Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Les débats

Le TSCG est sans existence légale

Caducité du Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance -

Par / 9 mai 2019

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais commencer ce débat, demandé par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste, par un constat éclairant :

« La réforme de la zone euro est à nouveau à l’ordre du jour. Parmi les pistes envisagées, l’évolution des règles budgétaires devrait figurer en tête de liste. Celles-ci ont en effet engendré une austérité budgétaire excessive pendant la crise, aggravant et prolongeant ses conséquences économiques, sociales et politiques […]. Ces règles souffrent en outre de graves problèmes de mesure : elles sont basées sur un concept légitime, le solde public structurel, mais celui-ci n’est pas observable et fait l’objet d’importantes erreurs d’estimation ».

Ces quelques lignes, mes chers collègues, n’émanent pas d’une analyse du parti communiste. Non, cette prise de position est celle du Conseil d’analyse économique !

Elle nous appelle clairement, plus de vingt-cinq années après le traité de Maastricht, plus de dix ans après l’explosion de la profonde crise du capitalisme en 2007, à remettre en cause l’inefficacité et l’injustice de l’encadrement des politiques budgétaires nationales. Or une occasion unique de le faire se présente depuis que, en décembre dernier, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, est devenu caduc, sans existence légale, à la suite du refus du Parlement européen de l’entériner dans le droit européen.

Cet événement essentiel est pourtant étonnamment passé sous silence par notre gouvernement, alors même que nous sommes en pleines élections européennes et que l’injustice fiscale et les conséquences de l’austérité sont largement mises en cause dans notre pays.

Dans tout l’arsenal « austéritaire » mis en place par les gouvernements à l’échelle européenne, le TSCG, signé en 2012, tient une place particulière. Résultat de la collaboration entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, il fut au cœur de la campagne présidentielle de 2012 et, malgré les promesses de renégociation faites par François Hollande devant les Français, il fut signé sans qu’une ligne en fût changée.

Nous avions dénoncé ce déni de démocratie, ainsi que les dangers de ce corset budgétaire, et démontré à l’époque au Parlement européen les problèmes de légalité posés par ce traité. En effet, le TSCG poussait comme jamais à l’encadrement et au contrôle constitutionnel ou quasi constitutionnel de l’action publique et budgétaire des gouvernements nationaux. En cela, il s’oppose frontalement à la tradition républicaine d’une souveraineté parlementaire sur les dépenses de la Nation.

Des mécanismes de contrainte de la dépense publique avaient déjà été imposés avec les règlements two pack et six pack. Mais le TSCG porte, lui, une atteinte inédite à la souveraineté, au travers de trois éléments centraux : premièrement, son article 3 introduit la règle d’or, au travers du respect d’un déficit structurel de l’État membre ne dépassant pas l’objectif à moyen terme qui lui est propre, dans la limite de 0,5 % du PIB ; deuxièmement, la soumission à des recommandations du Conseil européen et, au titre de l’article 7 du TSCG, l’établissement d’une majorité qualifiée inversée au Conseil pour échapper à ces recommandations ; troisièmement, la soumission du contrôle de ces recommandations dans les budgets nationaux à la Commission européenne.

Aujourd’hui, les conséquences de ces politiques d’austérité sont connues ; elles sont dramatiques. Elles ont signé l’abandon de toute ambition de politique publique en Europe, pourtant si nécessaire à la réduction des inégalités, comme à la conduite de long terme des indispensables transitions industrielles et écologiques.

Socialement, le bilan est très lourd. Ainsi, quelque 87 millions d’Européens vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, et les inégalités explosent.

Politiquement, l’impasse est lourde et, partout, produit des monstres. La bête noire de nationalismes xénophobes resurgit dans toute l’Europe, et l’abstention s’annonce comme la grande gagnante des élections européennes à venir.

Dans l’Europe des années trente, le philosophe Edmond Husserl le disait déjà : « Le plus grand danger pour l’Europe est la lassitude. » En 2019, il s’agit de la lassitude face aux mécanismes d’austérité, mais aussi face à un avenir sans cesse plus obstrué. Nous ne nous résignons pas à cette dangereuse lassitude.

Nous proposons donc de nous saisir d’une situation exceptionnelle dans l’édifice juridique européen : la caducité avérée du TSCG. La vérité doit être dite aux Français : depuis décembre 2018, soit moins de six mois, la France et les autres États européens ne sont plus liés par les dispositions du TSCG. La règle d’or, le mécanisme de majorité inversée et la soumission des budgets à la Commission ne sauraient plus constituer des obligations juridiques s’imposant aux États membres de la zone euro.

Je veux prouver ce que nous affirmons, car nous savons que les dogmatiques de l’austérité vont s’accrocher à ces politiques pourtant partout rejetées en Europe.

Tout d’abord, le TSCG n’est pas un traité de droit européen et ne l’a jamais été. À l’image du mécanisme européen de stabilité, il constitue un outil de droit international, soumis, par conséquent, aux règles coutumières de ce dernier.

Si le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne est, au titre de son article 356, conclu pour une durée illimitée, tel n’est pas le cas du TSCG, traité « temporaire » dont le caractère transitoire découle de son article 16, qui fixe un délai de cinq ans maximum pour sa transposition en droit européen. Or ce délai est épuisé, et il n’y a pas eu de transposition.

Dans la proposition de directive soumise en décembre 2018 par la Commission, le caractère transitoire est rappelé avec clarté : « Les parties contractantes ont exprimé leur volonté d’utiliser cet instrument intergouvernemental comme dispositif temporaire. Cette volonté est reflétée à l’article 16 du TSCG, qui prévoit que, « dans un délai de cinq ans maximum à compter de la date d’entrée en vigueur dudit traité, les mesures nécessaires sont prises afin d’intégrer le contenu du traité dans le cadre juridique de l’Union européenne. »

Ce caractère transitoire a aussi été remarqué par le Conseil constitutionnel français. Dans le propre commentaire de leur décision 2012-653 DC relative au TSCG, les Sages déclaraient ainsi clairement : « Ce traité a une vocation transitoire. »

Or, si en vertu de l’article 55 de notre Constitution, les engagements internationaux ratifiés et approuvés sont applicables et supérieurs aux lois, la jurisprudence a, à de nombreuses reprises, souligné qu’une telle situation ne trouvait à s’appliquer que dans la mesure où ces engagements étaient régulièrement ratifiés et toujours en vigueur.

La situation de caducité du TSCG est donc clairement établie. Au terme des cinq ans, la commission des affaires économiques du Parlement européen s’est opposée à la proposition de directive de la Commission européenne transposant le TSCG en droit européen ; il s’agit clairement, dans la procédure législative européenne, d’un refus, qui, normalement, doit mettre un terme au projet de la Commission.

Du point de vue du droit international, la situation est claire : dans le cas de traités conclus pour une durée déterminée, ceux-ci cessent d’être applicables dès qu’ils sont arrivés à expiration, sans qu’une dénonciation soit nécessaire.

J’entends l’autre objection que vous pourriez nous opposer : une loi organique ayant été votée en France, le droit interne suffirait donc à soumettre les budgets nationaux à la règle d’or.

C’est oublier deux choses essentielles. D’une part, l’enjeu de la caducité du TSCG dépasse les seules frontières nationales et engage l’ensemble de l’Europe. D’autre part, la transposition du TSCG en France ne s’est pas faite – c’est le moins que l’on puisse dire – sans réticence des parlementaires ou des juges nationaux. Il n’y a pas eu de réforme constitutionnelle, et le déficit structurel de 0,5 % du PIB n’a pas été inscrit, stricto sensu, dans la loi organique.

Dans ce cadre, aucune disposition constitutionnelle ne saurait plus nous obliger à respecter un objectif de moyen terme de 0,5 % de déficit structurel. Une telle position est, par ailleurs, en cohérence avec l’avis formulé par le Conseil d’État relatif à la loi de programmation 2009-2011.

Mes chers collègues, avec la caducité du TSCG en Europe, c’est l’un des mécanismes structurants de la conception de l’encadrement des politiques publiques qui est mis en cause. En France, c’est la conception qui préside aux lois de finances pluriannuelles qui est contestée.

Alors que nos citoyens, nos travailleurs, nos PME, nos agriculteurs, nos artisans, nos services publics sont étranglés par les politiques d’austérité, nous devons saisir cette occasion historique. La France doit prendre la tête du combat pour libérer l’Europe des mécanismes de contrainte, qui ont étouffé l’activité économique, enrichi les actionnaires et appauvri les peuples et les nations.

L’Europe fait face à des défis cruciaux, industriels, économiques, informationnels. Ces derniers ne pourront être atteints sans l’engagement de la puissance publique, sans de réels mécanismes de coopération budgétaire en Europe.

J’ai rappelé ici il y a quelques jours, en présence du ministre Bruno Le Maire, nos propositions pour la création d’un fonds de développement des services publics et pour la refondation des missions de la Banque centrale européenne au service d’un nouveau développement social, industriel et écologique.

Le vide juridique laissé par la caducité du TSCG doit nous libérer des multiples instruments de contrainte budgétaire qui ont violé les souverainetés nationales en Europe. D’autres traités de droit international peuvent être négociés pour, enfin, mettre sur rail une nouvelle union des peuples et des nations libres, souverains et associés.

Mes chers collègues, déjà en son temps Voltaire s’interrogeait : « La vieille Europe, elle ne revivra jamais ; la jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? » À l’approche de ces élections européennes, qui se révèlent cruciales pour l’avenir de notre continent, donnons enfin une réponse qui soit à la hauteur des enjeux que nous affrontons dans notre époque.

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