Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Une impasse financière généralisée

Situation financière des conseils départementaux -

Par / 3 mars 2015

La situation financière des départements mérite bien d’être débattue au Sénat, tant elle est aujourd’hui alarmante. C’est un sujet majeur pour les habitants, l’activité économique et les territoires.

Depuis des années, les élus locaux, par le biais de leurs associations, notamment l’Assemblée des départements de France, ne cessent de dénoncer l’effet ciseaux résultant de l’écart croissant entre les dépenses et les recettes budgétaires.

Depuis des années également, l’État, contrairement à l’esprit des dispositifs de décentralisation, ne compense plus intégralement les transferts de compétences. Dans le même temps, les dispositions mises en œuvre par les différents gouvernements n’ont cessé de réduire l’autonomie financière des collectivités, particulièrement celle des départements, au point de les enfermer dans un carcan qui les fragilise durablement.

Aujourd’hui, la contribution de 11 milliards d’euros imposée aux collectivités territoriales dans le cadre du plan de réduction de 50 milliards d’euros de la dépense publique, s’ajoutant aux réductions déjà décidées en 2014, conduit tout particulièrement les départements dans une impasse financière généralisée.

Les études, évaluations et projections menées récemment, que ce soit par les membres de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation à la fin de l’année 2014, ou l’ADF, début 2015, pour ne citer que ces deux structures, en attestent : toutes constatent des détériorations déjà visibles, et évoquent, démonstrations à l’appui, des situations financières « insoutenables » à court terme.

D’ores et déjà, certains départements ou communes ne sont pas encore parvenus à équilibrer leur budget pour 2015, ou le font au prix d’une remise en cause drastique de services publics utiles aux habitants.

Dans ce contexte de régression des dotations de l’État, les départements sont particulièrement touchés par la conjonction de trois facteurs.

Il s’agit, d’abord, de l’évolution des allocations individuelles de solidarité, dont l’État a confié la charge aux départements, sans que ces derniers disposent d’une quelconque marge de manœuvre, puisque ces allocations relèvent de normes nationales. Parmi celles-ci, le RSA connaît une progression considérable, qui suit celle du chômage, tandis que se creuse davantage encore l’écart entre le montant de cette allocation et les compensations financières de l’État.

La croissance, en 2013, de la charge nette de l’allocation RSA pour les départements est saisissante. L’Observatoire national de l’action sociale décentralisée en témoigne : « Concrètement, la charge restant à financer par les départements après compensation de l’État s’élève à 2,3 milliards d’euros en 2013, alors qu’elle était de 1,5 milliard d’euros l’année précédente. »

Nous ne disposons pas encore des données nationales pour 2014. Mais, dans le Val-de-Marne, le versement du RSA a connu l’an dernier une augmentation de 17 millions d’euros, soit plus de 8 %, passant de 192 millions d’euros à 209 millions d’euros. L’écart entre les allocations versées et les compensations de l’État a dépassé les 90 millions d’euros. Au total, le montant cumulé annuellement des non-compensations de l’État des allocations individuelles de solidarité atteint la somme de 672 millions d’euros, soit le même ordre de grandeur que l’encours global de la dette du département.

Deuxième facteur de tension, une part non négligeable des recettes des départements s’appuie sur des ressources fragiles, car dépendantes de la conjoncture, et de surcroît difficiles à anticiper. Il s’agit des droits de mutation, de la taxe d’aménagement et de la CVAE.

Cette dernière, créée en remplacement de la taxe professionnelle, s’avère particulièrement inéquitable et imprévisible. Elle est inéquitable à l’égard des entreprises elles-mêmes, car elle a très peu bénéficié aux PME et TPE. Si elle a permis une économie globale de quelque 6 milliards d’euros, ce sont principalement les grandes entreprises qui ont été gagnantes. Elle est aussi inéquitable à l’égard des territoires : inégalement répartie, elle représente selon les départements un apport de 37 euros à 400 euros par habitant, soit un rapport de un à dix.

Enfin, les diverses réformes intervenues ont progressivement privé nos départements de leur autonomie fiscale. C’est particulièrement marquant depuis la réforme, en 2011, de la taxe professionnelle, puisque ces collectivités ne disposent plus désormais que du levier du taux de la taxe foncière sur le bâti.

Aujourd’hui, de très nombreux départements sont en grande difficulté budgétaire, y compris pour assumer leurs seules compétences obligatoires. Il est par conséquent urgent de réorienter les choix présidant aux dangereuses évolutions annoncées.

Car à quoi tout cela conduit-il ? Certainement pas à un redressement des comptes publics de la nation ! La réalité démontre que les coupes sombres déjà opérées sur les finances des collectivités n’ont pas empêché la dégradation des finances publiques et de la dette.

Cela ne conduit sûrement pas non plus à une amélioration des finances des collectivités. Celles-ci, faut-il le rappeler, sont globalement saines : leur budget est obligatoirement équilibré et leur endettement est à ce jour marginal par rapport à celui de l’État. En revanche, leurs lourdes contraintes budgétaires tendent à dégrader rapidement leur taux d’épargne brut et leur capacité de désendettement, les menant au risque du surendettement et du déséquilibre.

Cela ne conduit pas davantage à une amélioration de la situation économique : actuellement, la plupart des collectivités se trouvent dans l’obligation de réduire non seulement l’emploi public, mais aussi l’investissement, affectant gravement l’activité du secteur du BTP, notamment, dans lequel des centaines de milliers d’emplois sont en jeu.

Enfin, tout cela ne favorise pas le déploiement et l’efficacité des services publics de proximité. L’augmentation du chômage et de la précarité tout comme la dégradation du pouvoir d’achat de nombreuses familles appellent non pas la réduction de services, mais plus de solidarités, d’initiatives et d’innovations publiques.

C’est donc bien la question d’une réorientation radicale des choix politiques et budgétaires qui est posée, pour préserver les capacités d’action de nos départements, dont peu de monde conteste aujourd’hui l’utilité sociale et économique.

Ainsi, le RSA constitue pour les départements une charge financière particulièrement lourde. En même temps, ces derniers n’apportent ni plus-value ni visibilité aux bénéficiaires de cette allocation. Dès lors, pourquoi l’État n’en reprendrait-il pas intégralement la gestion ?

S’agissant des recettes, la redéfinition d’un impôt économique plus juste et plus transparent pourrait être engagée. Encourageant l’emploi et le développement solidaire des territoires, il pourrait être modulé en fonction de la masse salariale et de la valeur ajoutée de l’entreprise.

Par ailleurs, le principe de la libre administration des collectivités appelle le rétablissement de leur autonomie fiscale.

En outre, rappelons que les contraintes imposées aux collectivités pourraient être largement compensées par des dispositifs de justice fiscale, parmi lesquels l’instauration d’une taxe de 0,5 % sur les actifs financiers qui rapporterait 30 milliards d’euros.

D’autres propositions mériteraient bien entendu d’être étudiées. Quoi qu’il en soit, elles dépendent de choix dont les fondements politiques peuvent se révéler opposés. Soit l’État s’acharne, sous la pression de la Commission de Bruxelles, à s’inscrire dans le processus dévastateur de réduction de la dépense publique et conforte le système actuel, qui pèse fortement sur les départements et les oblige à sacrifier leurs politiques publiques, malgré quelques mesurettes marginales. Soit s’affirme la volonté, responsable mais résolue, de faire de l’action et des investissements publics les leviers de la relance économique, de la satisfaction des besoins humains et du développement des territoires. Une telle orientation suppose l’existence de collectivités de proximité fortes et reconnues dans leur existence, leurs compétences et leurs ressources. C’est particulièrement vrai pour les départements, dont les missions sont au cœur des cohésions sociales et territoriales.

Mon groupe s’inscrit avec détermination dans cette seconde hypothèse.

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