Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Urgence pour France Télévisions

Application de la loi relative à la communication audiovisuelle -

Par / 10 mai 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, chacune, chacun d’entre vous, nous voici donc au deuxième acte de l’examen en paroles de la situation financière de l’audiovisuel public. Le 5 mai dernier, la commission de la culture a été saisie d’une proposition de loi du groupe CRC-SPG visant à sauver celui-ci. Elle a décidé que ce texte ne serait pas examiné, donc pas mis au vote. Le groupe Union centriste a demandé la tenue d’un débat sur la même question ce 10 mai, qui ne débouchera bien sûr pas sur un vote final.

Le 20 mai, nous serons sollicités pour avaliser la décision du 5 mai de la commission de la culture, mais toujours sans qu’intervienne un vote sur le fond. Le 4 juin se tiendra un quatrième rendez-vous sur ce sujet à partir des questions cribles demandées par nos collègues socialistes sur le thème « médias et pouvoir », mais il n’y aura toujours pas de vote. Et pendant ce temps perdure la situation caractérisée en ces termes le mercredi 4 avril 2007, lors de la rencontre « Mon engagement pour la culture » organisée par M. Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République : « Il faut être ambitieux pour notre télévision, et notamment pour les chaînes publiques. C’est un fait, l’audiovisuel public est actuellement sous-financé. […] Il existe un débat sur le financement, y compris entre nous. Il y a les partisans de l’augmentation de la redevance. Je sais que c’est une des moins chères d’Europe, mais, dans mon programme, je ne tends pas vers une augmentation des impôts, théoriquement. Et il y a l’accès aux ressources publicitaires. » On connaît la suite : la suppression de la publicité annoncée unilatéralement par le candidat devenu Président lors de ses vœux pour 2008.

Tout cela a un parfum d’Ancien Régime.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel n’a validé, le 3 mars 2009, la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, « que sous cette réserve » : la suppression de la publicité sur France Télévisions doit être compensée chaque année sous peine d’affecter son indépendance.

Je rappelle que la Cour des comptes a estimé, le 14 octobre 2009, que « la situation financière actuelle et prévisionnelle du groupe est très fragile ».

Je rappelle que le Conseil d’État, le 11 février 2010, a annulé l’ingérence du pouvoir exécutif dans les prérogatives du législatif et du conseil d’administration de France Télévisions qui, le 5 janvier 2010, fut obligé d’appliquer la loi, avant même son examen par le Sénat, qui devait commencer le 7 janvier 2010.

Or aujourd’hui, la réserve expresse formulée par le Conseil constitutionnel n’est pas respectée, et je crains sa non-prise en compte dans le budget pour 2011, avec ses dépenses « gelées » en valeur, c’est-à-dire ne suivant pas l’inflation, qui ont été annoncées voilà deux jours par M. Fillon.

Or aujourd’hui, que vont faire l’Élysée et le Gouvernement de la remarque de la Cour des comptes selon laquelle « les questions liées au périmètre du groupe, au nombre des chaînes publiques et aux genres qui sont représentés ne sauraient être exclues de l’évaluation de la réforme » ? En bon français, c’est de la privatisation de tout ou partie de la télévision publique qu’il s’agit.

Or aujourd’hui, si le conseil d’administration de France Télévisions a tiré les leçons de l’arrêt du Conseil d’État, en votant, parlementaires compris, la suspension sine die de la privatisation de la régie publicitaire, notre assemblée étire incompréhensiblement le calendrier du débat, devenu vaines parlotes, au point qu’est donnée l’impression que nous nous faisons à nous-mêmes ce que M. Sarkozy nous a fait lors de son « coup » du 5 décembre 2008.

Je ne veux pas être un « parlementaire-commodité », utilisé, détroussé de ses droits devenus mirages. Nous devons rejeter le management, la « gouvernance », comme on dit, qui nous construit en purgeant le conflit de nos débats. Je sais trop bien, avec Pierre Legendre, que « la paix gestionnaire est une guerre », dans laquelle « le droit des affaires est la pointe avancée du management ».

Allons-nous nous satisfaire de diagnostics toujours remis ou allongés au lendemain ? Je sais que notre collègue Mme Morin-Desailly est chargée d’une mission de contrôle au titre de laquelle elle a déjà reçu cinquante-huit personnes. Je sais que le Gouvernement, qui n’a pas mis en place les groupes de travail prévus pour assurer le contrôle et le suivi, s’est engagé, lors du dernier conseil d’administration de France Télévisions, à faire le point, « son » point, pour l’automne. Ces atermoiements, selon moi, ne doivent pas durer. Imaginez un médecin appelé au chevet d’un citoyen et remettant sans cesse au lendemain son diagnostic, donc sa médication, au prétexte que le meilleur soin sera disponible dans six mois !

Pour ma part, je déclarais devant la commission Copé, dès le 21 mai 2008 : « Au plan financier, la télévision publique n’est pas assurée de son avenir. C’est comme si les parents d’un enfant avaient décidé de ne plus le reconnaître. Aucune entreprise privée n’accepterait la situation faite à France Télévisions. »

Puisque j’évoque le privé, rappelez-vous quand le lobby Bouygues-TF1 s’est mis en marche contre notre décision de taxer la publicité. Par deux fois, il est intervenu, malgré le passage de l’heure glissante à l’heure d’horloge, malgré les sept minutes par heure de publicité, devenues neuf, malgré la seconde coupure publicitaire dans les œuvres patrimoniales, malgré son achat à bas prix de deux chaînes de la TNT ! Et la majorité du Sénat a accepté, quasiment en urgence, que le taux de cette taxe soit ramené, pour l’année dernière, de 3 % à 0,5 %...

Pourquoi l’urgence pour Bouygues-TF1, sans la réalisation d’aucune étude, et la longue durée pour France Télévisions, enferrée dans des débats de commissions qui ne débouchent pour l’heure sur rien, à ceci près que le mal continue à se faire…

J’ai dit devant la commission de la culture les arguments qui justifieraient l’urgence pour France Télévisions. J’ai entendu des propos identiques, prononcés par plusieurs parlementaires de la majorité, et non des moindres, lors de la table ronde organisée par la nouvelle commission culturelle de l’Assemblée nationale, le 7 avril dernier.

Oui, il faut transformer la longue durée en urgence, d’abord parce que Bouygues-TF1, malgré un vrai redressement, continue de contester la taxe sur la publicité et a saisi la Commission européenne de cette question, ensuite parce que l’Europe a tout contesté : la taxe de 0,9 % sur les opérateurs de communication électronique, qui représente 400 millions d’euros ; la nature de la dotation budgétaire de 450 millions d’euros attribuée par l’État à France Télévisions en 2009 ; le régime de TVA appliqué aux FAI, taxe qu’elle souhaite voir passer de 5,5 % à 19,5 %, notamment dans le cas des abonnements triple play, ce qui priverait la création audiovisuelle française de 60 millions à 100 millions d’euros ; enfin, l’aide envisagée par l’État pour le développement du « global media », sous prétexte qu’il s’agit d’un marché concurrentiel dont les ressources doivent être de caractère privé.

Bref, l’ensemble des modalités de compensation de la publicité est contesté. L’État lui-même a réduit de 35 millions d’euros les 450 millions que nous avions votés, sanctionnant ainsi, au lieu de les récompenser, les « performances » réalisées par France Télévisions.

C’est sur ce terrain financier, entièrement fragilisé – de 800 millions à 1 milliard d’euros sont en question –, qu’intervient le plan dit de « non-rigueur » de MM. Sarkozy et Fillon. Sera-t-il appliqué à France Télévisions en 2011, et comment ? Que signifie « geler » en la circonstance ? Un exemple : le Sénat a décidé, et il a été suivi, une indexation de la redevance ; que va-t-il se passer ?

Monsieur le ministre, vous avez déclaré hier sur France 2 que, en situation de crise, « la culture est d’autant plus indispensable, elle donne des repères ». Je vous suis, mais les repères financiers autoritaires du Gouvernement ne vont-ils pas estomper les repères de l’esprit, de la pensée et de la création, si décisifs ? Pierre Legendre dit que « l’homme symbolise comme il respire ». Or, ces temps-ci, monsieur le ministre, il respire mal ! Va-t-il aussi symboliser mal ?

Alors, conserver la partie diurne de la publicité, c’est la moindre des choses, c’est sage, comme on dit en langage sénatorial. Ce serait faire preuve de courage que d’oser affronter enfin la finance, la foi dans l’infaillibilité supposée des marchés – cette expression a une nuance comique ! –, comme s’ils étaient de nature les maîtres du monde. Les citoyens et leurs représentants ne peuvent accepter d’être des invités de raccroc face au fondamentalisme financier qui assène des réponses pour endormir les questions.

J’ai lu récemment un très dynamique ouvrage dû à Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie : La justice sociale face au marché total. Il y a beaucoup à emprunter à ce livre, qui évoque la première Déclaration des droits à vocation universelle proclamée à Philadelphie le 10 mai 1944. Ce texte pionnier entendait faire de la justice sociale l’une des pierres angulaires de l’ordre juridique international. J’y pense beaucoup en m’adressant à vous au sujet des finances de l’audiovisuel public.

Lors de sa rencontre avec le Président des États-Unis Barak Obama, le Président Sarkozy, à Columbia University, a eu ces mots : « Nous, les chefs d’État, nous sommes comme des chefs d’entreprise. » Eh bien non ! Il me souvient que lors de la discussion du projet de loi de Catherine Tasca relatif à la création de la holding France Télévisions, en 1989, Nicolas Sarkozy, alors député, avait déclaré à l’Assemblée nationale : « L’indépendance des présidents de chaînes publiques est évidemment une exigence de caractère constitutionnel. » Il n’était pas chef d’entreprise à ce moment !

Mes chers collègues, nous sommes près du trou noir, et je ne dramatise pas ! Ne jouons pas les Diafoirus, ne remettons pas au lendemain de la revoyure ce que nous pouvons faire aujourd’hui. Ne pensons pas que les personnels, dans leur diversité, feront l’appoint d’une partie du budget manquant.

Si l’envahissement publicitaire est un mal, le sacrifice de l’indépendance de France Télévisions n’est pas un remède. Comme l’a dit notre collègue Claude Belot, qui ne siège pourtant pas du même côté que moi dans cet hémicycle, « le secteur public est en train, sans que l’on s’en rende vraiment compte, de changer de statut : il passe de celui de référence obligée, aussi bien du point de vue de l’audience et de la qualité, à celui d’offre de complément, au risque de saper la légitimité de sa configuration comme de son financement ».

Ne nous laissons pas gagner par l’impuissance démissionnaire ! Il faut en finir avec « la piètre gestion d’un dossier sensible mettant en cause l’avenir du service public de l’audiovisuel », a dit le Conseil d’État.

Je demande à la commission de la culture qu’elle revienne sur son refus de débattre de la proposition de loi du groupe CRC-SPG qui, notamment, tend à maintenir la publicité diurne.

Je pense, d’ailleurs, que ce refus de débat met en cause l’initiative parlementaire et les droits de l’opposition constitutionnellement établis.

Nous avons été bafoués par le Gouvernement dans ce dossier. Nous avons obtenu réparation par la décision du Conseil d’État. Ne restons plus sans vote sur cette question, qui intéresse fondamentalement le service public auquel nous sommes tant attachés !

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