Le très haut débit doit entrer dans le champ du service universel
La crise du Covid-19, un révélateur de la dimension cruciale du numérique dans notre société -
Par Éliane Assassi / 27 mai 2020Je remercie nos collègues du groupe Union Centriste pour la tenue de ce débat, qui soulève de multiples enjeux et touche principalement et intrinsèquement au lien entre l’individu et la collectivité, à l’heure où le droit à la mobilité et la liberté d’aller et venir se sont trouvés restreints.
Comment continuer à apprendre, à comprendre, à travailler alors que l’on est assigné à résidence ? Les fractures et les inégalités se sont indéniablement trouvées renforcées.
À l’heure de la mondialisation libérale, une telle situation a bousculé nos certitudes et nos habitudes. Il convient de dresser un inventaire et de proposer des pistes d’action.
Tout d’abord, il est clair que le numérique, ou plutôt l’accès au numérique, est apparu pour ce qu’il est : un pan essentiel du service public de la communication et de l’information. Pour cette raison, nous demandons, malheureusement sans succès jusqu’à présent, l’intégration du très haut débit au service universel. Nous espérons que, à la lumière de cette expérience, la définition du service universel pourra évoluer.
L’ensemble de nos concitoyens doivent pouvoir accéder au numérique. C’est un droit qui conditionne l’accès à l’enseignement, au travail, à la santé, aux loisirs, à la culture et à l’information. Pourtant, aujourd’hui, les progrès restent trop faibles en matière de raccordement, puisque près de 15 % du territoire est mal couvert. Les objectifs définis par les opérateurs sont rarement respectés, faute de véritables sanctions. Les collectivités territoriales, qui assument une part majeure de l’investissement dans les réseaux d’initiative locale, ne sont pas suffisamment soutenues.
Mes chers collègues, lorsque je veux « démontrer » la faillite des politiques de privatisation, je prends toujours cet exemple : en privatisant France Télécom, l’État s’est privé de la rente du cuivre, qui aurait permis de financer le déploiement de la fibre sur l’ensemble du territoire.
L’investissement public a, une nouvelle fois, été détourné au profit d’actionnaires, à contresens de l’intérêt général. Cela devrait nous interpeller et nous conduire à placer sous protection publique les réseaux à très haut débit, dont l’accès est si important pour nos concitoyens. Toutes les infrastructures de communication, qu’elles soient routières, aériennes ou numériques, doivent être sous maîtrise publique ; cela comprend les aéroports, les autoroutes, mais aussi la fibre.
Cette crise doit également nous amener à nous interroger sur nos modèles d’aménagement urbain. Le logement, structure de base de l’habitat, mais aussi, et de plus en plus, du travail, ne peut plus être à ce point le parent pauvre des politiques publiques. Puisque les liens sont plus forts que les lieux, la structure première qu’est le logement doit redevenir une priorité des politiques publiques, au même titre que l’enseignement.
Sur ce sujet, nous avons pu voir comment le numérique a renforcé les fractures à l’école. Lors de l’annonce de la fermeture des établissements d’enseignement, Jean-Michel Blanquer et Frédérique Vidal ont promu la « continuité pédagogique ». Deux mois et demi plus tard, on ne peut que voir les failles d’une telle démarche.
En voulant simplement transposer l’enseignement de la classe à la maison par le biais de l’ordinateur, sans donner les outils nécessaires aux enseignants, l’éducation nationale n’a fait que creuser les inégalités entre les élèves : inégalités d’accès aux outils informatiques et à un débit convenable, inégalités de maîtrise des outils et du travail en autonomie, inégalités d’environnement de travail et d’accompagnement.
Le retour à l’école n’a pas profité aux jeunes en difficulté, alors que c’était l’objectif affiché. À ce titre, il est impératif que la rentrée de septembre serve à rattraper le retard et à raccrocher les 5 % à 8 % d’élèves totalement « perdus », soit entre 600 000 et 960 000 jeunes.
Le numérique, indispensable outil d’apprentissage à l’école lorsqu’il s’appuie sur un véritable encadrement pédagogique, ne pourra remplacer ni la présence dans les établissements scolaires ni l’apprentissage de la vie sociale et collective. Il serait dangereux d’utiliser cette crise pour déshumaniser le service public de l’enseignement.
Enfin, l’un des faits les plus marquants de cette crise est la généralisation du télétravail.
La violence de l’épidémie a entraîné une évolution immédiate des méthodes de travail pour des milliers de salariés, de travailleurs indépendants et de professionnels libéraux. Rappelons toutefois que nombreux sont celles et ceux qui ont continué, sans se protéger, à se rendre sur leur lieu de travail pour assurer, en particulier, la continuité du service public ou maintenir la chaîne alimentaire. Il faut les saluer une nouvelle fois.
Le télétravail a longtemps été plébiscité et souhaité par de nombreux travailleurs, quand leur métier pouvait s’y adapter, mais ils ont souvent et rapidement déchanté au vu des conditions imposées depuis le 16 mars. La permanence du télétravail, la nécessité de garder les enfants, l’impréparation en termes de formation et de matériel ont parfois transformé cet épisode de travail à la maison en un cauchemar.
Comme l’indiquait un expert dans un article récent, « les salariés parlent d’abandon, de solitude, de surcharge cognitive liée au trop grand nombre d’informations à traiter, de surcharge de travail, d’un sentiment d’être surveillé à l’excès par les managers, des difficultés à coopérer avec les collègues et de l’impossibilité de concilier vie privée et vie professionnelle ». D’ailleurs, de nombreux cas de détresse psychologique sont recensés.
Les salariés confrontés à des difficultés de transport et au stress de la vie urbaine aspirent à passer moins de temps au travail. Dans cet objectif, le télétravail doit être organisé dans le respect des droits et selon des plages horaires précises, avec des remparts contre le harcèlement numérique.
Mais ne faut-il pas se dégager de cette problématique en promouvant le partage du travail, comme en Nouvelle-Zélande tout récemment, et en développant la semaine de quatre jours et de trente-deux heures ? La véritable nécessité, pour l’humanité, est non pas de maintenir ou de renforcer le temps de travail sous des formes renouvelées, comme le télétravail, mais de le partager et de le réduire.
Pour conclure, s’il a permis de maintenir dans une mesure significative le fonctionnement de notre société, le numérique a aussi révélé des inégalités criantes. C’est sur ce point que je voulais insister dans mon propos.