Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

La politique fiscale du gouvernement se caractérise par un bilan négatif pour la majeure partie de la population

Débat sur les prélèvements obligatoires et leur évolution -

Par / 2 novembre 2011

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui nous occupe aujourd’hui peut être l’occasion d’une discussion de fond sur la conception de la fiscalité et de son rôle. Il prend une acuité particulière en cette période précédant l’élection présidentielle, mais aussi au moment où l’avenir de l’Europe pose de nouveau question. Je dis « de nouveau » à dessein, car, bien que certains semblent l’oublier, cette question a bien été soulevée à l’occasion d’un référendum précédent, mais il n’en fut pas tenu compte.

L’élection présidentielle devrait être marquée par le débat fiscal et social ; les positions des uns et des autres seront autant de repères pour que nos concitoyens fassent le choix de la société dans laquelle ils veulent vivre, au moment de leur vote.

Il y a toujours eu une façon particulière de concevoir la question des prélèvements obligatoires : garder les yeux rivés sur le pourcentage de ces prélèvements au regard du produit intérieur brut et fournir une interprétation ou une caractérisation de la société française dans son ensemble à mesure de la progression, ou non, d’un tel pourcentage.

Il fut un temps, pas très ancien, où le fait de dépasser les 40 % de prélèvements obligatoires suffisait pour certains à démontrer qu’un pays était entré dans une sorte de « socialisme rampant », la puissance publique sous toutes ses formes – État, collectivités locales, sécurité sociale – tendant à pourvoir à l’ensemble des besoins collectifs et individuels de la population.

Nous en sommes, dans le projet de loi de finances pour 2012, à un niveau de plus ou moins 45 %. Cependant, il ne viendrait à l’idée de personne de qualifier la politique du présent gouvernement, menée sous la direction de François Fillon et le patronage de Nicolas Sarkozy, de « socialiste ». (Sourires sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste-EELV.)

Autant le dire, la part des prélèvements obligatoires pourrait être plus élevée encore que cela ne suffirait aucunement à qualifier une politique gouvernementale.

Malgré tout, il semble bien que le taux relativement élevé de prélèvements obligatoires dans notre pays ait eu, dans la dernière période, au moins un avantage : éviter à notre pays de connaître la même récession que bien d’autres ; je pense notamment à nos voisins espagnols, quand la surchauffe et la méfiance ont commencé à contaminer les marchés financiers internationaux à l’été 2008.

Il est encore heureux que la France, avec son système de sécurité sociale, son assurance chômage, quoique imparfaite, les effets redistributifs de ses impôts, bien que fortement réduits ces dernières années, et la rigidité de son code du travail – on ne licencie pas en France aussi facilement qu’ailleurs dans le monde –, ait disposé des moyens d’éviter que la situation ne devienne par trop compliquée.

On a vu d’ailleurs combien l’absence d’une politique de santé, prise en charge solidairement par le budget de l’État, avait pesé lourd lors de la crise des subprimes aux USA.

Cela dit, ces différents « amortisseurs », comme souvent le Gouvernement les a appelés, qui ont le prix de notre système de prélèvements, n’ont pas pu nous empêcher de voir croître le chômage dans des proportions toujours inquiétantes et, surtout, se réduire l’activité économique de manière particulièrement significative.

La reprise, bien modeste, de 2010 n’aura pas duré et nous sommes sur une perspective de ralentissement de l’activité en 2012, qui pose avec une force renouvelée la question de l’évolution de nos prélèvements.

Dans le rapport qu’elle a établi au nom de la commission des finances, notre collègue Nicole Bricq, rapporteure générale du budget, nous apporte des éléments fournis, à l’appui de la démonstration critique des politiques menées depuis 2007 et, pour tout dire, durant la législature précédente. Cette politique fiscale et sociale se caractérise par un bilan négatif pour la majeure partie de la population.

La législature et le mandat présidentiel qui s’achèvent auront été marqués par le plein succès des orientations fixées par le Président de la République.

Dans un contexte de maintien et même de renforcement final de la part des prélèvements obligatoires dans la richesse créée, nous avons pu voir se réduire la contribution au budget de l’État des plus grandes entreprises ainsi que des ménages les plus aisés et les plus fortunés.

Madame la ministre, mes chers collègues, n’était-ce pas le mandat assigné à Nicolas Sarkozy par ceux-là mêmes qui l’ont soutenu et qui furent invités à fêter son élection au Fouquet’s ? Je prendrai quelques exemples particulièrement éclairants à cet égard.

Depuis 2007, le Gouvernement a supprimé la taxe professionnelle, qui constituait, depuis sa création en 1976, l’une des exigences des milieux patronaux français.

Instrument ayant servi à rassembler les plus petites entreprises aux côtés des plus grandes, alors que les secondes ponctionnent pourtant les premières en les épuisant régulièrement avec des contrats de sous-traitance léonins, la taxe professionnelle, première ressource fiscale des collectivités territoriales, fortement allégée, avait encore une certaine dynamique, même si elle pesait plus lourd sur l’activité industrielle que sur la sphère financière.

La contribution économique territoriale, appelée à la remplacer, montre ses limites. Elle annule tout effet, positif ou négatif, des politiques d’aménagement local, puisque accueillir des entreprises n’aura bientôt plus aucun intérêt sur le plan fiscal.

De surcroît, l’instauration de la contribution économique territoriale a mis à mal, quoi qu’on en dise, l’autonomie fiscale des collectivités territoriales.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Évidemment !

Mme Marie-France Beaufils. En effet, la répartition de l’essentiel, c’est-à-dire la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, est effectuée en dehors de toute décision locale, y compris s’agissant du taux d’imposition.

Il est en revanche établi que les collectivités ont perdu 11 milliards d’euros de recettes fiscales, remplacés, pour une part, par des dotations de compensation. Or celles-ci figent les ressources des collectivités sans que l’on sache si ces 11 milliards d’euros ont permis de créer le moindre emploi.

L’état de la courbe du chômage en 2011 et les prévisions pour 2012 laissent plutôt entendre que l’allégement fiscal consenti aux entreprises n’a pas eu d’effet positif.

Le front de l’impôt sur les sociétés a, également, été bien tenu.

Entre la niche Copé, l’accélération des processus de remboursement de créances, la réforme du crédit d’impôt recherche – pur exercice d’optimisation –, et jusqu’à l’allégement des provisions pour reconstitution des gisements miniers et pétroliers, accordé peu de temps avant de délivrer des permis de recherche des gaz et huiles de schiste, rien n’a échappé aux attentions du Gouvernement et de sa majorité.

En 2009, rappelons-le, il a fallu attendre le 1er juillet pour que les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés, l’IS, commencent à le payer réellement – je parle de l’IS net –, puisque les six premiers mois de l’année furent marqués par le remboursement des crédits disponibles.

Rien non plus ne fut décidé sur le bénéfice mondial consolidé avant le dernier collectif de l’année 2010, tombé un peu trop tard puisqu’il est intervenu au moment même où les dernières entreprises jouissant du dispositif n’y trouvaient plus intérêt.

Sur le fond, le produit de l’IS n’a, de manière évidente, pas connu de progression spectaculaire. Je serais curieuse de voir comment les entreprises françaises vont accueillir, le jour venu, la mise en œuvre intégrale du principe d’assiette commune de l’impôt sur les sociétés entre la France et l’Allemagne.

En 2006, l’IS rapportait en effet 47,8 milliards d’euros de recettes fiscales pour l’État, et pas moins de 50,8 milliards d’euros en 2007.

En 2008, son produit restait à un niveau important, s’élevant à 49,2 milliards d’euros, avant de connaître une sensible décrue en 2009, sur la base des éléments que je viens de rappeler, avec une chute à 20,9 milliards d’euros nets.

En 2010, on a enregistré une recette de 32,9 milliards d’euros et vous attendez un total de 40,9 milliards d’euros de rendement cette année.

Autrement dit, nonobstant la réalité économique, qui ne semble pas, singulièrement au niveau des grandes entreprises du CAC 40, montrer le moindre effondrement ni de la rentabilité ni des retours sous forme de dividendes distribués, alors que le rendement moyen de l’IS se situait à près de 50 milliards d’euros avant 2007, il s’établit aujourd’hui à environ 35 milliards d’euros.

Il y a donc, en effet, des contribuables satisfaits du passage de M. Sarkozy à la présidence de la République !

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. C’est clair !

Mme Marie-France Beaufils. De nombreux rapports, notamment de la Cour des comptes et du Conseil des prélèvements obligatoires, ont montré, s’il en était besoin, que le segment « imposition des sociétés » était mal mené dans la législation française et que la majorité d’aujourd’hui a, de fait, contribué ces cinq dernières années, à créer ce qu’il faut bien appeler un paradis fiscal !

La situation est telle que nous avons aujourd’hui, en France, un taux d’impôt sur les sociétés qui, rapporté au PIB, est inférieur à celui de l’Irlande !

Ce sont 15 milliards d’euros, en moyenne, qui sont perdus sur l’IS. Ce sont 11 milliards d’euros, même réduits d’un tiers, qui sont perdus au titre de la taxe professionnelle pour l’État. Cela fait déjà plus de 22 milliards d’euros de recettes fiscales qui sont « perdues », ce qui représente plus d’un point de PIB ! La même démonstration vaut évidemment pour les ménages.

Pour trouver de nouvelles ressources, la majorité gouvernementale avance, une fois de plus, l’idée de recourir à l’augmentation de la TVA. Elle retiendrait un taux intermédiaire de 7 %, probablement pour mieux le faire accepter. Mais, sur le fond, c’est un impôt qui pèse lourd sur les ménages les plus modestes et très lourd sur les plus pauvres.

Or, pendant cette législature qui s’achève, les familles les plus fortunées ont bénéficié de baisses d’impôts qui montrent bien, une fois de plus, le choix de société du Gouvernement.

Je ne ferai qu’évoquer ici la réforme des droits de succession dont il est évident qu’elle a surtout profité aux patrimoines les plus importants, notamment avec l’adoption du principe de transmission de plein droit et sans droits à acquitter sur la part des biens du conjoint défunt revenant au conjoint survivant.

Mme Nathalie Goulet. C’est très bien !

Mme Marie-France Beaufils. Quand le bien est une petite maison de famille à la campagne, c’est, certes, autant de soucis en moins, mais quand il s’agit d’un appartement bien situé dans Paris ou d’un manoir en Normandie, là, cela devient une excellente affaire !

M. Philippe Marini, président de la commission des finances. C’est plafonné !

Mme Marie-France Beaufils. Je pourrais aussi évoquer la véritable ouverture de la chasse à l’optimisation fiscale induite par la loi TEPA et ses articles réformant notamment les donations.

Combien de familles aisées se sont contentées de doter leurs enfants des 300 000 euros plafonnés de donation sans droits à payer ?

Combien ont ainsi tiré parti des conseils éclairés d’un notaire ou d’un conseiller en patrimoine leur rappelant que, au-delà de la donation, ce pouvait être l’ISF et, surtout, plus tard, les droits de succession qui pouvaient s’en trouver allégés ?

Pour en rester au patrimoine, comment ne pas rappeler également ce qui a été fait sur l’ISF ?

Attaqué par le dispositif ISF-PME, qui s’est rapidement transformé en pur outil d’optimisation fiscale, l’ISF a, finalement, été réduit de moitié en juillet dernier.

Mme Annie David, présidente de la commission des affaires sociales. Exactement !

Mme Marie-France Beaufils. On peut toujours chercher la moindre justification économique ou sociale d’une telle disposition, mais on peut aussi se poser la question : comme nous cherchons à trouver quelques milliards d’euros pour alléger un déficit 2012 qui s’annonce plus important que prévu, pourquoi ne pas annuler cette réforme de l’ISF ?

La cohérence politique de ce que nous avons vécu depuis l’été 2007 est donc établie : le Gouvernement a décidé de faire droit aux plus riches, aux plus grands groupes, aux entités financières, industrielles et commerciales et de faire payer les autres, tous les autres, depuis le consommateur jusqu’au patron de PME, pour retrouver, au mieux, les mêmes recettes fiscales et sociales, au pire, réduire le déficit qui se creuse.

Car là est la question. Ce pari fiscal et macro-économique n’a pas permis la relance de l’activité et le retour de la création d’emplois. Il semble même qu’il ait tendance à favoriser la récession, les comportements de rentier et le développement du chômage.

Comme il me reste peu de temps pour énumérer ce qu’il conviendrait de faire, j’aurais tendance à dire : exactement tout le contraire de ce qui a été fait depuis 2007 !

Nous aurons l’occasion, lors des débats sur la loi de financement de la sécurité sociale, comme sur la loi de finances pour 2012, de faire valoir la nécessité de repenser profondément notre fiscalité et nos prélèvements sociaux.

Donner les moyens à la sécurité sociale pour qu’elle puisse accomplir son action au bénéfice des malades, des retraités, des familles comme des personnes dépendantes, donner aux collectivités locales les outils financiers de leur action au profit des populations et redonner à l’État les moyens d’accomplir pleinement ses missions de service public et de répondre aux impératifs d’égalité entre tous les citoyens, voilà ce qui constituera notre ligne de conduite à venir.

Construire une fiscalité plus juste dans laquelle chacun contribue en fonction de ses capacités pour donner au budget de l’État les capacités de répondre à l’intérêt général, tels nous semblent être les choix qui devraient être faits pour redresser la situation de la France et améliorer la vie des habitants.

Cela passera, en partie, bien sûr, par une hausse des prélèvements, mais surtout par une meilleure répartition de la charge fiscale.

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