Nous avons besoin d’un État stratège, capable d’identifier les secteurs d’avenir
Comment faire face aux difficultés de recrutement des entreprises ? -
Par Céline Brulin / 25 juin 2020Il peut paraître anachronique de parler aujourd’hui de difficultés à recruter, quand près de 900 000 emplois sont menacés de disparition dans notre pays. Mais les gâchis pointés par le rapport d’information sont dus en particulier à l’absence de politique industrielle depuis trop longtemps en France : la crise sanitaire a aussi mis en évidence les conséquences de cet état de fait.
Mener une politique industrielle commande de développer notre offre de formation, comme le soulignent les auteurs du rapport d’information. De ce point de vue, le sort réservé aux lycées et à l’enseignement professionnels est inquiétant : moins d’heures d’enseignement général, moins d’enseignements professionnels, des programmes tirés vers le bas, autant d’éléments laissant présager une dégradation de cette voie de formation. Voilà de quoi renforcer la critique, un brin orientée, selon laquelle l’éducation nationale ignorerait tout du monde de l’entreprise...
La réforme de l’apprentissage que vous avez engagée, madame la ministre, renforce ces craintes. En effet, confier cette voie aux seules branches professionnelles laisse place à une vision court-termiste en matière de formation, alors qu’il faut préparer nos jeunes à évoluer tout au long de leur carrière.
Nous nous inquiétons aussi pour le maillage territorial des centres de formation d’apprentis, jusqu’ici assuré par les régions : il va inévitablement se rabougrir, écartant un certain nombre de jeunes de ces formations. D’ores et déjà, des entreprises alertent à cet égard.
Nous avons besoin de tout l’engagement de la puissance publique, d’un État stratège capable d’identifier les secteurs d’avenir et de développer les formations adéquates.
Enfin, il est très intéressant que les auteurs du rapport d’information soulignent que la multiplication des CDD conduit à une dépréciation des compétences. Ce phénomène touche particulièrement les jeunes, qui commencent souvent leur carrière par des contrats courts. Il me paraît donc opportun d’inciter, voire de contraindre, les entreprises à embaucher en CDI : qu’envisagez-vous en ce sens, en particulier dans le contexte actuel, où l’État apporte un soutien financier à un certain nombre de secteurs et d’entreprises ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la sénatrice Céline Brulin, nous n’opposons en rien les voies de formation les unes aux autres. Au contraire, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, et moi-même travaillons main dans la main depuis trois ans pour donner plus de force à la voie de l’apprentissage comme à celle du lycée professionnel. Longtemps méprisées dans notre pays, toutes deux doivent devenir des voies d’excellence, des tremplins pour les jeunes.
Loin de les opposer, nous pensons qu’elles peuvent se combiner : certains jeunes peuvent commencer leur parcours en lycée professionnel, sous statut d’élève, puis, quand ils sont mûrs et veulent plus d’action, rejoindre une entreprise comme apprentis. Nous développons les passerelles, en liaison avec la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, dans des campus que nous organisons avec l’ensemble des partenaires, y compris les régions et les branches.
Je vous invite à venir sur le terrain avec moi.
M. Pierre Ouzoulias. N’inversez pas les rôles !
Mme Muriel Pénicaud, ministre. J’ai déjà visité soixante CFA, probablement plus que beaucoup de ministres du travail avant moi : la réforme, je la mène aussi sur le terrain ! Je constate que plus de 500 créations de CFA sont projetées, que l’engouement pour l’apprentissage est fort, dans les petites entreprises comme dans les grandes, et que les jeunes sont extrêmement fiers de s’être engagés dans cette voie.
Vous avez raison : le court-termisme n’a aucun intérêt. C’est pourquoi nous permettons que l’on puisse s’engager dans la voie de l’apprentissage jusqu’à trente ans. Nous avons aujourd’hui de vrais cursus, avec des jeunes titulaires de CAP qui deviennent ingénieurs : c’est une voie durable de promotion sociale et de développement professionnel.
Tous les grands pays qui ont développé des voies d’apprentissage et de formation professionnelle fortes, comme la Suisse et l’Allemagne, connaissent un chômage des jeunes bien moindre que le nôtre ; la corrélation est directe. Permettons donc à nos jeunes de s’élever et de s’émanciper par le travail et la formation. C’est l’esprit dans lequel la réforme a été conçue.
S’agissant de la question très différente du recours à des CDD, la réforme de l’assurance chômage vise notamment à lutter contre la précarisation.