Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Les impasses d’un modèle dominé par le gâchis économique

Quels emplois pour demain ? -

Par / 28 janvier 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je suis devant vous par nécessité – mes collègues Évelyne Didier et Annie David n’ayant pu se libérer –, je le suis aussi par opportunité, ma région – le Nord - Pas-de-Calais – étant particulièrement concernée par ce sujet.

Oui, les emplois de demain nous interrogent, tant nous avons déjà perdu d’emplois hier et tant nous continuons à en perdre aujourd’hui, notamment dans l’industrie.

Le conseil régional, en lien avec la chambre régionale de commerce et de l’industrie, a fait appel à un prospectiviste en vogue, Jeremy Rifkin, pour élaborer un plan directeur censé révolutionner notre région et la tourner vers un nouveau modèle économique énergétique.

Pour résumer, l’hydrogène et les imprimantes « 3D » seraient censés transformer chaque immeuble en usine et en microcentrale. C’est donc une troisième révolution industrielle que l’on nous promet, mais en réalité sûrement aussi hypothétique que la première et la deuxième, tant les processus en cause sont lents et graduels.

Ce monde idyllique, dépolitisé, relève malheureusement plus de la fable – chèrement payée, en l’occurrence, à coups de centaines de milliers d’euros – que de la prospective.

Un tel discours est au demeurant dangereux tant il nous détourne de la nécessité d’un véritable service public de l’énergie et nous exonérerait en quelque sorte de penser nous-mêmes les impasses de notre modèle économique dominé par le gâchis écologique du court-termisme et les dégâts humains, économiques et sociaux du diktat de la rentabilité maximale des capitaux.

Pourtant, cette piste des emplois verts liés aux défis de l’énergie et du développement numérique, à peine esquissée dans le rapport, mériterait des développements. Je pense, par exemple, aux potentialités d’emplois, y compris sur la production d’hydrogène en lien avec le grand port méthanier de Dunkerque.

Je pense encore au projet porté par l’association Génération Ferdinand Beghin et celle des Géants de papier solidaires visant à fabriquer sur le site de Stora-Corbehem du papier d’emballage à base de chanvre, alternative aux sachets plastiques, dans un territoire agricole où le tonnage moyen récolté est de vingt tonnes à l’hectare, contre huit en moyenne nationale.

Mais, là encore, monsieur le ministre, ce projet coopératif, transversal, se heurte aux intérêts financiers d’un grand groupe finlandais.

Je pense aussi à l’exploitation du gaz de couche – il n’a rien à voir avec le gaz de schiste –, exploitable sans fracturation hydraulique ni stimulation chimique. Cette richesse située sous nos pieds dans l’ex-bassin minier est évaluée à douze années de consommation de notre région Nord - Pas-de-Calais et a cette qualité de pouvoir être facilement captée et utilisée en circuit court pour les besoins domestiques ou industriels.

Car oui, l’industrie n’est pas un gros mot ! Et j’ai apprécié dans le rapport, monsieur le président de la délégation, monsieur le rapporteur, la piste d’une réindustrialisation moderne fondée sur des emplois très qualifiés et liés à la robotique, après des années de délocalisation et de démembrement de notre appareil de production.

Le constat est, de ce point de vue, alarmant : 300 000 emplois industriels et induits perdus en cinq ans ! Le redressement productif n’a rien changé à cette situation : l’emploi industriel a encore reculé en 2013 et en 2014.

Mais il faut pousser plus loin la réflexion.

Plutôt que de « réindustrialisation », si l’on veut aussi anticiper les emplois de demain, il serait préférable de parler de « nouvelle industrialisation ». En effet, il ne s’agit pas de reproduire un modèle qui a pour l’essentiel disparu, ni de laisser planer l’idée que notre vision consisterait à attendre de la mise en œuvre d’approches anciennes des résultats valides.

Quelles sont donc les évolutions dont nous devons tenir compte pour anticiper et, surtout, travailler à un nouveau paradigme industriel ?

J’aimerais insister d’abord sur les relations nouvelles existant entre l’industrie et les services, incluant dans ces dernières les services publics. Au lieu de les opposer, comme on le fait trop souvent encore, il convient de rappeler que les services publics sont parmi les principaux prescripteurs de la production industrielle, que ce soit dans l’énergie, le transport, la santé et bien d’autres domaines.

Il nous faut aussi appréhender la puissance et la rapidité de la révolution numérique dans le processus de production. Il en résulte un second enjeu d’importance : la nécessité d’une maîtrise sociale de ce processus afin que le progrès technologique ne se traduise pas par une explosion du chômage, mais serve au développement des capacités humaines et au progrès social.

La réduction du temps de travail est d’ailleurs un facteur important de progrès social : enjeu clé de la période à venir, elle est au cœur du débat sur l’emploi pour demain.

On ne peut oublier que, depuis plus de vingt ans que nous mettons en œuvre des politiques de soutien aux entreprises, ce n’est que durant la période d’application des lois Aubry, réduisant le temps de travail et procédant à son réaménagement, que nous avons connu une baisse significative du nombre de personnes privées d’emploi. À tel point que les créations d’emploi étaient suffisamment nombreuses pour permettre d’envisager l’équilibre des comptes sociaux et même la création d’excédents…

Enfin, tout démontre l’urgence qu’il y a à transformer en profondeur les modèles tant de production que de consommation, de mettre fin au consumérisme et au productivisme, et donc de rompre avec l’obsolescence programmée, pour orienter la production vers des objectifs de qualité, de durabilité, de modularité, créer des filières de réparation et de maintenance, concevoir dès l’origine du produit la gestion et le recyclage des matériaux, des composants et des déchets…

On le voit, tout pousse en réalité à une montée en qualification des métiers de demain. Il me semble que ce constat ne doit pas seulement être posé pour les secteurs les plus en prise avec la révolution numérique et technologique.

Ce rapport souligne à juste titre le danger d’une société à deux vitesses et le risque de polarisation avec, d’un côté, des emplois hyper qualifiés en hausse, en lien avec les innovations les plus spectaculaires, et, de l’autre, une tendance à la baisse de la qualification des ouvriers et employés, avec même une augmentation des emplois les moins qualifiés.

Nous ne pouvons pas nous résigner à une telle évolution, pour des raisons éthiques, bien sûr, mais aussi parce que ce n’est pas l’intérêt de la société, ni d’un point de vue économique, ni d’un point de vue social.

On évoque souvent, M. le rapporteur l’a fait lui-même, le secteur de l’aide à domicile comme particulièrement porteur : je vous renvoie au rapport sénatorial que j’ai cosigné avec mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe. La précarisation des salariés, à 98 % des femmes, engendre une rotation des personnels et un manque d’attractivité tels qu’ils appellent un autre modèle économique.

Mme Corinne Bouchoux. C’est vrai !

M. Dominique Watrin. Comment croire qu’il reviendrait au même de faire le ménage chez soi et d’effectuer une tâche ménagère chez une personne âgée dépendante qui nécessite, vous en conviendrez, de la psychologie, un savoir-faire et un savoir-être ?

C’est pourquoi je pose pour ma part le postulat d’une montée en qualification de tous les métiers avec bien sûr les bénéfices correspondants, en termes de reconnaissance sociale et de salaires pour les travailleurs concernés.

Ce rapport est utile, et je vous en remercie, mais n’oublions pas l’enseignement du grand scientifique et philosophe Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire ».

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