Ces milliards envolés facilitent le recrutement des groupes terroristes
Opération Barkhane -
Par Michelle Gréaume / 9 février 2021Comme le disait mon collègue Pierre Laurent, nous pensons que la France doit changer de braquet au Sahel. Nous arrivons au bout de notre modèle d’action fondé avant tout sur le militaire, malgré des concepts comme les 3 D ou le continuum sécurité-développement. Se pose dès lors la question de nos perspectives en matière de développement et de diplomatie.
Le 10 décembre dernier, le bureau du conseiller spécial pour l’Afrique de l’ONU, ses représentations permanentes de l’Afrique du Sud et du Nigéria ainsi que l’Union africaine ont présenté une nouvelle note sur les flux financiers illégaux en Afrique. Ce document, s’appuyant sur la feuille de route de Lusaka, prise sur l’initiative de l’Union africaine en 2016, dresse un tableau essentiel de la situation et des objectifs à atteindre.
Ainsi, les flux financiers illégaux participent chaque année à la fuite de 88,6 milliards de dollars du continent. Cette somme représente presque autant que les rentrées annuelles combinées de l’APD et des investissements étrangers en Afrique ; ce sont autant de milliards d’euros qui maintiennent les États dans une situation de sous-développement et aggravent la pauvreté, facilitant d’autant le recrutement des groupes armés terroristes et créant des conflits entre les communautés.
Parmi les recommandations de ce document, on retrouve des éléments centraux, comme la suppression des paradis fiscaux offshore, qui permettent un accès rapide aux richesses illégalement acquises, mais aussi un renforcement des dispositifs de restriction de circulation des armes.
De plus, la question de l’opérationnalisation du fonds spécial de l’Union africaine pour la prévention et la lutte contre le terrorisme est posée.
Enfin, cette feuille de route fait de la lutte contre la corruption, du renforcement institutionnel des États et du renouvellement des élites politiques une priorité.
L’ensemble de ces préconisations, faites par et pour les Africains, sera-t-il activement soutenu par la France ?
M. le président. Il faut conclure, chère collègue !
Mme Michelle Gréaume. À ce titre, le prochain sommet de N’Djamena peut-il être l’occasion de réunir les moyens de le rendre opérationnel ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Madame la sénatrice, la question que vous abordez n’est pas spécifique au Sahel, même si le Sahel, comme les autres régions d’Afrique, est concerné par ce phénomène gravissime que constituent les flux financiers illicites.
Vous avez raison de citer le rapport de la Cnuced, qui met l’accent sur ces dérives considérables et ces trafics inacceptables. À notre avis, l’enjeu, c’est la mise en œuvre de la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), conçue par l’Union africaine pour que l’Afrique puisse assurer une meilleure capacité de développement et un contrôle des flux.
Dans ce cadre, nous n’avons pas à nous substituer à l’Union africaine, qui a reconstitué ses organes internes la semaine dernière et qui doit se saisir de ce dossier pour garantir la transparence des flux financiers.
Nous avons d’ailleurs la même exigence pour ce qui concerne la corruption et la sécurité des flux financiers. À cet égard, pour en revenir au sujet de notre débat, nous sommes très attentifs à ce qui se passe au Sahel : l’ensemble des bénéficiaires d’aides doivent faire l’objet d’un criblage de sécurité avant de recevoir les aides en question. C’est un travail compliqué à mettre en œuvre, mais c’est une absolue nécessité pour éviter les dérives.