Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Où sont les femmes ?

Place des femmes dans l’art et la culture -

Par / 16 octobre 2013

Présidente et rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, que j’ai l’honneur de présider, a fait de la place des femmes dans le secteur de la culture le thème principal de ses travaux au cours de la session 2012-2013. Entre les mois de janvier et de mai dernier, douze auditions nous ont permis d’entendre le point de vue de dix-sept professionnelles de la culture représentant tout le champ de l’expression et de la programmation artistiques.

Ces travaux ont conduit à la publication, le 27 juin dernier, d’un rapport assorti de dix-neuf recommandations, que la délégation a adoptées à l’unanimité des présents. Nous sommes réunis ce soir pour en débattre ensemble, ce qui est, pour mes collègues et moi-même, une source particulière de satisfaction.

Le rapport de la délégation a mis en évidence un déséquilibre patent entre les hommes et les femmes, au détriment des femmes, dans le secteur culturel et dans la programmation des œuvres artistiques proposée au public en France. Force du « plafond de verre », faible visibilité des créatrices et puissance des stéréotypes masculins et féminins dans les médias figurent parmi les causes du déséquilibre relevé par nos travaux.

Ces constats peuvent sembler quelque peu contre-intuitifs, car le domaine de la culture est traditionnellement considéré comme accueillant pour les femmes, mais le rapport souligne bien l’« invisibilité » des femmes dans les lieux de création et les diverses manifestations artistiques.

De manière générale, on compte très peu de femmes parmi les artistes mis à l’honneur lors des grands prix, festivals, rétrospectives et autres manifestations culturelles destinées à valoriser l’excellence dans tel ou tel domaine.

En 2011, alors que ne figuraient parmi les 542 acquisitions annuelles des Fonds régionaux d’art contemporain – les FRAC – que 132 œuvres réalisées par des femmes, soit 24 %, la part des œuvres d’artistes femmes dans les acquisitions du Fonds national d’art contemporain était, elle, de 21 %.

Le prix moyen des créations des artistes femmes est inférieur de 27 % à celui des œuvres des artistes masculins, selon le premier état des lieux publié au mois de mars dernier par l’Observatoire de l’égalité hommes-femmes dans la culture et la communication.

Par ailleurs, seuls cinq centres chorégraphiques nationaux sur dix-neuf sont actuellement dirigés par des femmes : la proportion de 25 % n’a pas évolué depuis le rapport de Reine Prat remis en 2009.

Quant à l’accès des femmes aux postes stratégiques de l’administration culturelle, il existe encore en France d’importantes marges de progression : la part de femmes dans les postes de direction du ministère de la culture et des établissements publics qui en dépendent est d’environ 25 %.

De même, les femmes dirigent généralement les établissements les moins subventionnés, qu’il s’agisse des centres nationaux de création musicale, des opéras, des centres dramatiques ou des scènes nationales. Ce n’est certes pas parce qu’une femme dirige une structure que celle-ci reçoit moins de subventions, mais les statistiques montrent clairement que les femmes sont généralement nommées à la tête des structures les moins subventionnées.

Cela étant – je m’éloigne un instant du thème de l’invisibilité des créatrices –, les auditions auxquelles a procédé la délégation ont permis de mettre en évidence la banalisation de comportements sexistes dans les écoles d’art, au point que l’une des personnes reçues a dénoncé le fait que « l’éventail des comportements sexistes est large, allant de l’insulte sexiste ou homophobe jusqu’au harcèlement sexuel », ce qu’elle a d’ailleurs qualifié de « véritable fléau qui sévit dans l’enseignement artistique. »

Les données contenues dans le rapport sur la faible visibilité des femmes dans le secteur de la culture viennent d’être confirmées par une plaquette publiée par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, la SACD, qui concerne la saison 2013-2014. On y dénombre seulement 25 % de spectacles de théâtre mis en scène par des femmes, 15 % de femmes solistes instrumentistes, 20 % de textes dus à des femmes auteures dans la programmation théâtrale et seulement 3 % de femmes chefs d’orchestre.

Ce dernier pourcentage est d’ailleurs emblématique de la force des préjugés qui limitent les carrières féminines : jouer d’un instrument, oui, mais diriger un orchestre, vous n’y pensez pas !

Le titre de cette plaquette – Où sont les femmes ? – interpelle à juste titre. En effet, tout se passe comme si la tradition des « grands maîtres » revenait à limiter le contact entre les femmes artistes et le public.

Pour en revenir aux femmes chefs d’orchestre, force est de constater qu’il reste un long chemin à parcourir si l’on en juge par des propos récents du directeur du Conservatoire de Paris, relayés par un quotidien en ligne, soulignant l’incompatibilité entre maternité et profession de chef d’orchestre.

Le tableau que la délégation a présenté n’est donc pas plus favorable aux femmes que ceux qu’ont dressés les deux rapports de la mission Égalités du ministère de la culture, en 2006 et 2009, sur l’égal accès des femmes et des hommes, dans le domaine des arts du spectacle, aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion et à la visibilité médiatique. Il semblerait que, en sept ans, rien n’ait été fait pour progresser.

Je rappellerai ce soir que les statistiques mises au jour par ces rapports étaient accablantes, car elles avaient alors révélé que les hommes dirigeaient 89 % des institutions musicales et 92 % des théâtres consacrés à la création dramatique, tandis que la programmation favorisait les hommes à hauteur de 97 % pour les compositeurs, de 94 % pour les chefs d’orchestre, de 85 % pour les auteurs des textes dramatiques à l’affiche des théâtres du secteur public et de 78 % pour les metteurs en scène de théâtre.

Dans le même esprit, on s’était alors aperçu que le coût moyen d’un spectacle pouvait varier du simple au double, dans la même institution, selon qu’il était mis en scène par une femme ou par un homme.

Ces travaux avaient également souligné des inégalités majeures dans les domaines suivants : celui de la musique, où, en 2009, les femmes représentaient 44 % des musiciens interprètes, 30 % des musiciens d’orchestres permanents et seulement 20 % des solistes, et, de manière beaucoup plus surprenante encore, celui de la chorégraphie, secteur pourtant traditionnellement accueillant pour les femmes, où la proportion de directrices de centres chorégraphiques nationaux est passée, entre 2006 et 2009, de 43 % à 26 %.

Ce déséquilibre entre les hommes et les femmes ne semble pas propre à la France, puisque le Parlement européen a adopté, au mois de mars 2009, une résolution sur l’égalité de traitement et d’accès entre les hommes et les femmes dans les arts du spectacle. Cette résolution constatait que de telles inégalités laissaient « des compétences et des talents inexploités et [étaient] préjudiciables à la dynamique artistique ».

Le Parlement européen appelait donc les États membres non seulement « à lever toute entrave à l’accès des femmes à la tête des institutions et des organisations culturelles les plus renommées », mais aussi à « garantir, chaque fois que cela était possible, l’anonymat des candidatures [en maintenant] l’usage de l’audition derrière un paravent pour le recrutement des musiciens d’orchestre » afin de permettre à des candidatures féminines de prospérer. Cette dernière recommandation, vous le comprendrez, mes chers collègues, se passe de commentaire...

Il y a donc bien eu une prise de conscience ; le diagnostic d’un déséquilibre très injuste, au détriment des femmes, dans tous les secteurs de la vie culturelle et artistique a été posé.

Alors, que faire pour améliorer les choses ?

J’en viens, madame la ministre, monsieur le président, mes chers collègues, aux recommandations de la délégation. Je me bornerai ce soir à évoquer devant vous celles qui me semblent les plus importantes.

Certaines de ces recommandations s’attachent à la source du problème, qui réside dans la force des stéréotypes masculins et féminins responsables de la pérennité de représentations féminines traditionnelles défavorables, dans la culture comme ailleurs, à la promotion des femmes. Des progrès restent à faire, à cet égard, dans les médias. La délégation appelle donc à une vigilance particulière dans l’élaboration des contenus – productions et programmes – et à la désignation, dans l’organigramme de toute structure et, plus particulièrement, des chaînes de télévision publiques, des personnes ou services chargés de cette mission de vigilance.

De manière générale, la délégation a estimé utile d’intégrer la sensibilisation aux stéréotypes masculins et féminins à la formation des élèves des conservatoires, des écoles d’art et des écoles de journalisme.

Avec le problème de la pérennité des stéréotypes traditionnels, qui contribuent à décourager l’essor de trop nombreuses femmes, nous sommes confrontés, nous en avons toutes et tous conscience, à un phénomène qui dépasse très largement le thème de la culture et des milieux artistiques qui nous rassemble ce soir.

Les caricatures, les clichés et les préjugés sexistes, qui sont autant de freins aux carrières féminines, ne se limitent pas au domaine artistique. Nous touchons-là une question de société très vaste, qui intéresse évidemment le contenu des programmes de télévision, la publicité, mais aussi les manuels scolaires, la littérature et la presse enfantine et de jeunesse. Si vous me le permettez, je veux lancer ce soir une alerte au sujet des jeux vidéo et en ligne, dans lesquels les représentations des femmes sont souvent consternantes, voire choquantes, au point que le viol y est parfois banalisé.

Désamorcer ces préjugés sera un travail de longue haleine auquel la délégation aux droits des femmes ne restera pas indifférente, car il s’agit d’une question déterminante pour l’équilibre de notre société et pour l’harmonie des relations entre les hommes et les femmes.

Une autre série de recommandations vise à favoriser les candidatures féminines et à lever les freins aux nominations de femmes à des postes de direction : fixation d’un objectif de nomination d’au moins un tiers de femmes dans toutes les administrations culturelles, afin d’assurer un vivier de recrutement pour l’avenir ; encouragement des short lists paritaires et des co-candidatures pour les nominations aux postes de direction ; désignation de jurys paritaires pour tout recrutement dans le domaine artistique et culturel et sensibilisation des jurys et autres comités de sélection à la nécessité de ne pas juger les candidates différemment des candidats – trop souvent, on constate un niveau d’exigence plus élevé pour les candidates que pour les candidats, même de la part de jurys paritaires.

Certaines recommandations ont pour objet d’améliorer la visibilité des œuvres des créatrices qui, dans notre société, ont tant de mal à accéder au public. Il s’agirait de réfléchir à la création d’un « incubateur » de création, dédié aux femmes artistes, qui pourrait servir de source d’inspiration aux programmateurs de toutes les disciplines.

Pour ce qui concerne les médias, la délégation préconise de respecter une proportion d’un tiers d’œuvres, articles, émissions, etc. réalisés par des femmes. Dans cet esprit, la création d’un « prix » au féminin, qui serait attribué chaque année, par exemple, à une chaîne de télévision ou à un organe de presse qui se serait illustré par la place donnée à la création féminine, pourrait, selon la délégation, contribuer à faire bouger les lignes, si je puis employer cette expression.

Par ailleurs, il serait intéressant d’encourager les commissions de soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée à sélectionner un certain pourcentage de films de femmes, par exemple un tiers.

Cela étant, il faut aussi poursuivre systématiquement la publication de brochures et de statistiques. L’état des lieux élaboré par le ministère de la culture et de la communication, au mois de mars dernier, dans le cadre de l’Observatoire de l’égalité hommes-femmes dans la culture et la communication, a permis de faire une nouvelle fois le point. Faute de la publication régulière de tels bilans, les décideurs ont trop souvent tendance à croire l’objectif atteint au premier frémissement statistique favorable !

D’autres recommandations, enfin, concernent le harcèlement sexuel dont le rapport dénonce l’ampleur dans les écoles d’art : lancement d’une réflexion nationale sur la question, associant tous les professionnels du secteur ; généralisation de l’information des étudiants et étudiantes de tout le secteur artistique sur la question et élaboration d’une charte déontologique distribuée à tous dès leur inscription ; organisation de la procédure disciplinaire s’appuyant sur la compétence de la section disciplinaire d’un autre établissement que celui dont relèvent l’auteur et la victime présumés et sur une composition strictement paritaire de cette section.

À cet égard, je me félicite tout particulièrement que, dans le cadre de la discussion du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le Sénat ait adopté un amendement tendant à délocaliser les jurys en matière disciplinaire, en cas de poursuite pour faits de harcèlement sexuel. Je pense qu’une telle initiative honore notre assemblée.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Virginia Woolf l’a écrit : la littérature « est appauvrie, au-delà de tout ce que nous pouvons en juger, par toutes ces portes qui se sont refermées sur les femmes ». Le même regret s’applique incontestablement à la création artistique. La discrimination dont sont victimes les femmes dans tous les domaines de la culture ne concerne pas seulement l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle conduit aussi à priver le public de la richesse créatrice portée par des artistes ainsi évincées. C’est pourquoi, comme le souligne le titre du rapport de la délégation, il ne s’agit plus maintenant d’établir une nouvelle évaluation d’une situation hélas bien connue : le temps est venu de passer aux actes !

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