Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Réduire les pesticides, c’est se confronter aux intérêts mercantiles de l’industrie chimique

Pesticides et impact sur la santé et l’environnement -

Par / 23 janvier 2013

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le travail réalisé par la mission commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé et l’environnement est colossal.

Notre présidente, Sophie Primas, et notre rapporteur, Nicole Bonnefoy, en ont fait une présentation très complète, en montrant l’ensemble des problématiques liées à l’usage des pesticides, en particulier leurs effets sur la santé des utilisateurs directs et des personnes proches exposées.

Devant l’ampleur du sujet, la mission a dû laisser de côté d’autres effets négatifs des pesticides, notamment la présence de résidus dans l’alimentation humaine ou les impacts sur l’environnement. Et, pour avoir lu différents avis et études, je pense tout particulièrement aux effets des insecticides sur les insectes pollinisateurs ; je sais combien ces questions sont étroitement liées. Je réitère ici notre souhait que les autres conséquences de l’usage des pesticides soient soigneusement prises en compte.

Je partage entièrement ce qui a été indiqué par notre rapporteur sur le volet « santé humaine », s’agissant tant des constats que des solutions avancées. Je reviendrai simplement sur quelques aspects de la lutte qui s’engage aujourd’hui, afin de concrétiser la centaine de propositions qui ont été unanimement portées par la mission.

Réduire l’usage des pesticides impose des changements dans les habitudes des exploitants agricoles et dans les modes de production. À ce titre, il est essentiel de réfléchir aux pratiques agronomiques. Des solutions existent. L’INRA a, par exemple, ouvert une expérimentation mettant en parallèle des parcelles cultivées selon des méthodes intensives et des parcelles cultivées sans recours aux herbicides. Elle est arrivée au constat que cultiver sans pesticides, ou presque, sans pour autant faire chuter les rendements n’était pas une fiction.

Ainsi, dans la station expérimentale d’Époisses, en Bourgogne, l’INRA a comparé sur dix ans une parcelle de référence conduite selon les méthodes intensives traditionnelles, travail des sols et traitements herbicides, et cinq autres parcelles cultivées selon différents protocoles de protection intégrée : sans labour, sans désherbage mécanique, etc.

L’expérience montre l’efficacité de la lutte intégrée par un travail raisonné du sol, une adaptation des dates de semis des cultures et une diversification de l’ensemencement des parcelles.

Cependant, le recours aux cultures alternatives pose un problème économique lié aux débouchés commerciaux, qui ne sont pas assurés pour les exploitants. Réduire la dépendance aux pesticides, c’est donc utiliser de nouvelles pratiques agronomiques ou en réutiliser d’anciennes, mais c’est aussi réorganiser les filières et les marchés, pour accompagner la diversification des cultures.

Les débats que nous avons eus ici sur les semences fermières prennent tout leur intérêt dans la volonté de mettre en place une agriculture plus respectueuse de la santé et de l’environnement. Comme vous le savez, en station mobile de semences de ferme, le mélange de variétés est aisé et pratiqué ; il permet de diminuer significativement le recours aux produits phytosanitaires. Grâce aux sélections et aux échanges qui existent depuis toujours entre les agriculteurs, on obtient des plantes mieux adaptées aux contraintes particulières de leur environnement.

On se rend compte ici de la valeur du patrimoine naturel et du savoir-faire de générations de paysans qui nous ont livré des trésors de connaissances agronomiques.

Pour réduire l’usage des pesticides, il faut également en faire une priorité de la politique agricole commune. Il est nécessaire que la PAC encourage plus fortement, par des soutiens ciblés, à la réduction des pesticides et aux pratiques agronomiques durables, ce qui est l’objectif.

En l’état actuel des discussions, la Commission propose, au titre du « verdissement » du premier pilier de la PAC, d’accorder un paiement additionnel représentant 30 % de l’enveloppe nationale en direction de l’agriculture biologique ou pour les agriculteurs qui respectent de bonnes pratiques : mettre en place 7 % de surfaces d’intérêt écologique dans les exploitations, y compris les haies, les bosquets, les talus, les mares, diversifier les cultures pour favoriser les rotations et maintenir les prairies permanentes.

Or ces exigences ont été assouplies par l’introduction de mesures équivalentes qui ne sont pas vraiment définies à l’heure actuelle. Peut-être pourrez-vous nous en dire davantage, monsieur le ministre. Nous sommes un peu inquiets : jusque-là, la PAC a favorisé une agriculture intensive forte consommatrice de traitements chimiques contre les bioagresseurs.

Réduire les pesticides, c’est se confronter aux intérêts mercantiles de l’industrie chimique. Cela fait déjà plus de quatre ans que le plan Écophyto 2018 est en place, avec un objectif de réduction de 50 % de l’usage des pesticides. La réduction devrait porter à la fois sur les volumes et sur la toxicité des molécules.

Et pourtant, l’utilisation de produits phytosanitaires reste en hausse : plus 2,6 % en 2011. Les enjeux économiques sont considérables et freinent malheureusement les efforts pour atteindre les objectifs de protection de la santé et de l’environnement.

Je pense ici à l’avis récent de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’EFSA, qui reconnaît les effets néfastes sur les abeilles de trois matières actives présentes dans des insecticides de la famille des fameux néonicotinoïdes.

Dans le même temps, une publication du Forum Humboldt pour l’alimentation et l’agriculture financée par Bayer CropScience et Syngenta, défend, quant à elle, les néonicotinoïdes. Je cite le rapport : « Sur une période de cinq ans, l’Union européenne pourrait perdre près de 17 milliards d’euros, 50 000 emplois dans l’ensemble de l’économie, et plus d’un million de personnes engagées dans la production arable en souffriraient. » On comprend bien pourquoi les grands groupes de l’agrobusiness tentent d’associer semences et traitements et d’interdire le droit de ressemer sa récolte.

Dans ce contexte, nous sommes particulièrement attachés aux propositions de la mission d’information visant à « éviter le brouillage provoqué par les conflits ou les liens d’intérêts » et à « organiser un contrôle public effectif de l’innocuité des pesticides autorisés ».

Il est essentiel de séparer la prescription et la vente de pesticides et d’assurer des expertises indépendantes, dépourvues de tout lien avec les intérêts privés concernés par les sujets traités. Il est fondamental d’organiser l’effectivité du contrôle public sur les pesticides autorisés et, bien sûr, d’encourager la recherche publique.

À titre d’exemple, la direction de l’environnement du conseil général des Côtes-d’Armor note dans son dernier numéro la présence de deux substances interdites dans nos cours d’eau : le diuron et l’atrazine.

Je voudrais maintenant aborder le volet social, notamment la prise en compte de la protection des travailleurs agricoles.

Premièrement, la reconnaissance des maladies professionnelles en agriculture a pris du retard.

Les maladies professionnelles liées aux pesticides qui sont reconnues dans le régime général devraient l’être dans le régime agricole. Sur ce point, le Gouvernement peut agir très vite : il s’agit simplement de compléter une liste. Peut-être pourrez-vous nous apporter des précisions sur ses intentions à ce sujet.

Deuxièmement, il est important d’accorder une attention particulière aux salariés agricoles qui, comme vous le savez, sont très souvent en situation de précarité.

L’exemple costarmoricain des salariés de Triskalia montre bien combien le parcours juridique des victimes d’intoxication est long et difficile.

Force est de constater que, pour 50 %, le travail salarié agricole est du travail saisonnier. Ces salariés sont particulièrement exposés aux pesticides du fait d’une sous-évaluation des risques liés à ces produits, à la non-conformité des machines servant notamment à l’épandage, ou à la vétusté des équipements de protection, quand ils existent. Ils interviennent souvent juste après l’épandage de pesticides, parfois même sous un épandage aérien. Or, comme cela a été souligné pendant les auditions, les études sur la dangerosité montrent que les personnes qui travaillent dans ces conditions sont les plus exposées.

Les salariés agricoles recrutés par l’Office français de l’immigration et de l’intégration et maintenant, de plus en plus, par des sociétés étrangères d’intérim agricoles, sont encore plus fragilisés. D’abord, ils ne connaissent généralement pas leurs droits, car leur éloignement et les modalités d’embauche dans le cadre de l’intérim rendent difficiles les contrôles de l’inspection du travail. Cette pratique « du travail sans travailleur », qui se généralise au nom de la rentabilité, est particulièrement grave en termes d’impact sur la santé

Et comment protéger des salariés qui parfois ne savent pas lire ? C’est un challenge lorsque l’on connaît déjà les lacunes des salariés nationaux en matière d’information. Je pense, ici, par exemple, au document unique d’évaluation des risques pourtant obligatoire, mais souvent inexistant sur les exploitations agricoles !

De plus, comment suivre ces salariés sur le long terme, comment leur assurer une protection sociale ? De quelle prise en charge peuvent-ils bénéficier lorsqu’ils déclarent des années plus tard des maladies professionnelles ?

Enfin, troisièmement, je me réjouis de ce que je considère comme une évolution très positive, au regard des débats qui avaient eu lieu, ici, en décembre 2011, sur le périmètre de l’action de groupe.

En effet, les auteurs du rapport reconnaissent « l’intérêt d’un tel dispositif pour la protection de la santé face aux dangers des pesticides ». C’est pourquoi, forts de ce consensus, nous allons déposer sur ce sujet une proposition de loi qui reprendra le dispositif voté par le Sénat, sur proposition d’ailleurs de notre collègue Nicole Bonnefoy, mais en l’élargissant à des litiges autres que ceux du droit de la consommation ou de la concurrence.

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