Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

L’OTAN est unilatérale et anachronique

Situation et rôle de l’OTAN -

Par / 12 décembre 2019

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre groupe a demandé ce débat sur l’OTAN au lendemain de l’offensive turque menée dans le nord-est de la Syrie avec l’aval des États-Unis. Ce jour-là, deux pays piliers de l’OTAN trahissaient ouvertement leurs alliés au sein de l’Alliance, dont la France. Cette décision américano-turque avait notamment pour conséquence le lâche abandon des Kurdes, que nous avons tous ici dénoncé.

Je remercie la conférence des présidents d’avoir, avec l’accord du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, M. Christian Cambon, inscrit rapidement ce débat à l’ordre du jour.

Depuis, la déclaration du président Macron sur la « mort cérébrale de l’OTAN », les réactions dans l’Union européenne à cette déclaration et le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Londres la semaine dernière et qu’a conclu une déclaration finale plus belliqueuse que jamais, adoptée à l’unanimité, ont souligné l’urgence d’un tel débat.

Devant l’ampleur des défis historiques de la période, le Parlement ne peut se contenter d’être spectateur. Le Sénat s’honore de mener ouvertement cette discussion. J’espère que cela encouragera la tenue d’un débat politique de toute la société française sur des choix stratégiques pour la Nation.

Les inquiétudes de notre groupe, qui étaient déjà très vives quand nous avons demandé l’organisation de ce débat, sont renforcées par les résultats du sommet de Londres. En donnant une définition de plus en plus floue et extensive de la menace terroriste, conformément aux souhaits des États-Unis et de la Turquie, en déclarant, par ailleurs, que « les actions de la Russie constituent une menace pour la sécurité euro-atlantique » et en présentant, pour la première fois, la montée en puissance de la Chine comme un défi pour l’OTAN, celle-ci, au travers de son profil stratégique, confirme sa visée offensive, épouse les thèses de l’administration américaine et relance la course aux armements.

En confirmant la mise en œuvre de « l’initiative pour la réactivité », le secrétaire général, Jens Stoltenberg, a annoncé que, en 2020, l’OTAN serait en capacité de mobiliser, en moins de trente jours, 25 000 soldats, 300 avions de chasse et 30 navires de combat issus des différentes armées. Mais pour quelles nouvelles aventures militaires ? Là est le danger.

Je dirai pourquoi, en s’enfonçant dans cette stratégie agressive, l’OTAN constitue, à nos yeux, une alliance militaire et politique unilatérale et anachronique, inadaptée aux enjeux du XXIe siècle et dont il faut viser la dissolution. Je sais que cette condamnation globale n’est pas la position de nombre des membres de notre assemblée, mais je suis certain que nous pouvons ne pas nous en tenir à un face-à-face stérile et incantatoire et que, au-delà de nos divergences politiques, nous partageons des éléments de diagnostic et d’inquiétude sur la crise, voire sur les impasses de l’OTAN, ainsi que des interrogations nouvelles sur son avenir. Le débat est donc possible, utile et nécessaire.

En 1989, après la chute du mur de Berlin, une occasion majeure de repenser l’architecture de la sécurité collective mondiale a été gâchée. Non seulement aucune conséquence n’a été tirée de la fin de la raison d’être historique de l’OTAN, organisation née de la guerre froide, mais la thèse de la « fin de l’histoire » a alors aveuglé beaucoup d’analystes, qui n’ont cru qu’au triomphe du système capitaliste, de son leadership américain et de son corollaire, l’extension sans fin de la domination de l’Alliance et de son bras armé. Rien n’a été perçu, à l’époque, du nouveau monde pluriel qui s’annonçait et qui est celui du XXIe siècle.

Aujourd’hui, dans un contexte de bouleversements inédits, de crise de l’OTAN, d’unilatéralisme américain, une seconde chance de réfléchir à ces questions se présente. Allons-nous la gâcher elle aussi ?

La lecture du monde qui nous est le plus souvent proposée, une nouvelle fois légitimée par le sommet de l’OTAN, est celle de la peur. Les attentats terroristes, éminemment condamnables et inquiétants, servent cette vision. Cette idéologie de la peur ne s’accompagnant pas d’analyses justifie une conception toujours plus belliqueuse et expansionniste de l’OTAN.

Cette vision du monde est, à nos yeux, anachronique et dangereuse. Elle ignore la nouveauté des grands défis du monde actuel.

Premièrement, les besoins de développement d’une partie croissante de la planète, toujours tenue en marge par le système actuel d’inégalités mondiales et par la domination de quelques pays, peu nombreux, sur la gouvernance de la mondialisation, sont immenses. Les soulèvements populaires survenant dans de nombreux pays montrent, d’ailleurs, le besoin d’un nouvel ordre du monde, plus juste et plus solidaire.

Deuxièmement, les révolutions climatiques, démographiques et numériques appellent le partage et les biens communs, contre la confiscation des richesses par le jeu des puissances étatiques ou multinationales.

Enfin, une exigence accrue de démocratie, de souveraineté et de dignité pour tous les peuples, et non plus seulement pour quelques-uns, s’exprime.

Je veux ainsi montrer l’inadaptation profonde de l’OTAN à s’ériger en gendarme du monde. Dans cette mondialisation, dans ce monde globalisé tissé d’interdépendances croissantes, la construction de la paix mondiale, avant d’être une question sécuritaire et militaire, est aujourd’hui une grande question sociale. Ce n’est plus la puissance qui offre la sécurité : c’est l’inclusion sociale mondiale, or c’est elle qui fait le plus défaut.

Pour avancer vers une mondialisation plus humaine, plus juste, plus respectueuse de la planète, la voie multilatérale est la seule qui vaille, contre la tentation du cavalier seul et des nationalismes comme celle du minilatéralisme du G7 ou de tout autre directoire ou club de riches.

À cet égard, la question du climat et la COP nous montrent la voie, mais cela est aussi vrai pour les questions sociales, économiques et financières. En effet, les enjeux centraux de la sécurité sont ceux de la sécurité humaine, dans toutes ses dimensions. D’ailleurs, le premier moteur des entrepreneurs de violences, terroristes, étatiques, mafieux ou prédateurs de richesses, est la misère. Nous le voyons aujourd’hui au Sahel. Comme le dit Bertrand Badie, plutôt que de relations internationales, il faudrait désormais parler de « relations intersociales » pour penser notre politique extérieure.

Nous sommes au bout des logiques de puissances. Les camps, les alliances, les blocs sont derrière nous. Nous devons penser les relations internationales et de sécurité à partir d’un multilatéralisme conséquent, et non de façade, avec une ONU renforcée, avec une politique de partenariats régionaux et internationaux plus mobiles et plus fluides.

L’Alliance atlantique ne nous aide pas à avancer dans cette voie ; elle nous entrave et nous confine à des politiques de confrontation toujours plus risquées.

Ainsi, au moment où l’OTAN renforce son potentiel d’intervention extérieure partout sur la planète, quel bilan faisons-nous des interventions militaires menées par ses forces, en Afghanistan, au Kosovo, en Irak, en Libye, en Syrie ? Partout, des pays ravagés, la dissémination de la violence et du terrorisme, l’instabilité accrue. Où est la sécurité promise ? Au Sahel, pour les mêmes raisons, notre intervention militaire est menacée du même enlisement, des mêmes échecs, du même rejet.

Quant aux politiques de développement censées prendre le relais, elles ne sont nulle part à la hauteur des défis. Le pillage économique continue. L’aide au développement piétine, alors que les dépenses militaires s’envolent. La France elle-même se retrouve dans cette situation, avec une loi de programmation militaire en augmentation, une loi de programmation de l’aide publique au développement dont l’inscription à l’ordre du jour parlementaire est sans cesse repoussée et des ventes d’armes au beau fixe…

Parlons aussi des dépenses d’armement dans le monde, dont l’OTAN est aujourd’hui le premier accélérateur, avec la politique américaine dite de « partage du fardeau ». Grâce à l’objectif des 2 % du PIB pour les dépenses militaires des pays membres, objectif insensé à l’heure où tant de besoins sociaux s’expriment, l’escalade a repris, pour le plus grand bénéfice, en particulier, des industries de défense américaines. Tous nos efforts, y compris ceux de la France, en Europe, sont tendus vers cet objectif, alimentant les dangers de prolifération – pas seulement nucléaire – que nous prétendons combattre par ailleurs. Alors que vole en éclats l’accord entre les États-Unis et la Russie sur les armes stratégiques intermédiaires, où sont les initiatives politiques de relance de la désescalade ? Quid de l’échéance majeure que devrait constituer, en 2020, la conférence d’examen, à l’ONU, du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires ? Que fait la France ? L’OTAN nous tire vers l’escalade. À quand des initiatives pour nous tirer vers la désescalade ?

Parlons enfin de nos relations avec la Russie. Le Président de la République semble décidé à engager un nouveau dialogue. C’est le bon sens, mais à quoi rime alors notre soutien sans faille à la politique d’extension sans fin du front est de l’OTAN ? Les plus grandes manœuvres de l’OTAN sont dirigées contre la Russie. Je pense notamment aux manœuvres annoncées au sommet de Londres, « Defender 2020 », qui conduiront au déploiement de troupes venues des États-Unis, débarquant en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne pour se diriger vers les frontières de la Russie, en traversant l’Europe orientale. Est-ce ainsi que la France conçoit la reprise du dialogue avec la Russie ?

Est-ce ainsi que la France conçoit la défense européenne ? Mes chers collègues, permettez-moi de conclure mon propos sur cette question essentielle. Le président Macron a justifié sa sortie sur la « mort cérébrale de l’OTAN » par la nécessité de réveiller les Européens. Mais pour aboutir à quoi, au juste ?

Que peut bien signifier une défense européenne, a fortiori une défense européenne pilier de l’OTAN, alors que quasiment tous les pays européens et la Turquie, dont je rappelle qu’elle occupe toujours la moitié du territoire d’un pays membre de l’Union européenne, à savoir Chypre, appartiennent à cette organisation et augmentent leurs dépenses militaires afin de « partager le fardeau », d’accroître l’interopérabilité des forces et de rendre les Américains maîtres unilatéraux des décisions stratégiques opérationnelles ?

De deux choses l’une : ou la France reste embarquée dans ce projet sous leadership américain, et les lourdes questions soulevées par Emmanuel Macron resteront lettre morte, ou nous ouvrons sérieusement le débat sur un nouveau système de sécurité collective en Europe. Pour notre part, nous proposons, depuis une dizaine d’années, que soit relancé le processus d’élaboration d’un nouveau traité paneuropéen de sécurité et de coopération – une sorte de conférence « Helsinki 2 ».

Enfin, la France devrait à nouveau se poser la question de sa sortie du commandement intégré de l’OTAN, pour ne pas risquer d’être confrontée à des contradictions grandissantes.

Voilà, mes chers collègues, monsieur le ministre, quelques-unes des lourdes questions qui nous semblent devoir être soulevées si nous ne voulons pas ranger au rayon des simples phrases-chocs sans lendemain la déclaration du Président de la République sur la « mort cérébrale de l’OTAN ».

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