanchiment, qui est le second pilier du combat contre les flux illicites de capitaux, par l’adoption de normes communes supposées répondre aux défis du blanchiment.

La vision idyllique du concert des nations qui tend à être diffusée par les gouvernements est-elle vraiment de mise ? N’a-t-on pas assisté à un exercice formel et doit-on pour l’avenir s’attendre à mieux ?

Force est d’observer que, sans être dénué d’utilité, le Forum mondial fiscal de l’OCDE ou les conventions bilatérales n’ont pas atteint leurs objectifs. Par exemple, alors que les résultats de la supervision exercée par le Forum ont conduit à vider les différentes listes, qui représentaient l’unique issue du processus, laissant accroire que la coopération fiscale avait atteint un point satisfaisant, la réalité d’une faillite presque totale du système actuel d’échanges d’informations à la demande, volontaire ou spontané, s’est imposée. On privilégie désormais un standard d’échanges automatiques d’informations qui est en effet, de loin, préférable.

Mais qui ne veut le moins voudra-t-il vraiment le plus ? De quels instruments sommes-nous dotés pour contraindre les États récalcitrants – et il y en a quelques-uns au sein même de l’Union européenne – à respecter le futur nouveau standard ? La France mise en cause par la Commission européenne montre-t-elle toujours l’exemple ?

Comment progresser sur ce terrain maintenant que le Conseil constitutionnel a conforté les paradis fiscaux ? Nous semblons attendre des États-Unis la lumière, ce qui n’est pas la hauteur de ce que l’on attend légitimement de l’Europe et pourrait bien affaiblir sa position dans l’attractivité des capitaux. Un peu de géostratégie financière ne nuirait pas dans un contexte où les armes réglementaires, y compris dans le domaine de la lutte contre l’évasion des capitaux, sont un outil de la guerre financière internationale.

Par ailleurs, toute une série d’inconnues planent sur les processus en cours. Comment contrer le recours à des structures écrans que la quatrième directive anti-blanchiment continue à ignorer malgré l’évidence et les révélations d’Offshore leaks, au printemps dernier, largement confirmées par les documents que j’ai pu consulter dans mes fonctions de rapporteur de la commission ? Quid des progrès sur la voie d’une action plus résolue en matière de blanchiment quand des pans entiers sont laissés à la discrétion des États voire des établissements financiers eux-mêmes ? Quid des sanctions effectives contre les États ou les acteurs financiers complices ou auteurs de l’évasion des capitaux tant que les justices européennes resteront dans une passivité à laquelle les États-Unis ont si vigoureusement renoncé ?

À l’heure des annonces sur le FATCA européen, où en sommes-nous de la révision de la directive Épargne ?

On peut craindre en somme que le droit international ne demeure encore une fois, au gré des rapports de force, alternativement une loi douce sans effet appréciable ou une loi dure appliquée selon leurs intérêts par les pays les plus forts au nombre desquels l’Europe ne se comptera pas. Cette crainte peut s’étendre aux dispositions législatives que nous adoptons. L’abondance de normes ne doit pas être le cache-misère d’une action qui doit être toujours exemplaire.

Nous avons beaucoup légiféré ces dernières années pour renforcer les moyens de la lutte contre les flux illicites des capitaux. Nous manquons du recul pour faire le bilan complet de ces lois. Pour certains dispositifs en revanche, il existe déjà des motifs de perplexité. Tel est le cas des régimes durcissant la législation fiscale envers les États non coopératifs. Tel est aussi le cas d’un certain nombre de retenues à la source remises en cause par la juridiction européenne.

N’en ira-t-il pas de même avec le registre des trusts, qui, pour être souhaitable, reste conditionné à la bonne volonté des États étrangers ? Les conventions fiscales ont-elles toujours permis d’accéder aux informations nécessaires ? L’élargissement du dispositif TRACFIN – Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins – a-t-il abouti à une lutte plus efficace contre le blanchiment et la fraude fiscale ? Il n’y a pas jusqu’à l’accentuation très bienvenue des peines et des moyens d’investigation qui, au vu des pratiques actuelles, ne soulèvent des questions sur leurs prolongements effectifs.

La guerre contre l’évasion des capitaux est un art tout d’exécution. Nous préconisons sans doute des réformes à dimension législative. Il nous faudra d’abord réduire l’asymétrie des informations dont abusent les acteurs financiers, en élargissant les obligations de dévoilement d’informations pour certains produits, notamment d’assurances, ou pour certains schémas fiscaux – l’Assemblée nationale vient d’adopter récemment une telle disposition, contre l’avis du Gouvernement –, comme nous l’avons fait pour les comptes des banques dans les pays tiers.

En la matière, nous devrons, d’une part, veiller à ce que les choix concernant le périmètre de consolidation des banques, qui sert de référence, n’altèrent pas la portée de l’information à laquelle nous les avons obligées et, d’autre part, élargir une telle obligation à des entreprises non financières.

Le statut des lanceurs d’alerte, qui a été amélioré, tandis qu’un statut du repenti a été organisé, pourra sans doute l’être encore pour couvrir des situations plus réalistes et mieux sécuriser leurs perspectives concrètes.

Par ailleurs, il nous faut mieux formaliser l’engagement des organes sociaux sur la conformité fiscale des entreprises et associer les institutions représentatives du personnel à ces sujets.

Il conviendra également de résoudre par la voie législative un certain nombre de conflits d’intérêts, qui voient des contrôleurs placés sous la sujétion économique des contrôlés, comme c’est le cas des commissaires aux comptes, ou laissés sans statut suffisamment protecteur, comme c’est le cas des personnels chargés de la conformité dans les institutions financières.

Nous devrons également modifier la composition de certains collèges de superviseurs, qui comptent des personnalités actives dans des entreprises ayant des liens commerciaux ou financiers avec des entités soumises à leur contrôle ou à leur sanction. Il nous faudra aussi mieux responsabiliser les facilitateurs de la fraude fiscale internationale par un appareil de sanctions adaptées à leur participation à des fraudes, qui ne leur vaut aujourd’hui que l’impunité. C’est le sens de la recommandation visant à créer une infraction pour incitation à la fraude fiscale.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Éric Bocquet, rapporteur. Des moyens d’enquête supplémentaires ont été accordés au contrôle fiscal. Sans doute faudra-t-il en doter également l’ACPR, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en s’inspirant du régime prévu pour l’AMF, l’Autorité des marchés financiers.

Mais, plus que de nouvelles normes, c’est à un fonctionnement efficace des services et à leur bonne application qu’il faut s’attacher. Plus de cohésion et plus de fermeté ! Un certain nombre de dispositifs légaux sont désamorcés par des choix condamnables. Pourquoi adopter une doctrine si restrictive de détermination des États non coopératifs, dont témoigne encore la liste dernièrement arrêtée, qu’elle neutralise les régimes pénalisant les paradis fiscaux ? N’est-ce pas adresser un blanc-seing au développement de la finance offshore ? Pourquoi estimer que la Suisse, avec son secret bancaire, est un État impeccable en matière de lutte anti-blanchiment, quand de nombreuses affaires démontrent tout le contraire ? Est-il réellement acceptable que l’Autorité de contrôle prudentielle et de résolution soit liée par le secret professionnel à l’égard des services fiscaux quand elle exerce des responsabilités importantes dans le combat contre le blanchiment, notamment de fraude fiscale ? Pourquoi refuser au contrôle fiscal d’interroger TRACFIN sur des signalements dont cet organisme pourrait disposer ? Situation véritablement kafkaïenne, puisque, dans le même temps, les cas sensibles sont naturellement signalés au ministre, lequel, supérieur hiérarchique de la DGFIP, la direction générale des finances publiques, se trouve forcé à un clivage dangereux et qu’on devine pouvoir être particulièrement inconfortable en certaines circonstances. Toujours à propos de TRACFIN, ne devrait-on pas, en cohérence avec l’arrêt Talmon, lui ouvrir la faculté de saisir l’autorité judiciaire en cas de soupçons de blanchiment de fraude fiscale, plutôt que le lui interdire ?

Au-delà de ces différents aspects, il nous faut tendre vers une action opérationnelle beaucoup plus claire et résolue. Les moyens ne sont pas à la hauteur des missions. Les différentes affaires survenues ces dernières années ont absorbé une proportion considérable des ressources des services. Nous l’avons constaté. Et nous nous interrogeons sur l’adéquation des capacités de traitement des dossiers de régularisation, qui semblent devoir être dépassées en l’état des forces.

Quant au contrôle fiscal ordinaire, les moyens du contrôle d’entités, dont certaines comptent un total de bilan équivalent au PIB de notre pays, sont-ils vraiment au niveau ? De même, TRACFIN tend à être submergé par les signalements, ce qui conduit à des apurements sauvages de dossiers. Et que dire des moyens de la justice et des services d’enquête ? Combien de dossiers sont-ils abandonnés ? Je m’interroge par exemple sur le devenir des documents confiés par l’ACPR au service de la douane judiciaire concernant les personnes impliquées dans l’affaire UBS. Pouvez-vous nous informer, monsieur le ministre, des diligences effectuées et de leurs suites, au-delà de celles, connues, qui concernent les mises en examen des établissements eux-mêmes ?

On observe une insuffisance de moyens, mais aussi, parfois, une insuffisance de fermeté. Est-il vraiment inaccessible aux autorités de contrôle prudentiel, comme elles l’indiquent, de connaître finement les opérations des banques dans des juridictions où elles sont exemptes de contrôles locaux dignes de ce nom ? Peut-on se satisfaire que la seule obligation pesant sur elles, quand les mœurs locales leur interdisent de répondre aux exigences de la lutte contre le blanchiment, soit d’en informer les autorités françaises, qui doivent tout de même le savoir déjà ? Celles-ci, qui concèdent ne recourir qu’à un contrôle sur base sociale consolidée, nécessairement aveugle aux échanges intragroupes, ne devraient-elles pas mieux sanctionner les situations où le contrôle de la maison mère est manifestement défaillant ? Pourquoi, loin d’aboutir à ce résultat, un examen par la commission des sanctions de l’ACPR peut-il permettre à une grande banque française d’échapper à des griefs de ce type, au motif de l’absence d’un accord formel de coopération entre l’ACPR et son homologue, malgré le consentement ponctuel donné par celui-ci ?

La commission d’enquête a pu également relever que les contrôles effectués dans l’affaire UBS avaient été, de la part de l’ACPR, pour le moins poussifs. Je n’ai pas trouvé trace d’importants éléments de cette affaire dans les documents dont j’ai pris connaissance et par lesquels l’administration tient le fichier des personnes soupçonnées de dissimuler des avoirs à l’étranger. Il est vrai que ce fichier ne comporte pas davantage la mention de personnes dont il est avéré aujourd’hui, de leur propre aveu, qu’elles se trouvent dans cette situation.

Par ailleurs, quand sanctionnera-t-on certaines professions du chiffre et du droit, qui ne jouent pas le jeu des signalements à TRACFIN, puisque ni la loi ni la pédagogie ne semblent suffire ? Quand s’inquiétera-t-on réellement de la faible vigueur du dispositif quand des personnes politiquement exposées sont en cause ?

Je conclurai moi aussi sur la question du verrou de Bercy, ministère qui n’est malheureusement pas directement représenté ce matin, ce que je déplore. J’ai la conviction que cette anomalie, attribut d’une sorte de raison d’État fiscale, devra un jour céder.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Éric Bocquet, rapporteur. Les techniciens la défendent au nom de l’efficacité des redressements. Ce n’est pas très bon signe, puisque c’est reconnaître que notre contrôle fiscal est insuffisamment assuré sur ses bases. Est-ce par ailleurs vraiment crédible ? Entre les droits constatés et les droits recouvrés, quel est l’écart ? Il est sûr que ce monopole affecte les principes du droit. Le mépris des obligations de l’article 40 du code de procédure pénale en témoigne. Il est également sûr que ce « verrou » jette la suspicion sur l’action publique. Les quelques avancées du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale ne suffiront pas à la lever.

Le verrou de Bercy participe ainsi d’une opacité de l’action publique antifraude, qui nuit à la confiance et ne favorise pas son efficacité.

Reprenant une proposition de la commission d’enquête sur l’évasion fiscale internationale, nous souhaitons que soit créé un haut-commissariat à la protection des intérêts financiers publics répondant aux meilleures pratiques de l’évaluation. À l’heure où le Premier ministre en a appelé à la réforme fiscale, nos institutions doivent être complétées pour mieux veiller à la conformité fiscale de tous au service de l’égalité devant les prélèvements obligatoires.

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