Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Ce traité amoindrit toute entrave au commerce, même quand l’intérêt général est en jeu

Conditions de mise en oeuvre du CETA -

Par / 20 novembre 2018

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mon groupe a souhaité ce débat sur les conditions de la mise en œuvre du CETA, ce traité de libre-échange conclu entre l’Union européenne et le Canada, pour une raison, somme toute, assez simple : il règne une grande opacité autour de ce traité de nouvelle génération ; opacité dans sa négociation, dans sa mise en œuvre, quant à ses effets et, enfin, dans l’échéance de sa ratification.

En effet, ce traité n’est pas un accord commercial comme un autre. Il ne se contente pas, pour faciliter les échanges, de diminuer puis de faire disparaître les droits de douane – ce qu’on appelle les barrières tarifaires. Non, son enjeu majeur est de viser également à amoindrir toutes les entraves existantes au commerce, même lorsqu’est en jeu l’intérêt général, avec notamment nos services publics, notre santé et l’environnement. C’est ce que l’on appelle les barrières non tarifaires.

Ce débat devient urgent, car de nouveaux traités sont en préparation, avec Singapour, le Mercosur, le Vietnam, l’Indonésie, ou encore le JEFTA ; il y en a quinze sur la table. Or, pour débattre en toute connaissance de cause, nous avons besoin d’études d’impact sérieuses sur ce type de traités, dont nous ne connaissons pas encore suffisamment les effets.

Je parlais d’opacité ; le CETA a été négocié à Bruxelles, au troisième sous-sol, par la Commission européenne de 2006 à 2014. Même si, depuis lors, nous avons gagné en transparence sur les mandats de négociation, avec notamment leur publication sur le site du Parlement européen,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Tout à fait.

M. Fabien Gay. … et même si l’Union européenne a toute compétence pour ces négociations depuis le traité de Lisbonne, la question de l’association des parlements nationaux reste, selon nous, un enjeu majeur.

Le CETA, signé le 30 octobre 2016, est entré en vigueur de manière provisoire le 21 septembre 2017 pour sa partie relative aux barrières tarifaires. Nous devions nous prononcer sur la question des barrières non tarifaires, car celles-ci modifient profondément les législations européenne et nationale. Or comment serait-il possible d’appliquer un accord sur la partie tarifaire sans que la partie non tarifaire en soit affectée ?

Par exemple, nous venons d’adopter la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dont les mesures restent pourtant, selon nous, assez timides, au travers de laquelle nous demandons à nos agriculteurs un mieux-disant social et environnemental. Or, du côté canadien, les experts insistent sur l’absence de garanties concernant les farines animales, les antibiotiques comme activateurs de croissance, l’étiquetage des produits contenant des OGM et le type et les niveaux de pesticides autorisés. Le Canada autorise encore quarante-six substances actives qui ont été interdites depuis longtemps dans les autres pays.

On nous objectera, monsieur le secrétaire d’État, que les quotas d’importation de viande de bœuf – 35 000 tonnes– et de porcs – 75 000 tonnes – ne sont pas atteints, mais ce n’est en rien surprenant, les hormones étant autorisées dans l’élevage au Canada ; la mise en place d’une filière sans hormone, destinée à l’export, prend du temps. Pour autant, « sans hormones » ne signifie pas sans antibiotiques ni sans mauvais traitements. De plus, l’Union européenne et le Canada ne sont pas d’accord sur la reconnaissance automatique de leurs standards phytosanitaires. Enfin, les contingents canadiens atteindront leur plein potentiel en 2023, conformément à cet accord.

Il s’agit d’une concurrence déloyale pour notre agriculture et de la mort, à terme, de notre agriculture paysanne. Vous le savez, il est impossible de préciser sur l’étiquette si le bœuf est ou non traité aux hormones. Comment savoir, par exemple, si le saumon nourri aux OGM de la société AquaBounty ne se retrouvera pas un jour dans nos assiettes ?

Les risques ne sont donc pas écartés, et nous ne pouvons pas ne pas les évoquer. Nous parlons de risques, mais le climat est le grand oublié de ce traité. Un rapport commandé par les gouvernements prévoyait une hausse des émissions de gaz à effet de serre, du fait de l’augmentation de 7 % du trafic maritime entre l’Europe et le Canada, et de la promotion des investissements dans des industries polluantes, telles que celle du pétrole issu des sables bitumineux. Sommes-nous donc toujours coincés dans la logique « pas chez moi, mais ailleurs, pas de problème, allez-y, polluez ! » ? Nous bannissons ou nous atténuons ici des pratiques pour les encourager ailleurs, en les cautionnant par l’importation !

Alors que les émissions de gaz à effet de serre ont de nouveau augmenté en 2017, de 3,2 %, nous voudrions poursuivre ce mouvement destructeur ? Cela n’a absolument aucun sens.

Nous n’avons pas non plus de nouvelles concernant le veto climatique annoncé voilà un an.

Bref, les incohérences sont flagrantes, sans parler de l’actualité, comme le forage offshore ou le projet Montagne d’or en Guyane. Votre slogan, c’est définitivement : « Make our business great again ».

Mes chers collègues, je m’adresse maintenant à vous ; jusqu’à quand allons-nous laisser l’exécutif nier aux parlementaires le droit de se prononcer sur le CETA ? Ce traité a été ratifié du côté canadien et par le Parlement européen. Chacun des États membres devait ensuite le ratifier, ce qu’ont fait la Lituanie, la Lettonie, le Danemark, la Croatie et le Portugal. En France, la ratification devait intervenir un an après la mise en œuvre provisoire. Nous y sommes, et pourtant aucune date à l’horizon !

Même situation en Italie, où le Gouvernement avait indiqué son opposition au traité. Pour autant, il tarde, sous la pression de l’Union européenne, à le soumettre à ratification. Est-ce pour cette raison, monsieur le secrétaire d’État, que nous n’avons pas encore eu à nous prononcer ? Pour laisser le temps au gouvernement italien de trouver les moyens d’approuver ce traité, afin de ne pas compromettre son adoption ? En effet, rappelons-le, il suffit qu’un seul des États membres le rejette pour que cet accord tombe de lui-même. Monsieur le secrétaire d’État, une vraie question : quand aurons-nous la date de la ratification de ce traité ?

J’irai même plus loin, nous, sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que les parlementaires européens communistes, des associations et des citoyens, proposons d’organiser un référendum sur le CETA (Marques de scepticisme sur les travées du groupe Les Républicains.), après une période de débat public et de réelle information des citoyens, qui doivent pouvoir décider en toute connaissance de cause. Un choix qu’il s’agirait de respecter véritablement, contrairement à ce qu’il s’est passé en 2005. Nous proposons même que ce soit l’un des enjeux des prochaines élections européennes, et peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous l’inclure dans le clip de propagande gouvernementale que vous diffusez actuellement ? (Sourires sur diverses travées.)

Enfin, je veux terminer sur une question, mes chers collègues, qui peut, je crois, malgré nos différences et nos désaccords, nous réunir et vise les tribunaux d’arbitrage privés, qui seront au-dessus des États et donc de leurs lois, ce qui nous concerne en tant que citoyens, mais aussi en tant que législateur. Allons-nous laisser les multinationales attaquer nos États et nos lois, celles que nous votons ici pour défendre les Françaises et Français, notre agriculture, nos entreprises, notre modèle social ?

L’association Les Amis de la terre a récemment révélé qu’une entreprise canadienne, Vermillon, avait menacé l’État français de poursuites sur le fondement d’un autre accord de protection des investissements pour amoindrir, avec succès, la portée de la loi Hulot sur la fin de l’exploitation des hydrocarbures. Je sais que cette loi a fait débat, mais je suis certain que chacun a à cœur que la décision que nous avons adoptée ne soit pas remise en cause par le pouvoir économique, car cela signifierait la fin du pouvoir politique. La société de demain doit-elle être administrée par les entreprises GAFAM et par les multinationales ? Si c’est le cas, démissionnons et déplaçons l’hémicycle dans leurs conseils d’administration, cela ira plus vite !

Nous vous proposerons, mes chers collègues, de nous opposer ensemble à cette disposition.

Si Mme la présidente me le permet, j’aimerais finir par une citation qui dure quelques secondes.

Mme la présidente. Allez-y, monsieur Gay.

M. Fabien Gay. Elle a cent soixante-dix ans, mais, à mon sens, elle est toujours d’actualité : « en général, de nos jours, le système protecteur est conservateur, tandis que le système du libre-échange est destructeur. Il dissout les anciennes nationalités et pousse à l’extrême l’antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat. En un mot, le système de la liberté commerciale hâte la révolution sociale. C’est seulement dans ce sens révolutionnaire, messieurs, que je vote en faveur du libre-échange. »

M. André Gattolin. Karl Marx !

M. Fabien Gay. Les mots sont de Karl Marx, et je les fais miens aujourd’hui.

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