Nous doutons fortement de la pertinence des réponses que le gouvernement souhaite apporter
Réforme en cours de l’éducation prioritaire -
Par Jérémy Bacchi / 2 mars 2021Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’évoquait tout à l’heure ma collègue Céline Brulin, la réforme à venir de l’éducation prioritaire pose de nombreuses questions.
Disons-le, nous doutons fortement de la pertinence des réponses que le Gouvernement souhaite apporter aux dysfonctionnements de l’éducation prioritaire.
Toutefois, et ce sera ma première remarque, il est difficile pour nous d’avoir un œil complet sur une réforme dont l’expérimentation commence dans quelques mois et pour laquelle nous avons, finalement, peu d’informations.
Mon département, les Bouches-du-Rhône, abrite une des académies tests. Pourtant, nous n’avons encore qu’un regard très flou sur le devenir des 328 écoles maternelles et primaires, ainsi que des 47 collèges aujourd’hui en REP ou en REP+.
Les premiers retours que nous avons, dans mon département, sur les groupes de travail préfigurant les contrats locaux d’accompagnement sont inquiétants. Ainsi, sur les 72 écoles initialement ciblées dans les Bouches-du-Rhône, seules 39 devraient être concernées. Quid des autres ? Et pourquoi ces écoles précisément ?
À ces deux questions, les organisations syndicales n’ont pas obtenu de réponse de la part du rectorat, à l’heure où je vous parle. Ces écoles sélectionnées devraient bénéficier de dix postes et de trente indemnités pour missions particulières. Comment seront répartis ces moyens ?
Pour reprendre les termes de Marc Douaire, le président de l’Observatoire des zones prioritaires, « passer d’une logique de politique territorialisée à une politique d’établissement constitue une rupture profonde ».
La notion de réseau mobilisant la communauté éducative, le monde associatif et les collectivités territoriales permet de créer un environnement stable et stimulant. Or c’est bien cet aspect social qui est retiré de l’éducation prioritaire.
Par ailleurs, c’est une véritable mise en concurrence des établissements qui va être mise en œuvre. Et comme dans toute mise en concurrence, les perdants sont souvent identifiables en amont de la procédure. On risque donc de se retrouver avec des établissements déjà en difficulté perdant leur label et les moyens qui vont avec.
D’ailleurs, madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous éclairer sur les méthodes de quantification et de qualification des projets ?
Vous nous aviez présenté certains éléments regroupant des critères sociaux, mais aussi des critères environnementaux comme le taux d’enseignants titulaires, le climat scolaire ou l’indice d’éloignement, mais cela ne répond pas à nombre de questions que se posent les enseignants et les parents, ce qui les inquiète. Cette inquiétude a même poussé le Syndicat national des lycées, collèges, écoles et du supérieur, le Snalc, traditionnellement plutôt classé à droite de l’échiquier politique, à exiger « l’abandon immédiat de cette expérimentation ».
À quel moment le rectorat considérera-t-il qu’un projet est prometteur ? À quel moment considérera-t-il qu’il a réussi ? Prendra-t-il en compte les « aides extérieures » sur lesquelles certains établissements pourront compter, notamment par le biais d’un surplus d’engagements des collectivités territoriales ?
Ne risque-t-on pas, comme le relève Jean-Yves Rochex, de retomber dans des formes de clientélisme comme nous avons pu en connaître sur d’autres sujets ? Pouvons-nous espérer, par exemple, une réforme de l’affectation des enseignants évitant la concentration des jeunes dans des établissements parfois très difficiles ?
Autre point sensible : la probable ouverture des dispositifs d’éducation prioritaire aux établissements privés, notamment confessionnels. Après la scolarisation obligatoire à trois ans, ce serait un nouveau cadeau du service public d’éducation nationale au secteur privé.
Pourtant, malgré les déclarations rassurantes du secrétaire général de l’enseignement catholique, on ne peut pas dire que l’enseignement privé soit un champion de la mixité sociale... Le risque que l’on voit venir, c’est que des établissements échangent des exonérations de frais pour les familles tout en se « remboursant » avec la manne de l’éducation prioritaire, via la contractualisation avec les rectorats.
Ce risque est d’autant plus grand que, comme vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, la réforme se fera à moyens constants. On touche ici à un vrai problème.
D’un côté, la Cour des comptes estime que 25 % des élèves qui relèvent des REP ne devraient pas y être ; de l’autre, 70 % de ceux qui devraient être « éligibles » ne le sont pas. On voit bien que, même si l’on pouvait opérer une bascule magique, le 1,4 milliard d’euros aujourd’hui déployé ne suffirait pas à assurer un régime efficace. Or, là, vous proposez d’élargir encore le spectre, quitte à faire bénéficier des établissements qui n’en ont pas besoin.
Par ailleurs, on aimerait plus de clarté de votre part. Devant notre commission, vous déclariez ceci : « Quant aux moyens supplémentaires, à ce stade de l’expérimentation, nous allons fonctionner à moyens constants. »
Devant nos collègues députés, vous commencez par évoquer « une voie parallèle avec des moyens propres », tout en maintenant le cap des moyens constants. Il est donc bien prévu d’aller chercher les fonds attribués à certaines écoles publiques aujourd’hui pour financer le secteur privé, ainsi que des écoles rurales isolées, qui, s’il est vrai qu’elles ont besoin de financements dédiés, ne peuvent être rhabillées en déshabillant des écoles urbaines en difficulté.
Je conclurai en rappelant un unique chiffre : l’an dernier, sur les 15 postes supprimés dans les Bouches-du-Rhône dans le secondaire, 10 concernaient des sections d’enseignement général professionnel adapté, des Segpa, et 5 des REP+.