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Les débats

Les causes de cette crise du métier d’enseignant sont à chercher en partie du côté de la RGPP

Conditions de la réussite à l’école -

Par / 3 octobre 2012

Rapporteur de la mission d’information sur le métier d’enseignant.

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis heureuse de pouvoir vous présenter aujourd’hui les principales conclusions de la mission d’information sur le métier d’enseignant. Ces six mois d’auditions et de réflexions sur la condition enseignante contemporaine se voulaient une préparation à la refondation de l’école. Par les constats, les diagnostics et les propositions que nous avons formulés, nous voulions contribuer le plus en amont possible à alimenter le débat public, sans exclusive ni biais partisan.

Les réactions du monde enseignant, qui me sont revenues nombreuses après la publication du rapport, m’inclinent à penser que nous n’avons pas fait fausse route. Bien au contraire, nous avons mis le doigt sur des difficultés fondamentales, que la prochaine loi d’orientation devra impérativement résoudre.

Personne ne peut désormais contester la réalité de la souffrance ordinaire des enseignants. Ceux-ci sont soumis en permanence à des injonctions contradictoires, qui les empêchent de mener à bien leurs missions. Le sentiment de ne pas pouvoir « faire du bon travail », la pression des injonctions extérieures, plus ou moins légitimes, la crainte de ne pas réussir à incarner leur représentation idéale de ce que doit être un « bon enseignant », tout cela pèse sur les enseignants.

Parallèlement, les tensions au travail s’exacerbent au sein du monde scolaire, notamment avec les chefs d’établissement. De même, et l’actualité nous en donne malheureusement des témoignages dramatiques, les relations avec les parents d’élèves, eux-mêmes inquiets pour la réussite de leurs enfants, deviennent de plus en plus difficiles.

Les causes de cette crise du métier sont à chercher en partie du côté de la révision générale des politiques publiques, qui a systématiquement placé les impératifs financiers devant l’ambition pédagogique. Il faut aussi ajouter que la succession rapide des réformes a fait proliférer les missions imparties à l’école et a déplacé le cœur de métier. Enfin, de l’aveu général, la mastérisation est un échec grave, qui a fragilisé dangereusement la formation des enseignants. Nous l’avons encore redit lors de l’examen du projet de loi créant les emplois d’avenir professeur, qui constituent une mesure transitoire avant la nécessaire refonte générale de la formation des enseignants.

Que pouvons-nous faire pour redresser la situation ? Pour soigner le métier d’enseignant, il faut avant tout soigner l’école. C’est notre conviction. L’erreur centrale des réformes récentes est d’avoir brouillé le sens de l’école pour les élèves, les parents et les enseignants.

Je considère que la refondation de l’école nécessite de redonner un cap clair au service public de l’éducation et, par voie de conséquence, de l’orientation. Un mot suffit pour le définir : l’émancipation. Il faut recentrer clairement l’école sur l’objectif de démocratisation de l’accès au savoir. Nous avons assisté, sous le précédent gouvernement, à un dévoiement de la logique méritocratique, qui finit par servir de justification à la persistance des inégalités scolaires.

On avait ainsi tendance, ces dernières années, à faire de l’échec scolaire la sanction d’une supposée incapacité personnelle de l’élève, presque consubstantielle à sa nature. Nous souhaitons donc qu’on cesse de privilégier systématiquement la fonction de sélection de l’école pour remettre en avant la fonction d’éducation de tous les enfants qui lui incombe.

Laissez-moi, à ce propos, évoquer la figure de Paul Langevin, l’un des plus grands physiciens de notre pays et l’un des fers de lance de la rénovation pédagogique au XXe siècle. Rappelons qu’il présida notamment le Groupe français d’éducation nouvelle. En 1924, il remarquait déjà que « l’enfant prématurément spécialisé a trop de tendances à se renfermer dans le cadre étroit des préoccupations professionnelles où se développe l’esprit de caste ».

Notre politique d’orientation est encore aujourd’hui malheureusement trop souvent synonyme de tri social. En 1930, ce sont par anticipation les réformes Chatel de l’éducation prioritaire que Langevin condamnait en refusant, je le cite, de « puiser en quelque sorte dans la masse un petit nombre de privilégiés pour leur donner ce que jusqu’ici on a appelé la culture, pour en faire des dirigeants qui auront l’orgueil d’exercer une activité supérieure aux autres ».

Face au défi de la démocratisation, le métier d’enseignant doit être redéfini. Les pratiques didactiques et pédagogiques doivent s’appuyer sur la conviction de la capacité de tous les enfants à apprendre. Le fondement du renouveau de l’école et du travail enseignant réside, selon moi, dans le principe du « tous capables ». Il faut développer une autre vision des élèves et de leurs capacités, dénaturalisée, humaniste et ambitieuse, en adéquation avec la recherche en psychologie du développement, en sociologie et en sciences de l’éducation.

La clé de la refondation du métier réside dans la remise à plat de la formation. Nous proposons de retenir cinq grands axes.

Premièrement : garantir un cadrage national fort, pour contenir les disparités des politiques académiques et universitaires et pour améliorer leur coordination.

Deuxièmement : tenir compte de la diversité du métier d’enseignant, en veillant spécifiquement sur deux segments fragiles que sont la maternelle et le lycée professionnel.

Troisièmement : maintenir des structures spécifiques de formation des enseignants au sein des universités, tout en renforçant leur autonomie financière et leurs liens avec la recherche.

Quatrièmement : assurer une professionnalisation progressive au cours du master et rétablir une véritable année de stage avant la titularisation.

Cinquièmement : ouvrir des prérecrutements dès la licence. Un groupe de travail, animé par notre collègue Jacques-Bernard Magner, s’est d’ailleurs mis en place ce matin même en vue d’affiner nos propositions en ce domaine.

Les problématiques de formation ne s’arrêtent pas à la seule formation initiale et à l’entrée dans le métier. Il est illusoire de penser que cette mise en route, bien qu’indispensable, n’a pas besoin d’être actualisée et complétée au cours d’une carrière de plusieurs dizaines d’années. Je plaide donc pour la mise en œuvre d’une politique ambitieuse de formation continue au sein de l’éducation nationale. C’est un élément clé pour mettre en place une gestion des ressources humaines moderne et attentive aux personnes, notamment pour faciliter les fins de carrière des enseignants et les aider à surmonter l’usure. La formation continue est également essentielle pour permettre aux enseignants de prolonger leur activité dans de bonnes conditions.

Sur le plan quantitatif, il faut que le volant d’enseignants bénéficiant régulièrement d’une formation au cours de leur carrière augmente. Cela nécessite un accroissement des moyens de remplacement pour libérer les enseignants. Mais il convient aussi de transformer qualitativement les modules de formation continue, lesquels ne doivent pas se contenter de présenter les réformes en cours ou de décrypter les dispositifs nouveaux imposés par le ministère.

La solitude des enseignants a été fréquemment abordée au cours de nos travaux. Elle se traduit par un isolement individuel face à la classe, aux parents et à la hiérarchie. Elle se caractérise aussi par un émiettement du milieu enseignant où les dynamiques collectives sont bridées. C’est pourquoi il paraît important d’aménager des temps et des lieux où les enseignants pourront se rencontrer afin de réfléchir entre eux sur leur métier, hors des injonctions et des prescriptions de l’institution.

Menée sous la houlette de l’équipe de clinique de l’activité du Conservatoire national des arts et métiers, le CNAM, l’expérience de collectifs d’enseignants offre des perspectives intéressantes. Ces groupes de pairs se réunissent pour échanger sur leur travail sans aucun regard hiérarchique en surplomb. Ils ont, en particulier, le mérite de dépsychologiser les difficultés rencontrées par les participants dans leurs classes. En effet, les problèmes individuels sont réinterprétés comme des problèmes généraux, liés non à la personne de l’enseignant lui-même, mais à l’organisation du travail. Les enseignants comprennent alors qu’ils n’ont pas à tout résoudre seuls. Cette démarche va notamment à rebours de la tendance à diffuser des guides de bonnes pratiques formatées et stéréotypées, alors que la standardisation des pratiques enseignantes n’améliore pas leur efficacité pédagogique.

L’émergence de collectifs enseignants en prise sur leur métier exige de repenser le mode de fonctionnement de l’institution pour rendre plus démocratique la vie de l’éducation nationale. Il faut aujourd’hui moins d’injonction verticale et moins de prescription, mais plus de soutien et plus de respect pour le travail des enseignants.

Toute transformation du statut devrait s’accompagner d’une revalorisation de la condition enseignante, tant symbolique que matérielle. Ce statut devra contribuer à rendre visible le travail invisible des enseignants. Autrement dit, le service des enseignants devrait inclure les travaux exercés qui ne sont pas officiellement reconnus dans les textes, mais qui participent du rôle éducatif global joué par les enseignants. En revanche, la fixation d’une norme hebdomadaire d’heures de cours devant les élèves est un élément structurant qu’il paraît important de préserver. Une modulation du service hebdomadaire en fonction de la difficulté du travail pourrait être envisagée, en prévoyant, par exemple, moins d’heures de cours hebdomadaires devant les élèves pour les professeurs exerçant dans l’éducation prioritaire.

Mais la rénovation du statut des enseignants ne peut être entreprise sans transformation de la politique de gestion des ressources humaines du ministère. Elle nécessite l’élaboration, en parallèle, d’un plan d’action ambitieux pour améliorer les conditions de travail, renforcer la médecine de prévention et protéger la santé des personnels. L’accompagnement spécifique des enseignants en fin de carrière devrait également être renforcé.

Monsieur le ministre, face aux défis d’élévation des connaissances et de relance du mouvement d’émancipation, nous devons faire preuve d’exigence et d’ambition pour le métier d’enseignant, métier qui constitue l’une des clés essentielles pour, enfin, rendre effective la démocratisation scolaire.

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